Chapitre 1 : Nouveau cadre (pour Shûhei)
Premier vrai jour de cours.
Tôt ce matin, quand les portes de l'ascenseur de mon immeuble se sont ouvertes, je suis tombé nez à nez avec Kinoshita. Nous nous sommes salués pendant que j'entrais dans la cabine, avant d'aller ensemble jusqu'à la gare, sans prononcer le moindre mot.
Comme la veille, le wagon que nous avons emprunté était bondé de lycéennes et nous, les garçons, faisions ce que nous pouvions pour éviter une possible accusation de harcèlement sexuel. À savoir les mains en l'air durant tout le trajet. Kinoshita était resté près de moi tout du long et durant les secousses où elle perdait l'équilibre, mon corps faisait rempart pour l'empêcher de choir. Il n'empêchait, ça faisait son petit effet, une fille qui se pressait contre soi. Même par inadvertance.
(Reste calme, Shûhei ! Tu as une copine !)
Trois stations ! Trois stations à endurer ça ! Même si ce n'était pas complètement désagréable...
J'ai bien vite regretté cette pensée lorsque j'ai croisé le regard de Kinoshita juste après. Le genre de regard qui te juge de façon silencieuse mais mortelle.
Autant dire que j'ai trouvé le temps long, jusqu'à ce qu'on arrive à destination...
Les cours n'avaient même pas commencé que j'étais déjà épuisé. Et la suite n'avait rien arrangé. On jasait déjà sur moi, quand je suis arrivé au lycée avec la déléguée de notre classe. J'ai même eu droit à des regards hostiles, comme si j'étais un hérétique qui osait respirer le même air sacré que leur divinité. Même pour un asociale comme moi, arriver à me mettre à dos la quasi-totalité de ma classe en même pas deux jours, c'était un exploit. Et en ne faisant rien de particulier. À la limite, on aurait dit que ma simple existence était une nuisance.
Les cours de la matinée se sont déroulés sans incidents notoires. Ces derniers étaient assez pointus mais rien d'insurmontable si je bossais bien.
À midi, alors que j'étais sur le point de me rendre à la cafétéria m'acheter un truc à manger, l'un des garçons de ma classe m'interpella. Le genre qui faisait attention à son apparence, bien coiffé et plutôt beau gosse.
-Hé, le nouveau. Ça te dit de déjeuner avec nous ?
En disant cela, il pointa du doigt les deux autres garçons de ma classe.
Je sentais bien qu'il y avait quelque chose derrière cette invitation un peu soudaine, il fallait bien l'avouer.
(Bah, pourquoi pas ? Je pourrais en savoir plus sur mes camarades et l'ambiance générale.)
J'ai accepté et après qu'on ait acheté de quoi déjeuner, on s'est retrouvé dans la cour.
Faisons les présentations.
Le beau gosse, c'était Masauchi Takao. N'appartenait à aucun club. S'était inscrit au lycée Hoshi parce qu'il pensait pouvoir se bâtir un harem ici (vous pouvez rire de lui) mais surtout, parce que c'était le lycée le plus proche de chez lui.
Ensuite, Ueda Gon. N'appartenait à aucun club. Assez petit (on le dépassait tous d'une tête), toujours la capuche de son sweat sur la tête et un masque chirurgical qui lui couvrait la moitié inférieure du visage. Avec ça et ses énormes cernes, on avait l'impression qu'il était malade et au bout de sa vie.
Enfin, Yagihara Ryôkan, surnommé Yagi par les autres. N'appartenait à aucun club. Gros (faut savoir appeler un chat « un chat »). Timide. Ou peu sûr de lui. Difficile à dire, si on ne se fiait qu'à ses petits cris de surprise quand on lui adressait la parole.
-Bon, pourquoi cette invitation ?
Je n'y étais pas allé par quatre chemins. Question directe. Tout en mangeant mon riz.
-Direct, hein ? fit remarquer Masauchi. Bah, c'est pas plus mal. On va gagner du temps.
Il avala un morceau d'œuf dur et poursuivit :
-Tout simple, mon vieux. On se sert juste les coudes, entre mecs de la même classe.
-... Pardon ? Tu vas me faire croire que les filles d'ici vous martyrisent ?
Ueda eut un petit rire et Yagi, un petit tremblement. Masauchi poursuivit après une nouvelle bouchée :
-Tu sais qu'ici, c'était un lycée pour filles avant ?
-Oui. Et ?
-Figure-toi que le fait qu'il devienne un lycée mixte n'ait pas plu à tout le monde. Les parents d'élèves, parce qu'ils s'imaginaient que leurs filles pourraient mieux réussir sans la fréquentation quotidienne du sexe opposé – rigole pas, c'était vraiment ce que pensait plusieurs parents. Ajoute les préjugés qu'ils avaient en pensant aux garçons qui allaient s'inscrire dans un établissement où, pendant longtemps, il n'y avait que des filles...
-Et ajoute encore par-dessus les préjugés des filles, ajouta Ueda en glissant sa bouchée sous son masque.
-J'imagine que la première année où le lycée a accueilli des mecs a été un calvaire..., ai-je dit.
Les trois garçons ont dégluti presque en même temps.
Masauchi a poursuivi :
-Le premier mois, le comité de discipline trouvait n'importe quel prétexte pour qu'un élève masculin soit sanctionné voire renvoyé. Mais le proviseur, quand on lui a rapporté les abus, a sanctionné ledit comité et plusieurs membres ont dû démissionner, si elles ne voulaient pas être mises à la porte.
-Ensuite, poursuivit Ueda, on s'était aperçu que les filles excluaient volontairement les garçons de toute forme d'activités extra-scolaires. Par exemple, plus d'un club a refusé l'inscription d'un membre masculin. Souvent sans donner d'explications valables. Et certains professeurs féminins, surtout les plus anciennes, soutenaient ces décisions. En résumé, si tu étais né avec un chromosome Y, on te traitait comme un intrus et ça pouvait aller jusqu'au harcèlement. Et crois-moi, tu veux pas te faire harceler par un groupe de fille que t'a pris en grippe.
Yagi se mit à trembler et à sangloter un peu, tandis que Ueda lui tapotait l'épaule en s'excusant de lui avoir rappelé de mauvais souvenirs.
-Yagi en a fait les frais, expliqua Masauchi. Un jour, le lendemain d'un jour où on avait eu sport, une fille de notre classe s'est plainte de ne plus retrouver ses affaires de rechange dans son casier. Très vite, ses copines ont commencé à nous accuser et surtout Yagi, sous prétexte qu'il avait une tête de pervers vu qu'il était gros – non mais cherche pas, pour elles, c'était logique.
-Ce qui était débile, au passage, commenta Ueda.
-Bref. Elles ont accusé Yagi et il a bien sûr assuré qu'il n'avait rien fait. Très rapidement, les autres filles de la classe se sont ralliées à celles qui l'accusaient et ont commencé à l'insulter. Certaines l'ont même frappé en même temps, jusqu'à ce qu'il soit à terre. L'une d'elle ne s'est d'ailleurs pas gênée pour lui casser le nez d'un coup de pied !
-Et la déléguée n'est pas intervenue ?
-Elle n'était pas encore revenue, à ce moment. Quand elle est arrivée, elle avait le sac avec les affaires de rechanges de la fille, en disant que quelqu'un l'avait trouvé dans le casier de la classe d'à côté.
-Attends... Ne me dis pas que...
-Ben si ! L'autre gourde s'était trompée de classe et avait foutue ses affaires dans un autre casier !
-Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
-Comme Yagi saignait, Gon et moi l'avons emmené à l'infirmerie et l'incident a vite atteint les oreilles des profs. Comme personne n'a voulu dénoncer personne, il y a juste eu un avertissement général et ils ont exigés des excuses envers Yagi.
Masauchi soupira avant de poursuivre.
-Certaines se sont sincèrement excusées, d'autres ont fait semblant et les copines de la propriétaire du sac ont dit que même s'il n'avait rien fait, ça aurait pu être lui.
-Et la propriétaire ?
-Des excuses sincères. Elle a vraiment essayé de se faire pardonner envers Yagi. Ce dernier lui avait assuré que c'était du passé, mais maintenant, il ne veut plus avoir affaire aux filles de notre classe.
-Faut pas croire mais Yagi est du genre sensible, dit Ueda en finissant de manger. Ce truc, ça l'a marqué.
Je compatissais envers Yagi. N'importe qui aurait réagi comme lui, à mon avis.
-Et des trucs comme ça, il en est arrivé plein, continua Masauchi. Les relations entre les mecs et les filles dans ce lycée craignaient tellement qu'on en parlait même en dehors.
-Ils ont pris des mesures ? ai-je demandé.
-Si on veut... Des quotas dans les clubs ont été imposés, par exemple. On a aussi demandé aux professeurs de ne pas favoriser tel ou telle élève par rapport à son sexe. Ce qui coulerait de sens, pour un enseignant. Sauf pour une vieille, Mme Takarada. Elle avait enseigné ici presque toute sa vie et voyait d'un très mauvais œil la mixité dans ce lycée. Elle disait que cela entraînerait la déchéance du lycée, que la réputation immaculée de ce bel endroit serait tâchée à jamais et autres conneries dans le genre... Elle a commencé à trop se faire remarquer et avant la fin de l'automne, on lui a demandé de démissionner.
-Et j'imagine que des parents d'élèves et des élèves n'ont pas été ravis.
-Tu parles d'un euphémisme...
Masauchi termina son repas et poursuivit :
-Bref, ça a été chaotique pendant un semestre et ce n'est qu'au suivant que les esprits se sont un peu calmés. Mais le mal était fait. Il y a vraiment eu un schisme qui s'est créé entre les garçons et les filles. Et il ne commence à disparaître que depuis la fin de l'année dernière, grâce à des personnes comme ceux qui sont au conseil des élèves ou la déléguée.
- Kinoshita ?
-Ouais. Quand les filles l'ont élues déléguée, avec son allure droite et son air sérieux en permanence, elles ont dû se dire que Kinoshita ferait tout pour les préserver de l'envahisseur mâle. Et bah non, mon gars ! Elle a tenté de maintenir une cohésion de groupe et de jouer les médiatrices entre nous et les autres. Beaucoup l'ont critiquées mais elle est du genre à n'avoir rien à faire de ce qu'on pourrait dire sur elle.
-Elle est donc sympa avec vous ?
-Ouais, si on veut... Elle s'assure surtout qu'on arrive à s'entendre un minimum avec les autres. Mais vu comment justement les autres nous traitent, c'est mort ! Tant mieux si ça commence à s'arranger dans les autres classes mais dans la nôtre, on a toujours l'impression d'être de trop. Que ce soit volontaire ou pas.
Je ne savais pas si Masauchi disait cela à cause de la rancœur palpable qu'il avait dû accumuler tout au long de l'année dernière, mais il était clair que j'avais débarqué dans un moment où les tensions étaient tendues entre les élèves.
À la fin de la pause déjeuner, Masauchi m'a assuré que je pouvais compter sur lui et les autres mecs si j'avais des ennuis avec les filles de la classe. Solidarité masculine, tout ça...
Enfin, si ça lui faisait plaisir...
Alors que j'allais rentrer en classe, un petit groupe de filles m'a barré la route. Elles me fixaient tous avec un visage énervé, comme si j'avais donné un coup de pied dans un chiot juste devant leurs yeux.
-Vous gênez le passage, leur ai-je dit, sur un ton agacé.
-Tu lui veux quoi, à la déléguée ? me demanda l'une d'elle de but en blanc.
Elle était plus grande que la moyenne des filles de la classe, quasiment ma taille. Membre d'un club de sport, si on se fiait à sa silhouette athlétique.
-Rien. Maintenant, poussez-vous. J'aimerais regagner mon pupitre.
-Fais pas le malin, le transféré ! T'as aucune chance avec elle. Si elle te parle, c'est juste par pitié et parce que la prof lui a demandé de t'aider à t'intégrer ici. Si tu veux pas d'ennuis ici, fais profil bas.
-T'as fini ? T'entendre parler suffit à me fatiguer...
Les autres filles du groupe semblaient encore plus énervées que je réponde, leur meneuse encore plus.
-Hé, Aoyama !
Masauchi, qui était revenu en classe avec les autres garçons avant moi, s'approchait du groupe de filles.
-Fous-lui la paix ! Il a pas à subir vos conneries de groupies !
-Ta gueule, Masauchi ! De toute façon, qu'est-ce que tu vas faire ? C'est pas comme si tu avais les couilles de m'arrêter ! Essaie et on dira toutes que tu t'adonnes au harcèlement sexuel sur les filles de la classe !
-Personne te croira sans preuves !
-Pas besoin de preuve. On aura des témoins plus fiables que ta bande de losers !
Les filles du groupe souriaient en coin, le reste de la classe regardait la scène, gênées et espéraient sans que ça se termine vite, sans penser une seconde à intervenir.
De mon côté, j'ai soupiré d'exaspération.
-Vos enfantillages m'ennuient. Bougez, maintenant.
J'ai pénétré dans la salle, mais à peine avais-je mis à pied dedans qu'Aoyama m'a de nouveau barré la route et m'a saisi par le col.
-J'ai pas fini avec toi, le transféré ! Si tu veux pas qu'on t'en fasse baver, tu vas...
J'en ai eu marre !
Je lui ai alors saisit le poignet et lui ai tordu le bras dans le dos, avant de lui plaquer la gueule contre le pupitre le plus proche. Les filles ont crié de surprises et celles autour de moi s'étaient écartées d'un bond.
-CONNARD ! JE VAIS...
Le fait que je fasse pression avec ma main pour lui enfoncer la tête dans le pupitre ne semblait pas la faire taire. J'ai donc pensé que si elle voulait tant crier, j'allais lui donner une bonne raison. J'ai replié son bras petit à petit, jusqu'à ce qu'elle crie de douleur. J'ai continué et elle a crié de plus belle, en disant que j'allais lui casser le bras, à force.
-C'est le but, lui ai-je dit froidement.
Son regard a croisé le mien et j'y ai vu la peur, quand elle a compris que je ne plaisantais pas. Elle me supplia de ne pas faire ça, mais je n'en avais rien à faire.
J'étais vraiment sur le point de le lui casser quand...
-Ça suffit.
Une voix calme venant de l'entrée de la classe m'arrêta net. Kinoshita venait de revenir du réfectoire avec ses amies et nous fixait, Aoyama et moi.
-Laisse-là partir, Nishiyama. S'il te plaît.
Je l'ai regardé un instant puis j'ai regardé cette garce d'Aoyama. Même si ça ne plaisait pas, je l'ai lâché. Je savais que je m'étais emporté, mais je doutais que cela intéressait qui que ce soit. J'ai fait comme si de rien n'était et suis retourné à mon pupitre.
-Enfoiré ! me cracha Aoyama. Je vais...
-Saeko ! intervint Kinoshita. Retourne à ta place. Le professeur va bientôt arriver.
-Attends, Saya ! Ce type m'a attaqué ! Tu as bien...
-Même si ses actions étaient un tantinet exagéré, de ce que j'ai pu entendre avant d'intervenir, tu l'avais un peu cherché.
-Saya...
-Saeko, tu as déjà eu des ennuis à cause d'incidents dans ce genre. Et à chaque fois, on a statué que tu étais en tort. Si quelqu'un devrait faire profil bas en ce moment, c'est plutôt toi.
Le groupe d'Aoyama se dispersa en se faisant discret et elles regagnèrent leur place en silence. Kinoshita et Aoyama continuaient de se fixer, jusqu'à ce que cette dernière me pointe du doigt :
-Je vais pas rester là, sans rien faire, alors que ce type se montre déjà collant avec toi !
-De quoi parles-tu ?
-On vous a vu arriver à la gare ensemble ! On vous a vu monter dans le train ensemble ! Certaines ont même vu que vous étiez très proche, collés l'un contre l'autre durant tout le trajet !
(C'est pour ça qu'elle vient me faire chier !?)
Kinoshita a soupiré légèrement d'exaspération en entendant cela.
-Tu sais que le train est toujours bondé à cette heure. Ce n'était pas par plaisir que je me suis retrouvé collé à lui. Et si nous sommes arrivés ensemble à la gare, c'est parce que nous vivons dans le même quartier.
(Non mais vas-y ! Donne-lui mon adresse, pendant que tu y es !)
Un cri de surprise (enfin, pour les autres) général a retentit dans la classe et certaines commençaient déjà à chuchoter entre elles.
(Génial... Les rumeurs ne vont pas tarder à se répandre, maintenant...)
Mais la discussion entre les deux filles prit fin à l'arrivée du professeur, qui annonçait le début de son cours.
Même pas deux jours dans ce bahut et des rumeurs toutes chaudes me concernant étaient sur le point de circuler. Si mes anciens camarades l'apprenaient, ils diraient que tout cela avait un petit air de déjà vu, par rapport à l'an dernier.
Chienne de vie.
Le lendemain, mes prédictions se sont avérées justes. Deux rumeurs circulaient à présent : d'abord, il y avait celle qui disait que j'avais attaqué Aoyama. Mais étrangement, très peu de personnes s'en souciaient, disant qu'elle l'avait sans doute cherché en me provoquant ou quelque chose comme ça.
(Elle a vraiment une réputation de merde.)
La seconde rumeur, pour sa part, était sur de plus en plus de lèvres : il se disait que je tentais de séduire Kinoshita pour qu'elle sorte avec moi !
...
On va dire que ça aurait pu être pire, comme rumeur. Du genre, je la harcèle ou un truc tout aussi grave. Même si ce genre de rumeur me faisait ch...
J'essayais de ne pas y faire attention et Kinoshita semblait faire de même. Si pour elle, c'était facile, ça l'était moins pour moi. Surtout quand ses amies me fixaient en permanence. Pas forcément d'un regard mauvais, cela dit. Sauf Aoyama. À chaque fois que nos regards se croisaient, j'avais l'impression qu'elle voulait m'arracher les yeux. À défaut de m'arracher autre chose.
Après les cours, j'ai refait un tour au club de littérature, pour voir si je souhaitais vraiment m'y inscrire. Dire qu'un sentiment de malaise était flottant serait un doux euphémisme. Le club était composé uniquement de filles et toutes semblaient mal à l'aise en ma présence. Elles ne me regardaient jamais dans les yeux lorsqu'elles me parlaient. Elles tentaient de se montrer souriantes, surtout la présidente du club, mais les sourires étaient trop forcés. Juste par ma présence. Moi-même, dans un climat pareil, je n'avais pas envie de rester et j'ai finalement expliqué à la présidente qu'après réflexion, je n'allais pas m'inscrire. Une pointe d'irritation est apparue quand j'ai remarqué qu'une ou deux d'entre elles étaient soulagés de la nouvelle. La présidente, embarrassée (sans doute parce qu'elle s'était rendue compte du pourquoi je ne souhaitais plus m'inscrire), tenta de me convaincre de quand même faire un essai parmi elles. Chose que j'ai bien vite refuser, non sans me gêner pour lancer un sale regard à celles qui étaient soulagées que je ne m'inscrive pas.
Après cela, je me suis demandé quel club me conviendrait mais en y réfléchissant, lors de mon tour de ces derniers avec Kinoshita, en-dehors du club de littérature, aucun ne m'intéressait. J'allais vivre une année sans club, on dirait. Et de toute façon, l'inscription dans un club n'était pas obligatoire dans cet établissement.
Puisque je ne faisais partie d'aucun club, contrairement à la majorité, j'allais avoir beaucoup de temps libre après les cours.
...
J'ai décidé de rentre chez moi, pour aujourd'hui. Je pourrais bosser un peu mes cours...
Alors que je rangeais mes chaussons dans mon casier, dans le hall d'entrée, je suis tombé sur Kinoshita. Ou plutôt, elle m'était tombé dessus.
-Tiens. Tu rentres chez toi ? me demanda-t-elle avec une légère, une très légère pointe de surprise dans sa voix.
-Oui.
-Ce n'est pas bien de négliger tes activités de club.
-Encore faudrait-il que je sois dans un club...
-Ah. Je pensais que celui de littérature t'intéressait.
-C'était le cas. Mais sentir en permanence qu'on aimerait me voir ailleurs, j'ai déjà donné l'an passé.
-Oh.
-Bien, sur ce, bonne journée à...
-Si tu le souhaites, nous pouvons rentrer ensemble.
...
Il a fallu quelques secondes à mon cerveau pour qu'il comprenne que sa proposition était sérieuse.
-Ton visage est plutôt répugnant quand tu grimaces sans raison, tu le sais ? m'a-t-elle dit avec un calme froid.
-En fait, j'essaie de voir si tu es idiote ou pas.
-Et il est rude, en plus de tout le reste...
-Non mais réfléchis un peu ! J'ai déjà des rumeurs qui circulent sur moi, rien qu'en te parlant. J'ai pas envie d'accumuler ce genre de merde tout le long de l'année.
-Ça sent le vécu.
-La ferme.
Après avoir mis mes chaussures, je me suis dirigé vers le portail. Kinoshita marchait à côté de moi, comme si de rien n'était.
-À quoi tu joues ?
-Rien. Je ne suis inscrite dans aucun club. Je n'ai aucune raison de rester dans l'établissement plus que nécessaire.
-Vraiment ? Notre chère déléguée n'a pas trouvé activité qui sied à son pied ?
-Bien sûr que si. Mais les circonstances font que je ne peux me permettre de rester tard après les cours.
-Oh. Et c'est quoi ?
-Cela t'intéresse ?
Nous avions passé le portail lorsqu'elle m'a posée la question, avec un visage plus que sérieux.
-Pas spécialement...
Une partie de moi s'en fichait, mais l'autre se faisait titiller par un bâton nommé curiosité. Enfin, « bâton »... J'aurais plutôt dit une branche longue et épaisse.
Nous sommes ensuite allés à la gare et avons pris le train habituel en direction de notre quartier. Mais au lieu de descendre à l'arrêt habituel, elle descendit une station avant. Jusqu'au dernier moment, j'ai eu l'envie folle de la suivre. La curiosité pouvait vous pousser à faire tellement de choses...
Je ne l'ai pas fait, évidemment. Je ne voulais pas passer pour quelqu'un de louche !
Je suis rentré directement chez moi après cela.
Rien de particulier ne s'est déroulé, jusqu'à la veille du début de la Golden Week.
Je commençais à bien prendre mes marques dans ma classe et pour les cours. J'avais trouvé mon rythme au niveau du travail scolaire et je n'avais plus qu'à le maintenir tout du long de l'année.
Du côté de mes camarades, par intérêt, j'entretenais de bonnes relations avec les trois autres garçons de la classe. Je ne les considérai pas comme des amis et eux ne me considéraient pas non plus comme tel, pour l'instant, mais on s'efforçait de bien s'entendre, surtout à cause de cette histoire de solidarité masculine.
Certaines filles de ma classe commençaient à me dire « Bonjour » au lieu de m'ignorer comme au début. Les autres continuaient à faire comme si je n'étais pas là, comme avec les autres garçons d'ailleurs. Quelques-unes continuaient à se montrer ouvertement hostile envers nous, mais préféraient se contenter de regards mauvais, surtout quand Kinoshita était dans les environs.
Kinoshita, étrangement, continua à m'offrir son aide, alors qu'il apparaissait clair que j'étais à présent bien accoutumé à la classe (plus ou moins) et au lycée. De plus, le fait qu'elle me porte autant d'attention énervait son groupe d'amies. Surtout Aoyama. Je ne pouvais pas dire que nous étions proches, surtout au bout d'un seul mois de fréquentation. On venait ensemble au lycée le matin et on repartait ensemble après les cours, mais ça s'arrêtait là. Nos discussions se concentraient surtout sur les cours et peu sur le quotidien ou la vie privée. Bref, on n'était rien de plus que des connaissances et rien que çà, ça semblait énerver son monde.
Nous étions donc la veille de la Golden Week. Les cours venaient de se terminer et quelques camarades se concertaient pour savoir ce qu'elles feraient ensemble durant ces courtes vacances. Pour ma part, je pensais sortir avec ma petite amie. Quand elle et moi sommes venus à Tokyo pour poursuivre nos études, on ne s'est vu qu'une seule fois. On s'écrivait des messages et on se téléphonait mais je la connaissais : c'était une personne qui avait besoin de contacts physique avec son copain, comme si j'étais une drogue dont elle était accro. Je lui ai envoyé un message pour lui demander si elle était libre durant la Golden Week. Elle n'a pas tardé à répondre que oui et qu'elle avait envie de me voir, que je lui manquais et tout ce qui allait avec...
(Elle est si prévisible, des fois...)
J'étais en train de lui répondre quand une voix familière m'aborda :
-Tu écris à ta petite amie ?
En levant la tête, je vis Kinoshita planté devant mon pupitre, le visage impassible comme à son habitude. J'ai soupiré avant de répondre :
-Oui.
-C'est courageux à vous. Les relations à longues distances sont celles où la confiance est mise à rude épreuve chaque jour.
-Je sais pas si on peut vraiment parler de « relation à longue distance » quand on vit dans la même ville.
-Oh. Je pensais qu'elle vivait dans ta ville natale.
-Non. Elle étudie à Tokyo aussi.
-Tu n'as pas perdu de temps, à ce que je constate...
-Quoi ? Mais non ! Elle a déménagé aussi pour ses études !
-Oh. Tu l'as donc suivie par amour. C'est touchant...
(Elle est sincère ou elle se fout de moi ?)
-C'est plutôt elle qui m'a suivie. Moi, j'ai déménagé à cause du travail de ma mère.
-Donc, elle a tout abandonné pour rester avec toi ? Je ne sais pas si c'est courageux ou stupide...
(Elle mâche pas ses mots...)
Une fois mon message tapé, je l'ai envoyé puis je me suis levé pour rentrer chez moi. Kinoshita m'a bien sûr accompagné.
Sur le chemin de la gare, elle a tenue à reprendre la conversation :
-Vous êtes ensemble depuis longtemps ? m'a-t-elle demandé.
-Pourquoi tu veux le savoir ?
-Comme ça.
-... Depuis la fin du printemps dernier. À peu près.
-À peu près ?
-Je fais pas très attention à ce genre de détail.
-Nishiyama... Ce n'est pas très correct vis-à-vis de ta petite amie. Tu ne trouves pas ?
-Oui, sans doute...
(Génial... Elle me fait culpabiliser sur mon couple...)
Elle poussa un soupire aussi léger qu'un papillon, comme si j'étais désespérant. En tant qu'asocial anciennement pur et dur, je devais l'être.
-J'espère pour elle que tu n'envisages pas de profiter de ton nouvel environnement pour t'amuser à faire je-ne-sais-quoi..., continua-t-elle en me balançant ça avec le plus grand des calmes.
-Hé ! Tu me prends pour qui ? Un coureur de jupons ?!
-Tu ne serais pas le premier ni le seul dans le lycée... Sans parler des pervers.
-Comme si la perversion était le propre des mecs !
-...Tu marques un point.
Nous avons cessé de parler tandis que nous attendions notre train sur le quai.
Il y avait un peu plus de monde que d'habitude et on s'est vite retrouvé serré dans wagon. J'essayais de faire écran avec mon corps pour que Kinoshita ne soit pas écrasé par la masse. Je n'étais pas un animal très social mais je n'étais pas un sauvage non plus.
-Merci, me dit-elle.
-Pas de quoi...
Une secousse plus tard, j'ai un peu perdu l'équilibre et ai faillit tomber sur elle. Mais elle m'a retenu, non sans que je me retrouve collé contre elle.
-Désolé ! ai-je lancé.
-C'est rien...
J'ai essayé de me décoller mais apparemment, quelqu'un dans la foule avait décidé qu'il voulait plus de place ! J'étais gêné de sentir Kinoshita si près de moi. Trop près de moi ! Ses cheveux sous mon nez sentaient merveilleusement bon... Je sentais ses mains sur mes côtes... Sa poitrine contre mon torse...
(Plus cliché comme situation, tu meurs !)
Mais ce que je redoutais, c'était la possible réaction naturelle de mon corps.
Oui, cette réaction qui se fait par moments d'excitation !
Je priais de toutes mes forces pour que rien ne se passe, car s'il devait se passer quelque chose, Kinoshita était tellement proche qu'il m'aurait été impossible de le lui cacher !
Le train allait entrer dans la gare où elle descendait habituellement et j'ai cru être sauvé. Mais lorsque les passagers commencèrent à descendre, elle ne bougea pas.
-Hé ! Tu ne descends pas ici ?
-Pas aujourd'hui...
Heureusement pour moi, il y avait moins de monde à présent et plus d'espace dans le wagon. Assez pour que je me décale avant que mon corps n'affiche ses intentions. J'ai poussé un profond soupir de soulagement, pensant avoir échappé à une catastrophe.
-J'espère que tu as bien profité de la situation...
Kinoshita était un peu rouge et n'osait pas me regarder dans les yeux, un peu gênée sans doute.
-Comme si je l'avais fait exprès ! ai-je soufflé pour éviter de donner de la voix.
Étrangement, elle a souri.
Le trajet jusqu'à notre immeuble s'est fait dans le silence. Il était clair qu'aucun de nous deux ne voulait parler de ce qu'il s'était passé. Personnellement, je me sentais si gêné que j'aurai aimé qu'on m'enterre profondément.
Alors que nous nous dirigions vers l'ascenseur, la sonnerie de notifications de mon téléphone a retentit. Ma petite amie venait de me confirmer le jour où on pourrait se voir pendant la Golden Week et le lieu de rendez-vous.
-Hm. Tu dois être ravi.
-Hé ! Ne lis pas mes messages ! C'est privé !
L'impassibilité de son visage ne me permit de savoir si Kinoshita ne savait pas quel mal il y avait à faire ça ou si elle se fichait de ce que je lui disais.
Je ne savais pas pourquoi mais j'ai plutôt opté pour la deuxième hypothèse.
En arrivant à mon étage, juste après avec quitté la cabine de l'ascenseur, elle m'a salué et a dit qu'on se croiserait peut-être pendant la Golden Week. Sur ses mots, les portes se sont refermées et l'ascenseur est monté.
De retour chez moi, dire que j'étais épuisé était très loin de la vérité. Et le pire était que le moment le plus éprouvant pour moi n'était pas les cours, mais ce fichu instant dans le train. À croire que le dieu des comédies romantiques ou des histoires téléphonées, si ce n'est les deux avaient décidé que je devais faire les frais de leurs manipulations tordues.
(À croire que l'an dernier, c'était pas assez !)
J'ai poussé un long soupir, en me disant que le cadre avait peut-être changé mais que la toile avait des airs de déjà-vu. Ou qu'on recyclait une vieille toile pour en peindre une nouvelle par-dessus.
(Allez, n'y pense plus. La Golden Week arrive. Pense plutôt à ce que tu vas faire avec elle pendant votre rendez-vous...)
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