Chapitre 14 : Repos
La sonnette résonna en milieu de matinée, alors que j’émergeai à peine face à mon petit déjeuner. Kurô s’est mis à me miauler dessus pour que j’aille voir. En traînant la patte, je me suis dirigé vers la porte et l’ai ouverte, en sachant pertinemment qui c’était.
-Yahallo !
Uemura Natsu. Ma cousine. La fille de la sœur de mon père. Une fille énergique voire excentrique (selon mes critères) très axée sur les dernières tendances, selon mes souvenirs.
-C’est le dernier « Salut ! » à la mode ? lui demandai-je.
-Et ouais ! Ça faisait longtemps, Shû-chan ! La dernière fois, on était en deuxième année de collège, non ?
-Au moins.
-Ouah, quel entrain de voir ta cousine préférée… Et je constate qu’au moins, tu portes un pantalon.
-Tu espérais quoi ? Me surprendre au saut du lit, en caleçon ou un truc du genre ?
-Hé hé.
-Enfin, bref… Allez, entre.
En tirant sa petite valise, elle rentra dans l’appartement. Kurô vint l’accueillir avec un doux miaulement tout en se frottant contre sa jambe.
-Hé ! Coucou, Kurô ! Tu as bien grandi, dis donc !
Alors qu’elle partit installer ses affaires dans la chambre libre, je lui sortais un bol et des baguettes pour qu’elle m’accompagne pour le petit-déjeuner. Ce qu’elle accepta volontiers.
-Ouah, Shû-chan ! Je n’ai pas le souvenir que tu étais si prévenant envers moi avant. Me revoir t’a fait tomber amoureux de moi ? m’a-t-elle dit en me faisant un clin d’œil.
J’ai bien entendu fait une grimace dégoûtée en ayant entendu de tels bêtises. Sa réaction : un éclat de rires.
-Allez, Shû-chan ! Je plaisante ! Alors, la vie à Tokyo te plaît ? Tu t’es fait des amis ? Comment ta copine gère la relation longue distance ? Oh ! Si ça se trouve, tu t’en es trouvé une autre ici ! Sauf si… Shû-chan ! Ce n’est pas bien de sortir avec deux filles ou plus en même temps !
-Sérieusement ?
-Hé hé hé, je blague, je blague. Mais blague à part, ça se passe bien avec Aïko ?
-Ça fait vraiment longtemps qu’on ne s’est pas parlé, en effet. Ça fait longtemps que c’est fini, entre Aïko et moi.
-HEIN !? Depuis quand ?
-Depuis l’hiver de fin de la troisième année de collège.
-Pourquoi ? Vous alliez bien ensemble…
-J’ai pas envie d’en parler. C’est du passé, tout ça.
-Bon… Mais au moins, tu peux t’en chercher une. Tokyo, c’est une grande ville et…
-J’ai déjà une petite-amie.
-Rapide ! s’écria-t-elle avec grand étonnement. Quoique tu me diras, on est déjà début août…
-De quoi tu parles ?
-Je dis que tu es rapide pour te trouver une copine après t’être installé ici !
-Je suis avec elle depuis l’an dernier.
Elle a alors lâcher ses baguettes d’étonnement et faillit faire de même avec son bol encore rempli.
-HEIIIIIIIIIIIIIIIIN !!!?
(J’avais oublié qu’elle avait de la voix. Mes oreilles…)
-Comment !?
-Comment quoi ?
-Comment tu as fait pour avoir une nouvelle copine si peu de temps après t’être fait larguer ?!
-Qui te dit que c’est Aïko qui m’a largué ! ai-je demandé en m’énervant. Et quant à ma copine, c’est elle qui m’a dragué avant que je n’accepte de sortir avec elle.
-TOI !? C’est TOI qui t’es fait draguer !?
Je comprenais sa surprise, mais je ne pouvais m’empêcher de trouver sa manière de le présenter un peu vexante.
-Qui est la sainte qui a assez de patience pour te supporter ?
-C’est pas tes oignons.
-Si cette fille a réussi à faire battre le cœur de mon Shû-chan, alors si !
-« Ton » Shû-chan ? Sérieusement ?
-Allez ! Dis-moi qui c’est !
-Non.
-Allez !
-Non !
-Mais heu !
Ça pouvait durer longtemps. C’était la spécialité de Na-chan : insister jusqu’à la limite du harcèlement pour obtenir ce qu’elle voulait. Fort heureusement, elle n’avait jamais utilisé cette capacité pour nuire à autrui.
Du moins, je l’espérais.
La sonnerie de notifications de mon téléphone mit heureusement fin à la conversation. C’était Yuna, qui me prévenait qu’elle partirait en camp d’entraînement avec son club à partir de demain et me demandait si on pouvait se voir aujourd’hui. Dans d’autres circonstances, j’aurais dit « oui » sans hésiter mais comme Na-chan était là…
-C’est qui ?
-Pas tes oignons !
-C’est ta copine ? Fais voir !
Na-chan s’était levé d’un coup et avait accourut vers moi pour tenter de me prendre mon téléphone des mains. J’ai bondi de ma chaise et tentait tout ce qui était en mon pouvoir pour l’empêcher de mettre la main sur mon appareil et avoir un aperçu de ma vie privée.
-Non ! Lâche ce téléphone ! NON ! LÂCHE CE TÉLÉPHONE ! VILAINE NA-CHAN !
-Je suis pas un chien !!
Après une petite « bagarre », nous sommes tombés ensemble sur le canapé et elle a réussi à me prendre mon téléphone pour lire mon message :
-Oh ! Shû-chan a un rencard avec une Yuna ! Yuna… C’est mignon, comme nom.
-Na-chan !
-Quoi ?
-Dégage !
-Bah quoi ? Je croyais que les garçons aimaient ça, avoir leur tête plongée dans des seins.
-Pas tous ! Maintenant, bouge et rends-moi mon téléphone !
Je n’ai pas attendu qu’elle bouge d’elle-même et l’ai forcé, sans pour autant la brusquer, et je repris mon bien. Pendant que je tapais ma réponse pour Yuna, Na-chan s’est écrié :
-Je veux venir aussi !
-NON !
-Mais heu !
Et elle a recommencé à insister. Mais j’ai tenu bon et ai campé sur mes positions. J’irai à mon rendez-vous avec Yuna et j’irai seul !
-Shûhei… Tu m’expliques ? me demanda Yuna.
Je l’ai retrouvé un peu avant midi et malheureusement, je n’étais pas seul. Na-chan m’avait suivi et venait de s’incruster comme si de rien n’était. Atterré et gêné par la situation, je ne savais que lui dire.
-Enchantée ! Je suis Uemura Natsu, la cousine de Shû-chan ! Originaire de Sendai ! Je suis venu pour visiter un peu Tokyo et ma tante a accepté de me loger de bon cœur !
-S… Shû-chan !? s’écria Yuna en me faisant les gros yeux.
-Aucuns commentaires, ai-je sommé en faisant de même. Et toi ! J’aimerais passer du temps avec ma copine avant qu’elle ne parte pour son camp d’entraînement ! Alors, du balai !
-T’es pas sympa, Shû-chan !
-M’en fous !
-Oh, ça va… Je voulais juste voir à quoi elle ressemblait. Bah, t’as de la chance d’avoir une copine aussi jolie !
Yuna a un peu rougi.
-Bon, j’ai compris. Je vais me balader un peu en ville. T’auras qu’à m’appeler quand tu rentreras. Je te rappelle que j’ai pas de clés. Allez, bon rendez-vous, les amoureux !
Elle s’en alla enfin et je pouvais enfin être seul avec Yuna.
-Shû-chan, hein ? me fit-elle avec un regard suspicieux.
-Quoi ?
-Rien… Tu sembles très proche d’elle…
-Bah, c’est ma cousine.
-C’est juste QUE ta cousine ?
-T’insinues quelque chose ou je rêve ?
-Non mais elle est mignonne et elle a de gros seins. Pas comme moi…
-Oh, tes seins font une bonne taille, je trouve.
-Ah oui ?
Fièrement, elle a « réajusté » sa poitrine devant moi, avant de venir me prendre le bras et de déclaré qu’il était temps pour nous d’avoir notre tête-à-tête en amoureux.
Nous sommes d’abord allés manger dans un restaurant. Je lui ai dit que j’allais commencer à chercher un petit boulot à partir de demain et qu’après avoir remboursé ma mère, j’allais économiser pour m’acheter une petite moto, vu que j’allais avoir mon permis un peu après la rentrée. Yuna souriait en pensant aux balades que nous pourrions faire, avec mon propre moyen de locomotion.
-Quand j’aurais une bonne situation, je prendrais plutôt une voiture, ai-je dit alors que nous arrivions au dessert.
-Pourquoi ?
-Ça fait plus sérieux. Et j’aime bien les voitures.
-Hihi. Même après tout ce temps ensemble, je découvre encore des choses sur toi.
-Je suis un être complexe.
-Je sais. C’est ce que j’aime, chez toi.
-Pas que, de ce que je sais.
Elle se mit à rire.
L’après-midi, nous l’avons passé à nous balader en ville et avons finis dans un game center pour jouer sur quelques bornes d’arcade. Cela faisait un peu de bien de n’être que tous les deux, surtout qu’en France, la dernière semaine, on était très souvent avec Saya, Saeko ou les deux à la fois.
J’aurais aimé la raccompagner jusqu’à sa pension, comme toutes les autres fois, mais je pensais à Na-chan et au fait qu’elle devait être fatiguée de sa journée. Yuna s’est montré compréhensive et m’a assuré que ça irait. Mais son visage disait autre chose. Je voyais que quelque chose la tracassait.
-Yuna ? Tout va bien ?
-Quoi ? Non… Oui… Enfin… Shûhei, tu te souviens de cette fille, Amy Jones ?
Comment oublier ? Je l’avais croisé peu de temps avant notre départ pour la France et elle était venue au lycée de Yuna, l’avait affronté en 1v1 au basket, avec à la clé un rendez-vous avec moi. Et Yuna avait perdue. Elles avaient convenues d’organiser le rendez-vous vers la fin des vacances.
-Elle… m’a contacté pour avoir tes coordonnées et fixer le rendez-vous, finit-elle par m’avouer sans pour autant être ravie.
-Je… vois.
-Pardon… Je sais que c’est ma faute si on en est là mais ça me plaît pas quand même…
-Non, c’est normal. N’importe quelle fille n’aimerait pas savoir que son copain ait prévu un rendez-vous avec une autre.
-Oui…
-Écoute. Elle et moi, on fera juste un tour ensemble un après-midi et c’est tout.
-Vraiment tout ?
-Mais oui ! Il se passera rien !
-…
Yuna était pensive. Maintenant et jusqu’à la gare. Non, pas seulement maintenant. Depuis cette fameuse nuit, au Havre, Yuna était souvent perdue dans ses pensées. Absente. Comme plongée dans de profondes réflexions. Elle me disait sans cesse que tout allait bien et j’avais du mal à le croire. Mais elle gardait ça pour elle. Même en insistant, elle n’a pas voulu me dire à quoi elle pensait…
Avant de nous séparer, elle m’attrapa par la main et me posa cette question :
-Shûhei… Tu me fais confiance ?
(C’est quoi, cette question ?)
-Bien sûr.
-Et… je te fais confiance aussi.
Elle m’a alors volé un baiser. Je devrais être habitué à son audace, depuis le temps, mais ça me prenait toujours par surprise, ce genre d’initiative.
-C’est à propos de ce qu’on s’est promis tous les quatre, au Havre…
J’ai eu une boule au ventre, subitement. Regrettait-elle ce pacte ?
-J’ai réfléchi et…
Elle a soufflé un bon coup, sans doute pour se donner du courage pour poursuivre.
-Si tu tentes quelque chose avec elle, Amy Jones… Je ne t’en voudrais pas… Mais je veux que tu me le dises si tu le fais, avant ou après.
-Quoi ? Mais Yuna, tu sais que…
-Promets-le moi !
Elle avait élevé la voix en demandant ça. Le poing serré et tremblante. Il était clair qu’elle prenait sur elle pour me dire ça.
-Promets-le moi, Shûhei !
Je l’ai regardé avec son regard déterminé comme lorsqu’elle avait un match. Déterminé à accepter tout ce qui se passait et ce qui allait se passer. Ou peut-être suivait-elle le mouvement pour ne pas me perdre ? Comment savoir exactement ?
Non. Si je commençais à douter d’elle…
Je l’ai alors regardé puis lui ai pris ses mains.
-Si jamais quelque chose arrive avec elle, et je pense que les chances que ça arrive sont nulles, je te le dirais. Et j’accepterais ta réaction.
Elle m’a doucement souri, avant de déposer un baiser sur mes lèvres et de venir me murmurer un « Je t’aime » à l’oreille, avant de promettre de me contacter sur LINE plus tard et de finalement s’en aller.
Alors que j’étais dans mon train qui me ramenait chez moi, je repensais à tout ça. Avait-on pris la bonne décision, ce jour-là ? Pouvions-nous le surmonter ? Pourrions-nous revenir à la normale, à la fin des vacances ?
Je ne savais pas. Et cela m’effrayait un peu…
J’ai envoyé un message à Na-chan, en sortant de la gare. Apparemment, elle m’attendait devant la porte de l’appartement et m’ordonnait de me dépêcher.
(Pour qui elle se prend, cette sale petite… !)
Je me suis donc dépêché de rentrer. Juste avant de rentrer dans l’immeuble, je suis tombé sur Saya, qui revenait visiblement de la supérette vu le sachet qu’elle trimballait. On a papoté un instant puis nous sommes montés ensemble dans l’ascenseur. Je lui ai parlé de Na-chan mais surtout de Yuna et de son comportement.
-Tu penses qu’elle regrette ? m’a-t-elle demandé.
-Je ne suis pas sûr…
-Elle a peut-être peur.
-Peur de quoi ?
-Que tu la quittes pour une autre.
-Mais ça n’arriv…
-Après le Havre, tu peux le jurer ?
-Sans hésitation !
En lui disant cela, j’étais énervé mais je voulais être clair : j’aimais Yuna et je n’avais pas l’intention de me séparer d’elle. Encore moins pour une autre.
-Pardon, Shûhei. C’était bête, comme question.
Juste avant que le porte s’ouvrent, Saya s’est approché de moi… et m’a embrassé. Un vrai baiser. Auquel j’ai répondu sans honte ni hésitation.
-Pour me faire pardonner, dit-elle en souriant doucement.
Je suis alors sorti de l’ascenseur et l’ai salué après lui avoir dit qu’on se parlait sur LINE plus tard, peut-être.
Je me suis enfin dirigé vers chez moi, pour trouver une Na-chan et ses emplettes qui, de manière peu convaincante, me reprocha mon retard et que j’avais intérêt à me faire pardonner durant le reste de son séjour.
Heureusement qu’elle ne restait que jusqu’à la fin de la semaine, alors…
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