Chapitre 29
Ce fut avec un sourire indélébile sur les lèvres que j'entrai dans la boutique de Judith. Elle me regarda avec les yeux pétillants de malice.
- On dirait que tu as passé un bon moment.
- Oui, c'était un chouette moment. Complètement différent de ce que j'avais pu partager avec lui jusque-là. C'était bien.
- J'en suis heureuse bichette. Il a surement compris et appris de ses erreurs.
- Oui je le crois aussi.
Le reste de la journée se passa tranquillement. J'étais un peu excitée par le retour de John dans ma vie. Je n'avais pas forcément envie de lui retomber dans les bras, mais je me sentais bien avec lui, en confiance. Il savait être à l'écoute et me connaissait presque mieux que moi-même. En y repensant, c'était un peu flippant. Je fis taire le stress qui montait et songeai au bon moment passé avec lui ce midi. Prise dans l'euphorie, je demandais à Judith de me prêter son téléphone. Il y eut trois sonneries quand on décrocha :
- Allô ? Diego Sorens à l'appareil.
- Diego, c'est Bella.
J’entendis en arrière-plan les pleurs de Lila et ma belle-sœur qui demandait qui appelait.
- Bella ! Comme je suis heureux de t'entendre !
Une exclamation de joie à l'arrière me réchauffa le cœur.
- Je voulais vous féliciter. J'ai bien reçu le télégramme ! D'ailleurs je ne savais pas que cela existait encore !
- Merci petite sœur. Comment vas-tu ?
- Je vais bien. Mais ce qui importe c'est la maman et le bébé : comment vont-elles ?
- Bien, l'accouchement s'est bien passé. Lila prend bien le sein et il faut la changer souvent. Je n'imaginais pas que les bébés étaient des machines à caca !
J'explosais de rire. C'était tellement improbable d'entendre mon frère dire une telle chose. Lui si à cheval sur l'apparence.
- Et tu n'as pas fini, tu en as au moins pour une année !
- Yeurk ! me dis pas ça !
- Arrête ! je suis sûre qu'en dehors des couches à changer tu es aux anges.
Il redevint sérieux et déclara :
- C'est vrai je suis très heureux. Je me sens enfin complet. Ma femme, ma fille, il ne manque plus que ma sœur auprès de moi et ce sera parfait.
- Merci cela me touche beaucoup ce que tu viens de dire Diego et je viendrais bientôt voir ta petite merveille.
- Mais... parce que ta phrase en annonce un !
- Mais... je suis bien où je suis, je me retrouve et j'aime ce que je fais.
- J'ai trouvé ça amusant que tu te retrouves dans cette boutique de fleurs.
- Pourquoi dis-tu ça ?
- Tu ne te rappelles pas ?
Je fronçais les sourcils en comprenant pas où il voulait en venir.
- Quand on était petit, tu passais ton temps à faire des bouquets. Tu cueillais tout ce que maman t'autorisait à cueillir. Sur le buffet c'était un vrai autel couvert de bouquets de toutes tailles. Tu te débrouillais bien si je me souviens des commentaires de maman.
J'étais scotchée. Je ne m'en souvenais pas. Cela me fit chaud au cœur d'entendre Diego parler de notre mère. Elle me manquait parfois.
- Vraiment ? Je n'en ai aucun souvenir.
- Je suis surpris, je pensais que c'était pour cela que tu travaillais là-bas.
- Non, c'est le hasard.
- Le hasard tu dis ? Sais-tu ce que disait maman du hasard ?
Je fis non de la tête, mais me rappelant que nous étions au téléphone je soufflais un "non".
- "Le hasard c'est le nom que prend Dieu quand il veut rester anonyme."
Je ricanais :
- "Dieu" hein ?
- C'est ce qu'elle disait. Bien que nous doutions de l'existence de Dieu, je veux croire en la force du destin ou peut-être que ce sont les esprits de nos parents qui t'ont guidée...
- Je te trouve bien mystique tout un coup !
Il soupira et râla contre le téléphone et reprit :
- Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Mais je dois t'avouer qu'après toutes ces galères, le bonheur que je goûte m'ouvre sur de nouvelles perspectives... Bon sang, je me fais peur en m'écoutant ! Tu as raison je deviens mystique !
J'éclatais de rire et Diego se joignit à moi.
- J'ai hâte de te présenter ta nièce.
- Et moi de la rencontrer. Dès que ... dès que je peux je viendrais, c'est promis.
Après s'être salués et que je l'ai félicité encore une fois, je coupais la communication. Qui aurait cru que la paternité ait à ce point changé mon frère si froid et concentré sur sa propre personne. Cela m'avait fait du bien. Ce soir-là, je ne fis pas de cauchemar et aucune larme ne vint gonfler mes yeux. Je me réveillai le lendemain reposée et joyeuse. Je fus la première arrivée, je préparai le café et tendit à Judith sa tasse comme elle l'avait fait pour moi jusque-là. Elle ne dit rien mais son sourire valait mille mots. Alors que nous préparions les compositions pour la sépulture de madame Jimenez, elle me demanda subitement :
- Tu as décidé de ce que tu allais mettre pour ton rencard de ce soir ?
- Ce n'est pas un rencard, on va juste dîner.
- Tu appelles ça comme tu veux bichette ! Mais un homme et une femme qui mangent ensemble et sont attirés l'un par l'autre, j'appelle ça un rencard... mais après chacun sa définition !
Je lui tirai la langue. Je savais bien qu'elle avait raison et je ne savais pas si je saurais résister encore longtemps à John. Il m'avait émue la veille. Il acceptait de se mettre à nu devant moi, ne rien prévoir, céder le contrôle à l'instant.
- Je pensais mettre ma robe fleurie, un peu bohème.
- Ahhh ! tu y as pensé sérieusement ! Tu me rassures et très bon choix, elle te fait un décolleté de fou. S'il ne quitte pas tes yeux du dîner c'est que c'est un vrai gentleman.
Je ris à sa remarque. John était un gentleman, je n'en doutais pas une seconde. Mais je crois que j'aurais été vexée s'il n'avait pas jeté quelques coups d'œil à mon décolleté.
A l'heure prévu, il m'attendait avec une rose Pierre de Ronsard. Ma préférée. Je reconnais le papier de la boutique. Touchée de son attention, je le remerciai et déposai un baiser près de ses lèvres. Un frisson me traversa quand mes lèvres touchèrent sa peau. On se regarda dans les yeux durant un petit moment d'éternité. Bon sang, comment allais-je lui résister alors qu'un simple bisou sur la joue me mettait déjà en émoi. La sonnerie de son téléphone nous reconnecta à la réalité. John prit ma main alors qu'il envoyait paître son interlocuteur. Je ris de l'entendre râler après celui qui venait d'interrompre un moment magique. Il m'invita à aller chez Miguel pour dîner. Ravie je me plaçai derrière son fauteuil et le poussai. Il grogna encore dans sa barbe, je sais qu'il n'aimait pas que l'on s'occupe de lui, mais le fauteuil était réel et il fallait que l'on vive avec. Je refusai que ce soir un ou une autre qui s'en occupe tandis que je marcherais à côté. Ce moment n'était qu'à nous, je refusais de le partager avec qui que ce soit.
Il nous avait réservé une table dans une petite alcôve parfaite isolée du reste du restaurant. Je le plaçais et vins m'asseoir face à lui.
- Tu es magnifique bellissima Bella.
- Cela m'avait manqué ce surnom. Merci, John. Tu es très beau toi aussi.
Il portait juste une chemise claire qui mettait en valeur ses pectoraux et ses biceps musclés et des jeans noirs. Ses cheveux étaient coupés de frais et sa barbe de trois jours fraîchement taillée. J'avais envie de lui caresser les joues et de me blottir dans ses grands bras.
Bon sang Bella !! Remets-toi !
- Tu as choisi ce que tu vas prendre ?
- Oui, de la lotte !! Miguel la cuisine comme personne !
- Eh bien tu le vends bien, je te suis !
Le dîner se passa tranquillement, il était si facile d'apprécier John. Il était doux, patient et aimable. J'étais définitivement sous le charme. Mais il fallait que nous parlions avant. Je devais comprendre pourquoi il avait manigancé tout cela pour me mettre dans son lit. Alors que nous attendions le dessert, je mis les pieds dans le plat :
- John, pourquoi ?
Il me regarda, d'abord surpris de cette question puis voyant mon air sérieux, il comprit ce que sous-entendait ma question. Il inspira profondément et me raconta :
- J'ai créé le club pour permettre à des personnes célèbres, riches ou influentes de profiter des plaisirs de la vie, faire des rencontres sans craindre de tomber sur une personne malintentionnée. Je l'ai créé après une aventure désastreuse. Je pensais avoir trouvé celle qui m'acceptait et m'aimait pour ce que je suis et non pas pour mon argent. Mais un jour, je l'ai surpris au téléphone avec son amant, racontant des horreurs sur moi et sur le fait que je n'étais pas seulement handicapé mais aussi complètement naïf. Je résume car elle en a dit tellement qu'elle brisa à la fois mon cœur et mon ego.
Je lui pris la main me rendant compte que cet épisode le touchait encore.
- C'est là que j'ai décidé de faire du ménage dans ma vie, de m'isoler de tous les parasites et de ne chercher que le plaisir sans y mettre de sentiment. Cela durait déjà depuis quatre ans. Je maîtrisais mon cœur, ma sexualité et ma vie. Puis j'ai fait la rencontre avec ton frère, et lors d'une soirée, nous avons échangé sur ce que la vie nous avait ôté. Il m'a parlé de toi, de ses craintes, de sa difficulté à te protéger, du fossé qui se creusait entre vous. Plus il me parlait de toi, plus j'étais curieux de voir celle qui était mon opposé : optimiste, croyant en l'Amour avec un grand A, qui malgré chaque chute, se relevait encore et toujours. C'est là où ma conduite devint répréhensible. Je t'ai suivie, observée, j'ai enquêté sur toi. Je prenais plaisir à observer ta vie de loin, je riais à tes bêtises, j'étais heureux de tes réussites et peiné lorsqu'un nouveau connard abusait de ta gentillesse.
- Tu m'as carrément stalké !
Il baissa les yeux, honteux.
- Je suis désolé. Mais je manquais d'assurance, je ne savais pas si tu m'aurais laissé une place dans ta vie à cette époque-là.
Je réfléchis à ses mots et je comprenais ce qui l'avait motivé à rester caché, regardant de loin sans s'impliquer. Il ne se mettait pas en danger. Il reprit alors :
- Sans que je ne m'en rende compte tu es devenue mon obsession. Alors j'ai imaginé tout un scénario pour te conduire à moi, que l'on se découvre sans que le fauteuil ne soit entre nous. Je m'y suis mal pris Bella, mais chaque moment passé avec toi reste gravé en moi comme les plus beaux moments de mon existence.
- Tu savais que j'allais tomber amoureuse de toi ?
- Non c'était la seule chose que je ne pouvais maîtriser. Je n'ai jamais manipulé tes sentiments et je n'ai pas pu contrôler les miens. Tu n'es plus mon obsession Bella...
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