Chapitre 5 :

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« Françaises, français… »

Cette impression d’un grand silence. Comme si la France toute entière avait cessé de respirer pour mieux écouter les paroles du premier représentant de l’état. Tel un Dieu qui s’exprime, battant tous les records d’audience jamais réalisés dans notre pays.

Et de voir le président, l’air grave tenter d’expliquer, rassurer, tout en faisant comprendre la gravité du moment. Un peu comme ce matin, lorsque John expliquait à ses enfants la situation. La catastrophe aurait été provoquée par une rupture soudaine du pôle nord. Il se serait littéralement coupé en deux, provoquant un effondrement, puis une vague gigantesque se propageant à travers le globe. La situation devrait empirer au fil des heures et des jours à venir même si ce sera plus progressif. Cette masse de glace gigantesque va rapidement fondre, entrainant une hausse importante du niveau de l’océan. De plus, lorsque la vague atteindra le pôle sud, il est possible que le choc provoque un phénomène identique, dans l’autre sens. Le président commence à évoquer les victimes, 100 000 morts ont été recensés en France, mais le bilan sera sans doute fortement revu à la hausse, le chiffre d’un million de morts est évoqué. John et Karine continuent d’écouter le discours pendant de longues minutes mais leur esprit est ailleurs. Aucune cause n’est évoqué, aucune mesure n’est prise, juste un président dépassé par la situation qui se transforme en simple observateur. Le réchauffement climatique est à peine sous-entendu, mais aucune remise en cause. À l’entendre il s’agit d’une tragédie ponctuelle, et après une période de deuil, nous devrions reprendre nos activités, comme avant.

Karine regarde John, l’air de dire « Et maintenant, que faisons-nous ? ». Pas seulement pour cet été, mais pour la suite, pour le reste de notre vie, pour donner une chance à nos enfants ? N’est-ce pas déjà trop tard ? Les valises sont là dans un coin. Prêtes pour un voyage qui n’aura pas lieu. Des centaines de milliers de disparus, des millions de familles éplorées. Mais pour les vivants ? Que fait-on maintenant ?

« Et si nous partions ? Demande Karine.

— Pour où ? Pourquoi faire ? Il nous faut trouver un travail, une maison. Répond John.

— Est-ce si important ?

— Tu te vois vivre dans une ferme, à élever des moutons, faire pousser des tomates ?

— Et pourquoi pas ? Tu penses vraiment qu’il y a une vie après ça ? Tu penses que la situation va s’améliorer ?

— Le gouvernement va bien faire quelque cho…

— CELA FAIT 40 ANS QUE LES GOUVERNEMENTS NE FONT RIEN ! RIEN ! CELA FAIT 40 ANS QUE DES SCIENTIFIQUES HURLENT QU’IL Y AURA UNE CATASTROPHE ! 40 ANS QUE C’EST PRÉVU ! »

Karine s’effondre en larmes. Toute la pression, tout le stress cumulés dans la journée sort désormais à grosses larmes. John la serre fort dans ses bras, souhaitant la rassurer, la protéger de ce monde extérieur qui s’effondre. Mais comment ? La tâche n’est pas à la portée d’un être humain seul. Et même si toute l’humanité décidait maintenant, enfin, de s’unir et d’aller dans une seule direction, même si c’était imaginable, cela pourrait-il changer l’avenir qui s’annonce ? Cela ferait-il revenir les morts ? N’est-ce pas tout simplement trop tard.

C’est ainsi que serrés sur le canapé ils finissent par s’endormir, au son d’une télévision qui n’a que des images d’horreur à offrir.

Le lendemain, ils décident de consacrer leur journée à élaborer des plans. Doivent-ils rester en France ? Quelles seraient les zones les plus sûres ? Les montagnes ? La disparition des glaciers provoquent des éboulis en série, les pierres cassent, s’effondrent. L’an passé encore, un village complet a entièrement disparu. Les plateaux agricoles du centre de la France ? Pourquoi pas. Ils ont quelques économies, et pourraient, au moins pour un temps, décider de s’installer dans un petit village isolé. Un changement de vie radical. Partir à l’étranger ? C’est aussi une option, ils parlent tous les deux anglais, les enfants apprendront facilement une nouvelle langue. Et puis un pays froid en plein réchauffement climatique, cela ne doit pas être si terrible. Reste à savoir si les conditions d’accueil restent favorables. La Norvège, la Suède et la Finlande ont de nombreuses côtes et ont également dû subir les conséquences de cette montée soudaine des eaux.

Alors qu’ils évoquent ces possibilités, au milieu des centaines de questions des enfants tout aussi inquiets, ils entendent un bruit sourd à l’extérieur de la maison. John se lève brusquement pour aller voir. Il revient en courant.

« Je vais chercher l’extincteur ! »

John court vers le garage. Pendant ce temps Karine se rend sort à son tour pour constater un début d’incendie au niveau de la climatisation. Elle est immédiatement prise à la gorge par un air sec et terriblement chaud. John arrive avec l’extincteur et éteint ce départ de feu rapidement.

« Que s’est-il passé ? Demande Karine.

— Je ne sais pas. La climatisation nous a lâchés. Répond maladroitement John.

— C’est bien le moment. Tu es sûr que c’est bien éteint ? Il fait toujours très chaud.

— On est dehors, la chaleur ne vient pas du feu. C’est la température extérieure qui est étouffante. »

Ils rentrent rapidement dans la maison où l’air est encore frais. Plus pour très longtemps maintenant. Karine regarde sur son téléphone la météo. 55°C ! En juin !

— Il faisait encore 42°C à peine hier, comment est-ce possible ? Demande Karine.

— En tout cas cela explique que la clim ait cramée, elle n’a pas supporté la chaleur. Commente John.

— Demain 58°C. Aucune prévision pour les jours d’après…

— …

— … Comment va-t-on faire ? S’inquiète Karine, un trémolo dans la voix. »

Partir devient désormais la priorité. Les bagages sont prêts, ne manque plus que la destination.

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