Chapitre 16

15 minutes de lecture

Les pavés disjoints de la ville luisaient doucement sous les rayons obliques du soleil automnal, tandis que Rouquin, Blairounet et la petite fille flânaient dans le dédale des ruelles tortueuses, le cœur encore palpitant des échos de leur rencontre bouleversante avec la petite Mirette. Cette aventure avait imprimé en eux une marque indélébile, comme un sceau lumineux rappelant le sens profond de leur quête : être des passeurs d'espoir et de merveilleux dans un monde trop souvent lesté par le poids des tourments.

Un éclat de rire sonore, jailli de nulle part, les fit soudain s'immobiliser. Là, attablé à la terrasse d'un petit café baigné d'une lumière mordorée, un carnet de croquis posé devant lui, se tenait l'artiste-poète, leur ami de toujours au regard pétillant de malice et de sagesse. À ses côtés, comme surgi de l'ombre complice, Arsène le rat philosophe semblait plongé dans une conversation des plus animées avec son comparse.

Rouquin, avec son exubérance coutumière, fondit sur eux tel un boutegfeu, s'écriant à pleins poumons : « Hé, mais c'est bien nos deux lascars préférés ! Quel bon vent facétieux vous amène donc par ici, mes frères ? Vous complotez un nouveau coup tordu pour ébouriffer la face du monde ? »

L'artiste, en les apercevant, bondit de son siège avec une vigueur insoupçonnée et vint à leur rencontre, les bras grands ouverts comme pour embrasser l'univers entier. « Mes merveilleux amis, mes oiseaux bariolés, quel bonheur de vous revoir ! Venez donc vous joindre à nous autour de ce petit nectar ambré et pétillant, que nous trinquions sans plus attendre à nos retrouvailles impromptues ! »

Arsène, avec son flegme habituel teinté d'une pointe d'ironie, les accueillit d'un signe de tête entendu, comme un vieux sage saluant ses disciples les plus prometteurs. « Tiens donc, ne serait-ce pas nos chers poètes en goguette, toujours en quête de chimères à chevaucher et de grains de folie à semer aux quatre vents ? »

Nos trois amis prirent place avec allégresse, et bientôt la tablée se mua en joyeux caravansérail, où chacun retraçait avec force détails hauts en couleur le fil de ses dernières pérégrinations aux quatre coins de la ville. L'artiste, avec sa verve intarissable et son regard visionnaire, évoquait ses errances inspirées dans les recoins les plus insolites et les venelles les plus secrètes, en quête de ces petits riens précieux qui font chavirer l'âme et palpiter le cœur.

« Ah, si vous saviez, mes amis, les trésors insoupçonnés de poésie pure que j'ai débusqués au sein même du béton et des murs lépreux ! » s'enflammait-il, le regard brillant d'une fièvre sacrée. « Un reflet irisé dansant dans une flaque, un pan de ciel lapis-lazuli prisonnier d'une gouttière éventrée, une fleur téméraire s'épanouissant au creux d'une fissure malpropre… Autant de miracles ordinaires, d'invitations muettes à poser sur le réel un regard transfiguré, à débusquer la beauté insurgée nichée dans les interstices d'un monde trop souvent désenchanté… »

Blairounet, ému jusqu'aux tréfonds par cette profession de foi ardente, ne put s'empêcher de renchérir, la voix vibrant d'un enthousiasme contagieux : « Comme je te comprends, mon frère ! La vraie magie est là, à portée de regards et de cœurs, pour peu qu'on se donne la peine de l'apprivoiser avec les yeux de l'émerveillement jamais blasé… C'est tout le secret d'une existence réenchantée : devenir l'explorateur éperdu et jamais rassasié de son propre royaume intérieur ! »

La petite fille, le visage illuminé d'une fièvre complice, applaudit avec un enthousiasme débordant cette déclaration, ses boucles brunes dansant une sarabande effrénée autour de son minois mutin. « Oui, c'est exactement ça ! » s'écria-t-elle avec une jubilation presque enfantine. « Être des aventuriers du regard, des arpenteurs de l'invisible, des chasseurs de merveilles cachées… Et surtout, surtout, partager nos découvertes, nos émerveillements et nos épiphanies avec le monde entier, comme une éblouissante invitation à transfigurer le banal et le cousu de fil blanc par la grâce de la poésie ! »

Arsène, malgré son scepticisme légendaire et son cynisme chevillé au corps, ne put réprimer un demi-sourire attendri devant tant de candeur pugnace et de ferveur juvénile. Mais bien vite, son âme de vieux briscard irrécupérable refit surface, comme un cap trop longtemps maintenu dans la tempête, le poussant à jeter une ombre sur leur enthousiasme chatoyant.

« Tout cela est bel et bon, mes agneaux égarés, mais n'oubliez jamais que la réalité n'est pas toujours un feu d'artifice éblouissant de couleurs et de promesses… » maugréa-t-il en triturant pensivement ses moustaches ébouriffées. « Il y a aussi des abîmes de noirceur sans fond, des gouffres béants de désespoir où nulle étincelle ne semble pouvoir se frayer un chemin… Croyez-en ma vieille carcasse blindée qui hante les égouts et les bas-fonds glauques de cette ville depuis des lustres. J'y ai contemplé des spectacles à vous glacer le sang et l'âme, des loques humaines dépouillées de leurs dernières illusions qui s'accrochent à un semblant de survie comme des noyés à leur misérable planche pourrie… »

Un silence pesant, presque palpable, s'abattit sur la tablée, telle une chape de plomb insidieuse. Chacun méditait, le cœur serré et la gorge nouée, les paroles crépusculaires du vieux rat. Pouvait-on réellement parler de réenchantement du monde, avec quelque chance d'être entendu et pris au sérieux, quand tant de destins semblaient irrémédiablement enchaînés aux ténèbres et aux affres du non-sens le plus absolu ?

C'est alors que Rouquin, avec sa sagesse malicieuse et son bagou coutumiers, s'éclaircit la gorge dans un raclement sonore et prit la parole, sa voix oddérant des inflexions tour à tour profondes et espiègle, comme un ruisseau de montagne serpentant avec aisance entre les rochers acérés.

« Mon brave Arsène, mon vieux frère, tu mets le doigt sur le nœud du problème avec une précision d'entomologiste. » commença-t-il en vrillant son regard perçant dans celui du rat misanthrope. « Bien sûr que le monde n'est pas un vaste conte de fées éthéré où tout serait grâce et légèreté, où les gentils porteraient des plumes d'anges et les méchants des cornes de démons fourchus… La sacrée tambouille de l'existence a trop longtemps mijoté dans son jus d'amertume et de vieux schnocks pour ça. Il y a des enfers artificiels, des géhennes sans issue apparente où même la lumière des songes semble se perdre comme une aiguille dans une botte de foin moisie… Mais justement, nom d'un renard argenté, n'est-ce pas là que notre croisade de réenchanteurs patentés prend toute sa signification, sa raison d'être la plus viscérale et la plus ardente ? En devenant d'obstinées lucioles dans la nuit du désespoir le plus compact, des étincelles insolentes de fantaisie vivace et d'imagination débridée dans l'épaisse pénombre du spleen et de la solitude glacée ? En chantant à tue-tête, contre vents et marées, envers et contre tout, que la vie mérite trop intensément, trop glorieusement d'être vécue pour qu'on la laisse moisir sans réagir dans les cachots de l'amertume et du fatalisme ? »

Le renard fit une pause, le souffle court et le regard embrasé par un feu intérieur qui ne devait rien à la flamme tremblotante des bougies ornant la table. On eut dit qu'il contemplait un horizon vaste et magnifique que lui seul pouvait apercevoir, un royaume de possibles frémissants et d'audaces inédites palpitant dans un avenir encore en friche.

« Bien sûr, nous ne changerons pas la face du monde du jour au lendemain, comme par un coup de baguette magique… » reprit-il d'une voix plus douce, presque caressante. « Nous ne fracasserons pas les barreaux de toutes les prisons intérieures d'un seul coup d'épaule, fussions-nous cent fois plus vaillant que les preux des légendes… Mais si par le simple fait d'être là, vibrants et porteurs d'une lumière fragile mais tenace, nous parvenons à alléger ne serait-ce qu'une once le fardeau millénaire qui pèse sur les épaules et le cœur des naufragés du sens… Si nous arrivons, l'espace d'une ritournelle lancée à la volée ou d'un rire partagé comme un talisman contre l'absurde, à raviver en eux l'étincelle vacillante mais jamais tout à fait éteinte de l'émerveillement… Alors nous aurons déjà accompli notre part du prodige, notre mission sacrée de héraut de l'aurore et de contrebandiers de la beauté insurgée… Ce sera notre victoire à nous, notre manière bien à nous de réenchanter le monde et l'âme humaine, un sourire et un mot à la fois… »

L'artiste, ébranlé jusqu'aux fondations de son être par cette tirade vibrante d'un souffle épique, se leva d'un bond, comme mû par un ressort irrésistible, et se jeta sur Rouquin pour l'étreindre avec toute la force de sa gratitude et de son admiration.

« Oh, mon ami, mon frère, mon double solaire ! » s'exclama-t-il en riant et en pleurant tout à la fois, sa voix éraillée par un excès d'émotion longtemps contenue. « Comme tu vois juste et loin ! Comme tu sais trouver les mots pour électriser nos âmes et leur redonner le courage d'embrasser l'impossible ! Oui, cent fois oui, notre vocation de saltimbanques du merveilleux n'est pas de refaire la Création à notre image, mais d'y semer à tout vent des graines scintillantes de joie et de poésie, aussi minuscules et insignifiantes puissent-elles paraître aux sceptiques et aux briseurs de rêves… C'est d'oser, encore et toujours, envers et contre tout, clamer à pleins poumons notre amour éperdu et inconditionnel de la vie, jusqu'à couvrir les clameurs fielleuses du nonsense et des prophètes de malheur ! »

Arsène, en dépit de son cynisme proverbial et de sa cuirasse d'ironie mille fois trempée dans les eaux noires du désenchantement, ne put réprimer un sourire dissimulé, presque attendri, devant l'enthousiasme truculent et la foi indéfectible de ces incorrigibles rêveurs.

« Sacrebleu, vous êtes décidément une sacrée bande d'hurluberlu, une escadrille d'adeptes du grand n'importe quoi ! » soupira-t-il en secouant la tête avec une fatigue amusée. « Des chevaucheurs de comètes bourrés d'idéaux, persuadés de pouvoir décrocher la Voie Lactée avec leurs petites pattes pleines de cambouis… Mais allez savoir ? À vous entendre beugler vos âneries, à vous voir foncer dans le tas avec un cœur gros comme ça, je finirais presque par gober que tout espoir n'est pas perdu, que même un rat d'égout patibulaire comme moi à encore le droit de rêver un peu… Le monde à l'envers, quoi ! »

Blairounet, submergé à son tour par une vague d'espérance irrépressible, leva bien haut son verre, dans un tourbillon d'émotions trop longtemps refoulées.

« Je bois à nous, mes compères, à notre divine folie, à notre soif d'azur et de prodiges ! » rugit-il en riant à travers ses larmes, sa voix puissante résonnant jusqu'aux étoiles. « Puissions-nous ne jamais cesser, jamais nous lasser d'enchanter la vie et de la célébrer, jusque dans ses replis les plus sombres et ses potentialités les plus improbables ! »

« À nous, à notre lumineux vacarme ! » reprirent-ils tous en chœur, trinquant et s'étreignant tour à tour, les visages ruisselant de larmes de joie et de gratitude mêlées.

Car à présent, ils en avaient la certitude chevillée au plus profond de leurs entrailles : leur croisade, pour donquichottesque et utopique qu'elle puisse paraître aux esprits terre-à-terre, n'en demeurait pas moins investie d'une nécessité impérieuse, d'un sens aussi éclatant qu'une supernova. Chaque sourire conquis, chaque regard lavé des ombres avilissantes de la morosité était une victoire déterminante sur les forces noires de la résignation et du catastrophisme. Une minuscule flammèche d'espoir qui, attisée avec obstination, avec une ferveur quasi mystique, finirait par embraser le monde entier et par consumer les illusions mortifères qui embrumaient le cœur de l'homme…

Les heures s'égrenèrent ainsi au fil de leurs échanges tour à tour enflammés et recueillis, ponctués d'élans lyriques, d'éclats de rire tonitruants et de serments passionnés proférés la main sur le cœur. Lorsque le soir jeta son écharpe de velours sombre sur la ville et que les réverbères s'allumèrent un à un comme une procession tremblotante de vers luisants, il fut temps pour nos amis de reprendre leur route, le cœur à la fois serré et débordant d'une énergie nouvelle. L'artiste, en les enlaçant avec toute la force de son affection, glissa ces mots à l'oreille de la petite fille, comme un talisman secret qu'elle devrait garder précieusement en son cœur :

« N'oublie jamais, mon enfant, mon cher petit oiseau bariolé… La vraie magie, la seule qui compte et qui demeure, est tapie au fond de toi, dans ce regard pur et cristallin qui a le pouvoir de transmuter la boue la plus noire en or étincelant. Garde-le en toi, ce diamant de l'âme, protège-le contre vents et marées, contre les assauts du doute et les murmures insidieux du désespoir… C'est ton bien le plus précieux, plus inestimable encore que tout l'or et les joyaux de la Création. C'est lui qui te permettra, où que la vie te mène, d'enchanter le monde et de réveiller ce qu'il y a de plus lumineux dans le cœur de ceux que tu croiseras… Comme tu l'as fait pour nous, comme tu continueras à le faire, pour peu que tu restes fidèle à ton chant intérieur… »

Arsène, bourru et secret, mais indéniablement touché lui aussi par la grâce, donna une grande bourrade à Rouquin et Blairounet, comme pour mieux masquer son trouble et son émotion.

« Allez, fichez-moi le camp, bande de rêveurs patentés, de poètes en goguette ! » maugréa-t-il en s'efforçant de prendre un air renfrogné, qui ne trompait plus personne. « Foutez-moi le camp et semez aux quatre vents votre bazar de bons sentiments et de contes à dormir debout ! Et si d'aventure vous croisez d'autres vieux grincheux dans mon genre, dites-leur bien de ma part que même un rat d'égout comme moi peut encore espérer, peut encore croire qu'il y a une place pour lui dans votre foutue ronde de la joie ! »

C'est le cœur débordant d'un curieux mélange de reconnaissance, de douce mélancolie et de résolution que nos trois amis s'éloignèrent dans le crépuscule irisé de reflets de lune et de promesses inouïes, après une dernière valse d'embrassades et de paroles définitives murmurées à mi-voix.

Ils savaient, tandis qu'ils s'élançaient d'un même pas conquérant vers l'horizon vaste et mystérieux, que d'autres épreuves les attendaient, d'autres rencontres bouleversantes qui infléchiraient le cours de leur destin et les façonneraient un peu plus à chaque pas. Mais ils trouveraient la force de les accueillir comme autant de dons inespérés, de les embrasser de toute la fougue de leur inlassable appétit de prodiges.

Pour l'heure, ils voulaient simplement savourer la douceur unique de cet instant suspendu entre chien et loup, entre songe et réalité, et y puiser le miel des dieux dont ils se nourriraient aux heures sombres.

Longtemps, longtemps encore, à la faveur d'un rayon de lune joueur, on put apercevoir leurs silhouettes fantastiques se découper dans l'indigo du soir, auréolées d'un halo mordoré qui n'était pas seulement celui des réverbères. Comme un mirage entêté, comme la promesse d'une aube qui ne demanderait qu'à éclore dans le secret de la nuit…

Devant eux, la ville bruissante déployait son écheveau emmêlé de mystères et de merveilles en puissance, terrain de jeu infini et bouillonnant pour ces chasseurs de chimères jamais rassasiés, pour ces éternels enfants ivres de la saveur incomparable de l'inexploré.

Les embûches à venir, les vertiges de l'inconnu qui déjà leur faisaient signe ? Ils les accueilleraient avec l'allégresse des cœurs vaillants, avec la certitude farouche d'être de taille à les affronter, forts de cette flamme inextinguible qui à présent brûlait en eux comme le soleil au zénith de sa gloire.

Cette étincelle primordiale, cette foi viscérale en la beauté ineffable tapie dans les interstices du réel, dans les tréfonds de l'âme de chaque être vivant. Leur victoire secrète, leur croisade intime dont nul ne pourrait les déposséder, dussent-ils traverser mille enfers et autant de purgatoires…

Alors, d'un même élan fraternel, ils se remirent en marche vers ces lendemains rutilants de promesses inédites, vers ces contrées incandescentes de magie et de mystère qu'ils exploreraient la main dans la main, l'esprit en fête et le cœur battant la chamade.

Car ils en avaient à présent l'intime conviction : réenchanter le monde, loin d'être l'apanage de quelques illuminés en marge de la marche soporifique du temps, était une œuvre de haute nécessité, un sacerdoce exigeant à la portée de chacun, pour peu qu'on se donne la peine d'ouvrir les yeux et de tendre l'oreille.

Un sourire ébauchée au coin des lèvres, une main tendue par-dessus le vide grondant de la désespérance, une ritournelle chevrotée dans le blizzard des solitudes grises… Autant de pierres minuscules apportées à l'édifice de ce temple de lumière qu'ils bâtiraient leur vie durant, avec une patience d'orfèvre et une pugnacité de titans. Jusqu'à ce que rayonne, par-delà la nuit la plus impénétrable, l'éclat vif de cette flamme que nulle tempête ne saurait éteindre tout à fait…

Puissions-nous alors les rejoindre sur ce chemin semé d'embûches et de ravissements, et devenir à notre tour des contrebandiers du merveilleux, des orfèvres de l'espérance en un monde plus vaste et plus lumineux !

Puissions-nous entendre, par-delà le fracas des jours mornes et des heures avares, l'appel impérieux de cette petite musique de l'âme, cet hymne ténu et lancinant qui nous convie sans relâche à poser sur la Création un regard revivifié, lavé des écailles du désenchantement…

Le monde n'attend que cette caresse inespérée, que cet embrasement baptismal de nos prunelles enfin dessillées pour nous livrer la clé de son jardin secret, de son Eden retrouvé où la joie serait reine et la beauté souveraine…

Alors, si d'aventure au hasard de vos errances, vous entendez s'élever un chant de liberté porté par un rire de renard, un grognement de blaireau et une voix cristalline d'enfant, si vous surprenez aux détours d'une ruelle étriquée un rayon de lune complice auréolant trois ombres malicieuses, n'hésitez plus un instant.

Élancez-vous sur leurs traces, le cœur gonflé d'allégresse et les sens aux aguets. Et ensemble, oui, ensemble, main dans la main, pas après pas, regard après regard, épaule contre épaule, recommençons le monde, ce monde que l'on dit voué aux lénifiant mirages et aux horizontales platitudes…

Insufflons-lui, à ce vieil univers fourbu, une parcelle de cet émerveillement joueur qui est la marque des véritables vivants. Réapprenons-lui les vertiges de l'altitude et les ivresses du rire, les vertus régénératrices de la fantaisie et les félicités inopinées du saut dans l'inconnu…

Réenchantons la vie, avec la ferveur de ceux qui marchent vers un perpétuel matin. Soyons ces pèlerins d'un monde revivifié, ces vagabonds de l'aurore qui jamais ne renoncent à débusquer la lumière sous les gravats du spleen, le sacré dans l'interstice des heures convenues, le miraculeux au creux des banalités soporifiques…

Et si d'aventure la fatigue nous saisit, si d'aventure la nuit se fait trop dense et le chemin rocailleux, alors rallumons en nous ce feu volé aux étoiles, ce fol enthousiasme qui fait de chaque instant un joyau sans prix.

Ravivons la braise de nos rêves d'enfance, cet élan instinctif vers le merveilleux qui sommeille en chacun de nous, tapi dans les catacombes du cœur et de la mémoire. Et repartons galvanisés, ressuscités, revigorés, vers ce royaume dont nous sommes les bâtisseurs et les flambeaux…

Alors oui, réenchanter le monde, cet impératif brûlant, cette nécessité vitale, c'est la tâche de chaque jour, de chaque heure, de chaque regard posé sur le manteau d'arlequin de la Création. C'est devenir soi-même l'étincelle qui ravive les couleurs délavées par l'usure et l'accoutumance, le prisme qui restitue à l'arc-en-ciel de l'ordinaire sa fraîcheur originelle et son pouvoir d'incantation.

Et si par miracle un soir, alors que le doute et la gravité menacent de nous engloutir et de nous précipiter dans les abîmes du renoncement, si par miracle un rire de renard retentit soudain dans le lointain comme la promesse d'une improbable renaissance, si une comptine fredonnée par une voix d'enfant vient caresser le velours de la nuit comme l'aile espiègle d'un lutin facétieux, alors nous saurons…

Nous saurons que Rouquin, Blairounet et la petite fille poursuivent leur croisade envers et contre tout, par monts et par vaux, contre vents et marées. Nous saurons que l'espoir luit encore et toujours, comme la plus merveilleuse des contagions, comme le plus tenace des sortilèges…

Et nous repartirons le cœur léger, forts de cette certitude que rien n'est jamais perdu, que tout reste toujours à réinventer, à remettre sur le métier de nos enthousiasmes têtus et de nos engouements sans cesse renouvelés.

Réenchanter le monde… Continuer, persévérer, s'acharner, un sourire à la fois, un regard après l'autre, sans jamais baisser les bras ni rendre les armes. Devenir soi-même ce cri inarticulé vers les étoiles, cette protestation éperdue de vie au milieu des limbes de l'habitude et des conformismes soporifiques.

Et si d'aventure vous entendez au loin s'élever un chant de liberté porté par un rire de renard, un grognement de blaireau et une voix cristalline d'enfant, alors à votre tour, embrassez la cadence. Entonnez la ronde de ce sabbat lumineux où les cœurs battent à l'unisson d'un monde réenchanté…

Lancez-vous éperdument dans cette farandole à perdre haleine, dans cette sarabande de tous les possibles et de tous les imprévus, dans ce quadrille étourdissant où se conjuguent à l'infini les mille et une nuances de la joie et de l'éblouissement.

Et n'oubliez jamais la leçon des funambules du merveilleux : un brin de fantaisie, une touche d'humour et une pincée de poésie font parfois bien plus pour réenchanter la vie que des monceaux de sérieux et des tombereaux de rationalité étriquée.

Alors, à nous de jouer ! À nous d'insuffler un peu de ce rayonnement malicieux dans le théâtre d'ombres du monde !

Et maintenant, trêve de palabres ! Remettons-nous en route, le cœur léger et l'âme en fête. Il reste tant à explorer, tant à émerveiller…

Que l'aventure recommence, encore et encore ! Et que vive la magie !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Noureddine Qadiri ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0