Chapitre 10

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Les rayons du soleil se frayaient un chemin malicieux à travers les frondaisons, nimbant le sous-bois d'une clarté d'or pâle. Nos trois compagnons cheminaient d'un bon pas, le cœur en fête, sur un sentier serpentant entre les troncs centenaires. Soudain, un éclat inattendu attira leur regard. Là, lovée au creux d'un lit de mousse, une tortue à la carapace chamarrée et aux yeux d'ambre les contemplait avec une bienveillance tranquille.

« Saperlipopette, quelle attendrissante créature ! s'exclama la fillette, sous le charme de cette apparition insolite. On dirait une fée des bois qui aurait revêtu son plus bel apparat pour nous accueillir ! »

« Attendrissante, c'est vite dit... maugréa Rouquin, fidèle à son scepticisme joueur. Méfions-nous de l'eau qui dort et des vénérables à la bonhomie suspecte. Bien souvent, ils cachent un sacré caractère sous leurs airs de papy-gâteau ! »

La tortue, amusée par cet échange, s'étira avec une lenteur délibérée, comme pour mieux capter l'attention de son auditoire improvisé.

« Ah, jeunesse... Toujours prompte à juger son prochain. Quand on a vu défiler autant de printemps que moi, on apprend à ne pas s'arrêter aux apparences. Les plus beaux trésors se dissimulent parfois sous une écorce rugueuse. »

Impressionnée par la prestance de leur interlocutrice, la petite philosophe s'accroupit avec révérence, les yeux pétillants de curiosité.

« Pardonnez l'impétuosité de mon ami, vénérable aïeule. Votre sagesse irradie de votre être tout entier et nimbe notre chemin de lumière. Auriez-vous quelques pépites de connaissance à partager avec d'humbles chercheurs de vérité ? »

La tortue centenaire se déplia avec une grâce infinie, savourant l'effet de ses paroles sur ces jeunes esprits en quête de sens.

« La sagesse, mon enfant, est un fruit qui se cueille avec patience et abnégation. Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage, et la compréhension viendra. Chaque seconde de votre existence est une graine semée dans le grand verger de la vie. Chérissez-les, nourrissez-les, et vos branches ploieront sous le poids des récoltes. »

Rouquin, impressionné malgré lui par la profondeur de ces paroles, se gratta pensivement le museau, soudain plongé dans une réflexion existentielle.

« Sacrebleu, voilà qui donne à réfléchir ! Mais tous ces printemps accumulés, ce poids des ans qui s'amasse inexorablement... N'est-ce pas un fardeau bien lourd à porter parfois ? »

Un rire cristallin s'échappa de la gorge parcheminée de la tortue, résonnant comme un ruisseau espiègle sous les ramures.

« Oh Rouquin, ton cœur est décidément aussi vif que ton esprit ! Le temps n'est un fardeau que pour ceux qui ne savent pas l'apprivoiser avec sagesse. Chaque ride de mon écaille est une histoire, un trésor que je garde précieusement dans l'écrin de ma mémoire. Hier nourrit aujourd'hui, pour mieux faire rayonner demain. Tout l'art de vivre est là : accueillir son passé avec gratitude pour mieux honorer le présent. »

Blairounet, jusqu'ici silencieux, s'avança timidement, le regard rivé sur son reflet mélancolique miroitant sur la carapace.

« Mémoire bénie, soleil de l'âme qui réchauffe les jours moroses... Chaque souvenir, un vers précieux du grand poème inachevé. Peut-être est-ce là le secret ? Avancer avec confiance sur le chemin, enraciner ses pas dans la terre riche de son histoire ? »

L'ancêtre lui décocha un clin d'œil complice, comme pour saluer la sagacité de ses mots.

« Tu effleures là l'essence du mystère, mon beau blaireau à l'âme de troubadour. Voyager léger mais ancré dans son vécu, cueillir le nectar du présent tout en honorant les couches successives de son être... Voilà la clé d'une existence pleine et lumineuse. Soyez fiers de votre écorce, même cabossée. Elle raconte votre humanité dans ce qu'elle a de plus noble. »

Les trois compères, ébranlés par ce discours vibrant d'une émouvante justesse, s'assirent en silence autour de la tortue, le souffle court et le cœur battant.

« Vénérable amie, comment rester fidèle à ce soi profond, à cette petite musique de l'âme, quand les tourments de la vie menacent de nous en éloigner ? » souffla la fillette d'une voix douce.

L'aïeule ferma un instant les yeux, comme plongée dans une riche introspection.

« L'arbre le plus solide, mon enfant, est celui qui sait ployer pour mieux se redresser. Ton être essentiel est cette sève nourricière qui jamais ne se tarit, pour peu que tu prennes la peine de l'écouter. Accueille tes forces et tes failles, car elles sont les deux faces d'une même pièce qui n'a de cesse de tourner. Sois à ton écoute, avec douceur et détermination. Le reste suivra, naturellement. »

Un ange passa, déployant ses ailes duveteuses sur la clairière baignée d'une lumière nouvelle. L'espace d'un instant suspendu, on n'entendit plus que la respiration profonde de la forêt, le chant étouffé d'un oiseau, le craquement feutré d'une branche sous le pas léger d'un chevreuil.

Quel cadeau inestimable que cet instant hors du temps ! Je crois que nous tenons là un viatique des plus précieux pour la suite de notre périple, murmura la petite philosophe, la voix enrouée d'émotion. »

« Mille mercis, chère tortue ! J'en frétille des moustaches ! » renchérit Rouquin, frottant affectueusement son museau contre la carapace antique.

« Sagesse, poésie de l'âme qui s'éveille au grand cycle des jours... Puissions-nous cheminer longtemps encore sur ses pas, conclut Blairounet, des étoiles plein les yeux. »

Nos trois amis prirent congé avec une infinie gratitude, le cœur gonflé à bloc de ces nouveaux trésors de vie glanés auprès de leur inspirante amie. Alors qu'ils s'éloignaient d'un pas chaloupé sur le sentier serpentin, la petite fille se retourna une dernière fois. Là-bas, nimbée d'une lumière irréelle, la tortue semblait leur sourire, complice et bienveillante à la fois.

« Prendre le temps d'être soi, chuchota la fillette pour elle-même. Laisser le monde couler en nous comme une rivière de douceur... Voilà un art de vivre que je m'efforcerai de cultiver, jour après jour ! »

Nos compagnons cheminèrent encore un long moment sous les frondaisons, savourant le silence habité qui s'était installé entre eux. Chacun méditait les paroles de sagesse de la tortue, les laissant infuser lentement au creux de son être, se lovant dans leur chaleur rassurante comme dans un cocon protecteur.

Par instants, l'un d'eux partageait une réflexion à voix haute, relançant leurs échanges avec une énergie renouvelée.

« C'est qu'elle en a vu de toutes les couleurs, cette brave tortue, avec toutes ces épopées forestières ! remarqua Rouquin, soufflé par la longévité de leur amie. Et pourtant, nulle amertume dans son regard, juste cette sereine acceptation mâtinée d'une malice juvénile. Voilà bien une leçon de vie ! »

« Nul doute que son écaille rutilante en a abrité, des secrets et des non-dits ! Mais c'est précisément parce qu'elle a su accueillir tout ce vécu avec cœur et philosophie qu'elle dégage une telle aura, si inspirante pour nos âmes en devenir », renchérit Blairounet, non sans poésie.

La fillette approuva de la tête, le regard perdu dans le lointain, au-delà de l'écran vert tendre des feuilles.

« C'est toute la beauté du grand cycle de l'existence. Un perpétuel renouveau, un éternel présent où chaque instant a la saveur de l'unique, le poids joyeux de la liberté retrouvée. Vivre, vraiment vivre, voilà peut-être le plus précieux des arts. Un chemin de patience et d'émerveillement sans cesse renouvelé... »

Les trois amis poursuivirent leur route d'un pas plus léger, ragaillardis par ces échanges qui faisaient écho à la sagesse millénaire de la tortue. Parfois, le silence retombait entre eux, dense et moelleux comme un tapis de mousse. Un silence habité de mille et une réflexions, de sensations fugaces et pourtant essentielles, où chacun se retrouvait face à lui-même dans une qualité de présence nouvelle, infiniment douce et précieuse.

Tout autour d'eux, la forêt semblait les envelopper d'une tendresse chaleureuse, presque maternelle. Les rayons du soleil déclinant jouaient à cache-cache entre les branches, projetant sur le sentier une mosaïque d'ombres et de lumière qui enchantait leurs sens et faisait pétiller leur imaginaire toujours en éveil. Des effluves subtiles de sous-bois et d'humus leur parvenaient par vagues, une fragrance riche et apaisante qui achevait de les réconcilier avec le monde et avec eux-mêmes.

Au détour d'un lacet, le murmure fluet d'un ru se fit entendre, comme un appel mystérieux murmuré par la forêt. Guidés par ce chant liquide, ils découvrirent bientôt un petit ruisseau à la transparence cristalline, qui serpentait avec allégresse entre les pierres moussues. D'un même élan, ils s'agenouillèrent sur la berge spongieuse, joignant les mains en coupe pour s'abreuver de cette eau pure et vivifiante qui semblait charrier dans son écrin tous les secrets de la terre.

« Bénies soient les créatures de l'onde, qui nous rappellent à notre soif essentielle ! s'exclama la fillette, les yeux brillants de gratitude. Bénies soient les forêts qui nous étreignent et nous régénèrent sans un mot ! »

« Et bénie soit la lenteur, cette douce félicité d'être au monde que nous réapprenons pas à pas ! » surenchérit Rouquin, le regard pétillant.

Ils se relevèrent le cœur gonflé d'un bonheur simple, prêts à accueillir de nouveau les trésors que la vie semait sur leur chemin initiatique. Il était temps pour eux de poursuivre plus avant leur périple, guidés par cette lumière intérieure ravivée au contact de la tortue centenaire et de ses paraboles inspirées.

Libérés du poids des ans, des doutes et des faux-semblants, ils s'élancèrent d'un même pas confiant sur le sentier serpentin, accueillant l'inconnu avec un regard neuf. L'horizon s'offrait à eux, vibrant de promesses, auréolé d'une brume dorée où chaque recoin de forêt semblait abriter d'infinies merveilles. La vie, dans son mystère et son foisonnement, les appelait à oser, à se réinventer sans cesse, dans un bruissement de feuilles et de joie retrouvée.

La suite de leurs aventures s'annonçait sous le signe de l'émerveillement et du renouveau. Car c'est bien là le secret des grands explorateurs de l'âme : garder ce cœur d'enfant, cet œil qui s'étonne et s'émeut de tout, pour chérir chaque seconde, chaque rencontre, chaque enseignement comme autant de perles rares qui ne demandent qu'à être cueillies et savourées à leur juste valeur.

Et tandis qu'ils disparaissaient à la faveur d'un ultime méandre, on entendit s'élever dans les frondaisons un soupir bienheureux, comme un au-revoir complice murmuré par la forêt à ses lumineux enfants d'un jour, en route vers de nouveaux possibles et de flamboyantes destinées.

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