17 Le doudou de parole
À tous, la nuit semble éternelle. Caroline pleure longtemps sur l’épaule de Roland. Vers vingt heures, Azalée descend les marches sur la pointe des pieds pour se rendre à la cuisine. En passant, elle ne peut s’empêcher d’observer Caroline, lovée contre Roland dans le canapé. Ce n’est que lorsque Roland tourne la tête pour la dévisager qu’elle réaliser qu’elle s’est immobilisée. Écarlate de honte d’avoir été prise sur le fait, elle se précipite vers le réfrigérateur pour l’ouvrir.
Distraitement, elle prépare une salade de chou rouge et de carottes râpées avec des noix et une vinaigrette. Elle inspire longuement pour se donner du courage, s’efforce de sourire, remplit deux assiettes et passe le seuil. Sans oser dire un mot ni croiser leurs regards, tête baissée, elle tend les deux salades à Caroline et Roland.
— Merci, ma tourterelle, murmure Caroline entre deux sanglots en saisissant son assiette.
Azalée ne répond rien et se retourne pour partir. Voir, le visage magnifique de Caroline ravagé par les larmes lui brise le cœur et elle sait immédiatement qu’assister à ce terrible spectacle une seconde de plus la détruira à n’en pas douter. De surcroît, chaque fois qu’elle pose les yeux sur elle, elle visualise désormais son sublime corps et ses traits déformés par la jouissance. Idem pour Roland. L’idée des prochains cours avec eux l’angoisse et elle se demande comment elle parviendra à se concentrer sur leurs cours.
— Attends, ma poupée.
Azalée se fige à la voix suppliante de Caroline. Et elle n’est pas la seule : Roland est tendu, dans l’attente, les sourcils froncés, sa fourchette suspendue à quelques centimètres de ses lèvres entrouvertes.
— On peut tous manger dans la cuisine… en famille ?
La phrase de Caroline est à mi-chemin entre affirmation et question. Azalée opine avant de se rappeler qu’elle est toujours de dos.
— Bien sûr, accepte-t-elle timidement avant de s’éclipser.
Elle revient quelques minutes plus tard avec Niels et Jacob. Caroline et Roland ont dressé la table et les attendent. Caroline a pris le temps de se remaquiller pour tenter de dissimuler ses yeux rougis et a plaqué un sourire factice sur son visage. Il semble alors à Azalée qu’elle a au moins pris dix ans de plus en si peu de temps.
La totalité du repas se déroule dans le plus grand silence. Niels et Caroline ont voulu prendre le sel en même temps et leurs mains se sont touchées. Niels s’est empressé de retirer la sienne avec dégoût en lançant un regard haineux à sa mère, qui a dégluti et retenu tant bien que mal ses larmes. Hormis cela, personne n’interagit avec personne.
Une fois leurs assiettes terminées, les enfants ne restent pas pour débarrasser comme ils le font toujours. Caroline regarde la table avec un désespoir immense.
Roland l’embrasse alors tendrement sur la petite fossette aux coins des lèvres et murmure :
— Laisse-moi faire, Caro.
Il lui faut tout juste une minute. Puis il la suit dans la chambre à coucher, se déshabille et se blottit contre elle. De nouveau, elle pleure, longtemps, pendant qu’il lui caresse les cheveux.
Enfin, ils s’endorment.
Le téléphone de Caroline vibre sur la table de chevet et la réveille. Elle observe le visage paisible de Roland, qui n’a rien entendu et ronfle doucement. Avec délicatesse. Elle enlève les draps de son corps et se redresse en position assise en baillant pour lire le SMS qu’elle vient de recevoir de Frank.
Hey mon amour. J’arrive dans moins de vingt minutes. Tu me manques tellement, j’ai si hâte de recevoir ma pipe du matin comme avant… Un an que j’attends ça, j’en peux plus ! Profite bien de ce dernier moment avec Roland car ce sera son dernier dans notre lit et après tu seras rien qu’à moi pour toujours, mon amour.
Caroline sourit alors que ses yeux s’embuent de larmes. Elle bat des cils à plusieurs reprises pour ne pas pleurer. Se remémorant tous les matins avec Frank, puis tous ceux sans lui, elle pose son regard sur le membre érigé de Roland, qui ronfle toujours, se mordillant la lèvre inférieure, indécise.
Roland méritait la plus incroyable des nuits d’adieux à jouir encore et encore en elle, et il a eu la plus désastreuse, sans sexe et avec des pleurs. Et elle a des envies voraces en regardant l’énorme bosse à travers le drap, à cause du SMS de Frank. D’un autre côté, il y a les enfants.
« Il me haïssent déjà, de toute façon… » songe-t-elle tristement, fermement décidée à prendre Roland en bouche.
Elle met l’énergie du désespoir dans chaque va-et-vient et coup de langue. Peu à peu, Roland se réveille : sa respiration change, et il caresse les cheveux de Caroline dans un encouragement silencieux à essayer une dernière fois de le prendre en gorge profonde.
Et pour la première fois après une multitude de vaines tentatives, elle y parvient. Surpris, Roland se répand en quantité impressionnante dans sa bouche sans avoir pu la prévenir.
Elle avale et se redresse pour le regarder droit dans les yeux, victorieuse. Sensuelle, elle lèche le sperme qui dégouline sur son menton et lui fait un clin d’œil.
— Bonjour… chuchote-t-elle, charmeuse.
Il lui répond sur le même ton, souriant, bien que l’éclat de tristesse qu’elle a dans le regard ne lui ait pas échappé. Sans un mot, chastement, il la serre contre lui. Elle laisse reposer sa tête contre son buste alors qu’il la berce en lui soufflant des mots rassurants à l’oreille.
Aucun d’eux ne voit le temps passer. Ils restent ainsi, jusqu’à ce que le téléphone de Caroline vibre à nouveau. Roland la retient contre lui et tend le bras pour lui donner son téléphone.
— C’est Frank, il est en bas…
Sa voix est rauque, brisée par l’émotion. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle ressent. Tout se bouscule dans sa tête. Elle aime tellement Frank, elle a si hâte de le voir. Elle a hâte aussi de l’envoyer réveiller les enfants pour leur faire la surprise. Et en même temps… elle appréhende. De voir dans les yeux des enfants l’admiration pour Frank et le mépris pour elle. De sentir pleinement que, durant un an, elle n’a été qu’une traînée infidèle et volage, rien de plus qu’un trou à baiser pour des inconnus de passage. D’assister à la rencontre entre Frank et Roland et que celle-ci se passe mal…
Elle a peur. Son corps refuse de lui obéir et de bouger correctement. Les membres gourds, elle se lève maladroitement et trébuche. Elle enfile avec précipitation sa tenue de la veille, plissant le nez avec contrariété quand elle ne parvient pas à remettre la main sur son string noir.
— Ça fera l’affaire… marmonne-t-elle dans un soupir, avec une moue chagrine.
Quand elle se retourne vers Roland pour lui dire de se rhabiller, elle le scrute, surprise.
Déjà vêtu, il l’observe en souriant. Elle fronce les sourcils, craignant un instant qu’il ait développé des sentiments pour elle. Comme s’il lisait dans ses pensées, il la détrompe bien vite.
D’un geste lent du pouce, il essuie du sperme aux coins des lèvres de Caroline et le lui fait lécher.
— Maintenant, tu es présentable.
Il lui sourit. Elle pique un fard et quitte la pièce pour se soustraire à son regard. Il la suit. Ils descendent les marches à pas feutrés pour ne pas réveiller les enfants.
Lorsque Caroline ouvre la porte à Frank, elle se jette à son cou, en larmes, et l’embrasse à pleine bouche tandis que Roland reste en retrait poliment, néanmoins touché par ses retrouvailles émouvantes.
Leur baiser est fougueux, rempli de passion, de manque à combler, de désespoir solitaire. Bien qu’à contrecœur, Frank y met fin, caresse la petite fossette de Caroline tendrement en lui souriant puis prend la parole :
— Caro chérie, et si tu nous faisais un petit café qu’on boira dans le salon ?
Il se tourne ensuite vers Roland, lequel et surpris de ne pas déceler la moindre preuve de jalousie sur son visage amical et détendu. Même si Caroline lui avait tout expliqué de la situation avant d’accepter d’avoir le moindre rapport sexuel avec lui, le doute subsistait dans son esprit jusqu’à présent.
— Enchanté Roland. Caro ne m’a dit que du bien de toi. Je suis heureux que tu aies aussi bien pris soin de ma femme en mon absence.
Frank pose une main amicale et douce sur l’épaule de Roland et l’invite à rejoindre le salon. Lorsque Caroline revient avec un plateau contenant deux bols de café et une tasse de thé pour elle-même, ils sont tous les deux assis confortablement dans le canapé. Frank, avachi, jambes écartées, lui raconte avec amusement la première partie de pêche de ses enfants, durant laquelle Niels, trop dégoûté de toucher un ver, avait pleuré en traitant les trois autres de « méchants meurtrereurs ».
Alors que Caroline s’apprête à s’installer dans le fauteuil pour laisser leur confort aux deux hommes, Frank la tire délicatement vers lui et la fait asseoir sur lui. Il respire longuement ses cheveux, gémissant de contentement, puis lui murmure à l’oreille :
— Tu m’as tellement manqué… Tu sais combien je t’aime…
Son souffle contre sa peau la fait frémir de bonheur. Elle rougit, consciente du regard intense de Roland sur elle. Elle voudrait répondre exactement les mêmes mots, car elle les pense tellement, tellement, tellement fort. Mais ils refusent de sortir de sa bouche alors même que son cœur les hurle à pleins poumons.
— S’il te plaît, Frank… parvient-elle à murmurer.
Elle ignore ce qu’elle demande. Frank la comprend mieux que personne, et mieux qu’elle-même, visiblement.
Son rire bref et franc touche Caroline en plein cœur. Ça lui avait tellement manqué ! Ça résonne en elle comme jamais personne d’autre que Frank ne peut la faire vibrer. Elle a la sensation que, enfin, elle a retrouvé la moitié perdue de son âme et qu’elle est de nouveau entière, après tout ce temps.
— Tu as raison, mon amour, je profiterai de toutes tes merveilles plus tard ! s’exclame-t-elle, la faisant virer à l’écarlate. Alors, Roland, Caroline a pris le temps de t’expliquer un peu pourquoi je voulais te rencontrer ?
Caroline se fige : elle ne pensait pas que Frank entrerait ainsi dans le vif du sujet. Elle n’a même pas eu le temps de lui raconter tous les événements de la veille. Quant à Roland, elle n’a pas pu discuter avec lui aussi profondément qu’elle et Frank le souhaitaient concernant la sublime et innocente petite vie qui grandit actuellement en elle.
Roland plonge son regard dans le sien et elle sent l’angoisse poindre alors qu’elle tente de lui communiquer avec les yeux tout ce que ses lèvres sont incapables de prononcer. Il s’éclaircit la gorge et, de sa voix grave, profonde et chaude qui lui retourne systématiquement les entrailles, il répond.
— Eh bien, oui, dans les grandes largeurs, je suis au courant. Cependant, nous n’avons pas vraiment eu le temps de… eh bien…
Il devient tout aussi écarlate que Caroline. Une fois de plus Frank rit pour détendre l’atmosphère.
— Ne t’en fais pas, Roland, nous avons largement assez de temps pour en discuter. Caroline m’a dit que les enfants ne dormaient pas ici cette nuit alors…
C’en est trop pour Caroline, qui font en larmes en enfouissant son visage dans le cou d’un Frank qui tombe des nues. Des bribes de mots au milieu de paroles incompréhensibles lui parviennent alors qu’il fait tout pour l’apaiser, lançant un regard à Roland pour le sommer d’expliquer pourquoi sa femme est dans cet état.
Laconiquement, Roland s’exécute.
— Merde… jure Frank en frottant le dos de Caroline. Tout va s’arranger, mon amour. On va faire une réunion de famille. Tout de suite. Où est le…
Il ne termine pas sa question, car Caroline, sanglotant toujours, pointe un doigt tremblant vers le marbre de la cheminée. Il lui embrasse tendrement le front à plusieurs reprises en lui répétant que tout va s’arranger et la dépose sur Roland pour pouvoir se lever. Elle passe immédiatement ses bras autour du cou de celui-ci, sans aucune conscience de ce qu’elle fait, et imbibe sa chemise de larmes.
Pendant que Roland lui caresse le dos en lui murmurant des mots rassurants pour prendre la relève de Frank, ce dernier, lui, se dirige vers la cheminée. Effectivement, sur le marbre, un petit lapin en peluche tout abîmé et qui a perdu son blanc d’origine pour devenir gris terne, est bien là, semblant l’attendre. Il s’en saisit, refoulant ses souvenirs, décidé.
Il regarde sa montre : hors de question que les garçons fassent la grasse matinée tant que les choses ne seront pas mises au clair. Il monte les marches le pas lourd. Ce n’est pas dans ses habitudes, mais il ouvre la porte de la chambre de Niels et entre sans frapper, allumant immédiatement la lumière. Il se fige, surpris.
Niels, aveuglé, ne réalise pas ce qu’il se passe.
— M’man, t’fous quoi, j’dors là, va baiser mon prof dans l’dos d’papa… grogne-t-il.
Il tente de se retourner et de se protéger de la lumière avec le drap, mais Azalée, le teint écarlate, l’en empêche, mortifiée.
Niels s’apprête à protester, puis ses yeux s’arrondissent comme des soucoupes.
— Papa ‽ Que… Tu… Je… Quoi ‽
— Réunion de famille. Tout de suite. On parlera de… ça… plus tard.
Azalée rougit de plus belle, comprenant que « ça », c’est elle. Elle se frotte la nuque, au comble de la honte. Ce n’était pas prévu, preuve en est, elle est tout habillée de ses habits de la veille et non en pyjama, mais elle a dormi tout contre Niels. Et, bien qu’elle n’ose même pas se l’avouer à elle-même, elle n’a jamais aussi bien dormi qu’avec lui.
Ni elle ni Niels n’ont le temps de répliquer quoi que ce soit, car il les laisse en plan. Ils l’entendent faire et dire la même chose à Jacob, puis descendre les escaliers.
Azalée veut s’éclipser, gênée, mais Niels la retient par le poignet et la supplie de venir avec lui. Il ne peut pas se confronter seul à ce qu’il ressent, et encore moins à ses parents. Toute une année, il a attendu avec impatience le retour de son père . Mais maintenant… il est à la fois ravi et furieux. Tout se déchaîne dans sa tête. Il ignore si ce retour jusqu’alors tant espéré est une bonne surprise ou non. Il a imaginé la scène des milliards de fois, mais très certainement pas de cette façon ! Et puis, certes, la réunion de famille sert à tout mettre sur la table, mais comment va-t-il annoncer l’infidélité de sa mère à son père ? Et doit-il vraiment le faire, même si aucun secret n’a jamais été dissimulé dans leur famille ?
Il a besoin d’Azalée. Elle seule, en dehors de Prairie, parvient à lui faire garder le contrôle de ses émotions. Et puis, son petit corps délicat blotti tout contre lui la nuit entière a été son salut. Sans ça, il aurait saccagé sa chambre et fini roulé en boule sur le sol, sanglotant, jusqu’au petit matin.
Ils sont les derniers à rejoindre le salon. Jacob est à sa place habituelle, dans le fauteuil. Roland est à la place qu’occupe généralement Niels lors des réunions familiales. À côté de lui se tient Frank avec, sur ses genoux, Caroline. La seule place restante, entre Roland et le couple, est celle où Zachée devrait se trouver.
Reniflant et arborant un air hautain qu’il n’a jamais, Niels s’y installe, puis fait asseoir Azalée sur ses genoux. La malheureuse a le visage rubicond et ne sait plus où se mettre, tant à cause de sa proximité avec Niels en public que de la situation.
L’image, qu’elle n’oubliera certainement jamais, de Caroline et Roland en pleine jouissance lors de l’acte sexuel se superpose à l’instant présent. Mal à l’aise, elle passe une main dans ses cheveux emmêlés.
Frank s’éclaircit la gorge en plaçant le lapin en peluche dans les mains de Caroline.
— À toi de commencer, mon amour.
Azalée, les dévisage, perplexe. Puis elle observe Jacob et, enfin, Niels. Seul Roland semble aussi perdu qu’elle. Elle fronce les sourcils alors que, avec un sourire triste, Caroline prend la parole.
— Je…
Elle étouffe un sanglot.
— Mes trésors, votre père est l’homme de ma vie. Ce qu’il s’est passé hier, c’est… Ce n’est pas ce que vous imaginez… Roland est juste un excellent ami.
Niels, ricane, cruel. Elle lui lance un regard suppliant. D’un geste vif, presque brutal, il lui prend le doudou des mains et commence à parler. Azalée comprends que c’est la version Laforêt du bâton de parole et ne peut retenir un sourire, ce disant que c’est vraiment bien le genre de cette famille dont elle rêverait de faire partie.
— Un excellent ami, c’comm’ça qu’on appelle c’ui avec qui qu’on couche dans l’dos d’son mari ? demande Niels, gardant difficilement une voix calme et polie.
Pour l’apaiser, sentait qu’il est proche de perdre le contrôle, Azalée serre sa main qui tient le lapin. Après quelques secondes d’un silence édifiant. Frank se saisit du doudou.
— Niels, fiston, ta mère est la plus merveilleuse femme et mère dont on puisse rêver. Tu ignores le fin mot de l’histoire. D’ailleurs, cette histoire ne devrait regarder que notre couple, et certainement pas nos enfants. Et je te prie de respecter ta mère. Elle ne mérite pas toute ta colère. Tu vas t’excuser auprès d’elle et de Roland. Tu t’es comporté comme un osti d’imbécile d’gamin mal élevé depuis hier soir. On ne t’a pas éduqué comme ça avec ta mère.
Niels ne prend pas la peine d’attraper le lapin et s’exclame, perdant son calme malgré les tentatives d’Azalée de l’aider à se maîtriser :
— Quoi ‽ Mais c’est…
Frank le rappelle à l’ordre.
— P’teh ! jure Niels. È’s’donne comme une pute à mon gros nase d’prof et c’est moi qu’j’dois m’excuser ‽ Ç’a pas d’bon sen’ ! Vous êtes pathétiques ! Et toi t’accepte qu’è’t’trompe comme un moins qu’rien, B’Diou d’marde !
Un éclair de douleur transperce les iris de Caroline, mais elle ne contredit pas son fils, baissant honteusement les yeux et se mordant la lèvre inférieure pour contenir un nouveau sanglot. Mais maintenant que Niels a ouvert les vannes, il est incapable de s’interrompre.
— T’es encore p’u pathétique qu’elle, p’pa, câlice ! Tout est ta faute, viarge ! T’as p’teh d’osti d’détruit not’ famille ! Tu pourrissais dans une prison d’marde au lieu d’être avec nous pa’ce qu’t’as insisté pour y êt’ ! Tu nous as abandonnés pendant une p’teh d’année ! Une. P’teh. D’année ! T’imprimes-tu comme c’est une osti d’éternité ? J’te déteste !
Niels sert sa main libre sur la hanche d’Azalée si fort qu’elle grimace. Cependant, elle ne dit rien, les yeux rivés sur ses doigts qu’elle triture, des larmes discrètes sillonnant doucement ses joues.
Elle renifle doucement et, à la grande surprise de tous, même de la sienne, elle s’empare doucement du doudou, de l’interrogation dans le regard.
— Je ne comprends pas la situation, mais je souffre de vous voir comme ça… dit-elle faiblement.
Elle veut se lever, mais Niels la retient. Elle lance donc le lapin à Jacob. Elle a l’intuition qu’il ne prendra jamais la parole de lui-même, et elle veut qu’il exprime lui aussi ce qu’il a sur le cœur.
Il inspire longuement, les scrutant tous tour à tour. Puis fixe Caroline intensément. Malgré sa douleur et sa honte, celle-ci ne flanche pas et garde ses iris profondément ancrés dans les siens.
— Je suis perdu. Vous nous avez appris à rien se cacher, mais vous avez des secrets pour nous et si on avait rien vu ça continuerait, vous êtes pas transparents. Si on devait suivre votre exemple vous seriez déçus autant que je le suis maintenant. Je m’en fous d’avec qui maman couche, c’est vos affaires, mais que vous nous mentiez et cachiez des choses non. Ça, vraiment, ça me…
Visiblement, il ne trouve jamais le mot qui convient car, après quelques secondes d’un silence pesant, il hésite à poser le doudou sur la table basse, puis décide de le donner à Roland, sans oser le regarder.
— Je pense que Frank a raison et que tu dois t’excuser, Niels.
Niels ouvre la bouche pour protester mais, agissant comme son professeur, il le stoppe de la main avec autorité et enchaîne.
— Je pense aussi que Jacob a raison. Si l’ont doit discuter de ce pourquoi je suis véritablement ici, les enfants devraient être là, car ça va impacter leurs vies autant que les nôtres.
Il observe les réactions des autres quelques secondes. Jacob griffe l’accoudoir de son fauteuil en fixant le plafond. Niels crispe tellement la mâchoire qu’il risque de se la luxer. Azalée caresse délicatement le dos de la main de ce dernier pour l’apaiser. Le visage de Caroline est enfoui dans le cou de Frank, car elle rêverait disparaître à leur vue. Frank lui caresse les cheveux et lui murmure quelque chose à l’oreille. Elle lève la tête pour le dévisager, du doute dans le regard, puis opine. Elle se redresse et tends la main pour que Roland lui donne le lapin.
— Je suis enceinte…
Elle tente de continuer, mais rien ne vient. L’horreur se dessine sur les traits de Niels, qui ne parvient pas non plus à parler. Azalée a les yeux écarquillés et Jacob se pince l’arête du nez comme pour chasser une migraine.
Frank, sans prendre la peine d’attraper le lapin, brise le silence.
— Votre mère n’a rien à se reprocher. Je lui ai demandé de faire venir Roland. Il est le potentiel géniteur le plus probable de l’enfant. Non, Niels, laisse-moi finir. On ne comptait rien vous cacher, on voulait demander à Roland de faire un test de paternité avant de vous parler, au cas où il ne s’agirait pas de lui me d’un des autres amants de votre mère.
Une fois de plus, Azalée écarquille les yeux. Niels s’étouffe avec sa salive et Jacob enfonce ses ongles si profondément dans l’accoudoir qu’il s’en casse un. Le teint de Caroline est pivoine. Roland frotte pensivement sa barbe, pâle : il n’imaginait pas que Frank présenterait les faits de façon aussi directe. Certes, il est pour la franchise, mais, aussi responsables et bien élevés qu’ils soient, Azalée, Niels et Jacob restent des enfants dont la sensibilité exacerbée doit être protégée.
— D’autres amants ? Et toi tu l’acceptes, p’pa ? Vous vous aimez plus ? Vous allez divorcer ? panique Niels, la voix chevrotante, tremblant de tous ses membres. C’est pa’ce qu’t’étais en prison, p’pa ‽ Alors tout est ma faute ‽ J’aurais-t-y don’ pas tant merdé qu’vous en s’rez pas là, p’teh ! J’aurais jamais dû vous écouter ! Maint’nant m’man est en cloque d’mon prof, B’Diou d’marde ! Alors quoi, t’vas nous abandonner tous seuls avec papa et partir avec c’blaireau maint’nant qu’t’vas avoir un chiard d’lui ‽
C’en est trop pour Niels, qui se retient de se lever, tenant Azalée plus fort contre lui, luttant contre son envie de retourner la table basse et de mettre le salon sens dessus-dessous.
— Niels, mon bébé… sanglote Caroline. Rien n’est ta faute, mon trésor. Je n’arrêterai jamais d’aimer ton père plus que tout au monde. Rien ni personne ne détruira jamais notre famille. Vous êtes mes amours et Roland est juste un excellent ami, jamais je ne vous abandonnerai. Tout ce que je fais depuis un an est par amour, je vous le promets… Je… je… Frank ?
Frank, entendant la détresse dans sa voix, vole à son secours.
— Votre mère dit vrai. C’est moi qui ai provoqué tout ça : je ne voulais pas qu’elle perde une année de sa vie sans ressentir de… plaisir purement charnel et qu’elle m’en veuille à mon retour. Je voulais que notre couple sorte plus fort de tout ça, et c’est le cas. Elle ne voulait pas de tout ça et voulait m’attendre comme une épouse exemplaire. Je l’aime encore plus d’avoir fait tout ça pour moi. Comme elle le dit, rien ne nous séparera jamais, moi aussi je l’aime plus que tout au monde. Si tu dois tourner ta colère vers quelqu’un, c’est moi, Niels. Alors maintenant, on attend tous que tu t’excuses auprès de ta mère. Et après, on discutera de pourquoi cette jolie jeune fille dormait contre toi.
Azalée pique un fard, le feu aux joues, mais n’intervient pas, au comble de la gêne.
— Ç’peut pas êt’ pis… se lamente Niels. J’vais m’excuser. Pou’l’reste, y a rien à dire. J’vois pas pou’quoi j’te parl’rais d’Chouquette alors qu’ch’t’ai pas vu d’puis un an pa’ce qu’tu r’fusais que vienne en parloir… bougonne-t-il avant de laisser un blanc.
Les lèvres pincées, il a du mal à s’excuser, ayant un profond sentiment d’industice qui fourmille dans ses entrailles, car il n’a fait qu’énoncer des vérités. Caroline s’est donnée à moultes autres hommes que Frank pendant tout une année, après tout.
— J’m’excuse, m’man…
Frank claque la langue, insatisfait. Niels comprend le « C’est comme ça que l’on t’a appris à présenter tes excuses, fiston ? » que cela signifie : il soupire en levant les yeux au ciel.
— Je présente mes excuses et espère que tu les accepteras, maman.
Il déglutit, attendant la sentence en dissimulant sa hâte de quitter cette réunion familiale surprise pour se retrouver enfin seul avec sa Chouquette, la seule capable de l’apaiser après tout ce chaos qui vient de pénétrer sa vie familiale et d’infiltrer ses os.
NDA : j'ai VRAIMENT pas eu le temps de relire ce chapitre, même vite fait en passant, je m'excuse par avance si vraiment y a des énormités ! Je corrigerai bientôt (en plus j'avoue que j'ai commencé la nouvelle version du roman : le style change énormément, donc bon j'ai pas eu le coeur de corriger une vesion qui va radicalement changer)
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