Chapitre 25.3

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Dans la tête d'Oscar.

 Je franchis la porte vitrée. Le bâtiment a l'air ancien, mais à l'intérieur, c'est rénové avec goût. Du genre vieilles pierres, vieux carrelage, vieilles arches, mais nettoyés et entretenus minutieusement. Je me dirige vers l'accueil.

  • Bonjour Monsieur, que puis-je pour vous ?
  • Je suis attendu par María Delgado.

 Elle me dévisage avec étonnement, puis reprend :

  • Aviez-vous rendez-vous avec MAÎTRE Delgado ?

 Ah. Apparemment, c'est gênant de l'appeler par son prénom.

  • Euh, eh bien, c'est elle qui m'a dit de venir à neuf heures trente, alors... Peut-être que oui ?
  • Et vous êtes ?
  • Oscar.
  • Oscar... Très bien...

 Elle vérifie sur son ordinateur, puis me regarde avec un franc dédain, désormais. Ça y est, en trois phrases, je suis déjà le guignol de service ! Elle décroche son téléphone :

  • Maître Delgado ? Oui, j'ai à l'accueil un homme du nom de… Oscar... qui affirme que vous lui avez donné rendez-vous, mais je ne vois rien sur votre planning... Vraiment ? Je le fais monter, alors ? D'accord, je lui dis.

 Elle raccroche, me dévisage encore, puis m'indique les fauteuils rouges à nos côtés.

  • Elle descendra d'ici peu.
  • Bien. Merci.

 Je m'assois dans l'un d'eux, et me perds dans mes pensées pendant encore dix bonnes minutes.

 Quand la timbrée et sa copine sont revenues de leur road-trip asiatique le week-end dernier, elles ne s'attendaient ni à me voir sur le canapé d'Alix, ni à entendre les déboires qui ont eus lieu durant le mois de Janvier. J'avais embarqué Andreas pour une virée entre hommes tout l'après-midi, laissant Alix avec son amie de longue date. Elle avait la tête de celle qui avait beaucoup pleuré, quand nous sommes rentrés. Et María avait la tête de celle qui aurait pu brûler la Terre entière. Elles avaient pris congé de nous en soirée, mais je n'avais pas tardé à recevoir un sms du numéro de celle que j'avais eu plaisir à oublier : « Viens à mon cabinet à 9:30 mardi matin, 10 rue du chapeau rouge. SEUL. ». Rien de plus, mais je ne savais que trop bien ce que nous allions évoquer.

 Un bruit de talons attire mon attention. María est habillée plus sobre que dans la vie privée : un tailleur gris clair, une chemise blanche, mais des froufrous aux manches tout de même, et sa collection de bracelets à chaque poignet – on ne se refait pas, hein. Elle salut avec une douceur étonnante une femme aux yeux rougis – une cliente, je suppose – et, sur indication de la dédaigneuse personne de l'accueil, croise mon regard.

  • AH ! Oscarito, perfecto ! Tu viens ? Je vais fumer.

 Je me lève et la rejoins.

  • Café, Oscar ? J'te l'paye.
  • Avec plaisir.
  • Allongé ? Sucre ? Lait ?
  • Noir allongé.

 Elle file à la machine à café, sa clope au bec, sous les yeux médusés de la fille de l'accueil. Je ne peux m'empêcher de sourire. En espagnol, étant à peu près sûr que personne ne nous comprendra, je demande :

  • T'as pas l'habitude de recevoir des hommes et leur payer des cafés, apparemment ?
  • Pas vraiment, non. Pourquoi ?
  • Ta collègue me regarde comme une bête sauvage.

 Elle ricane.

  • Elle est gentille, mais un peu rigide. T'étais pas sur le planning, j'te reçois quand même, mamamía, c'est criminel !

 Elle me tend mon gobelet, indique à la rigide hautaine qu'elle revient dans trente minutes maximum, et m'enjoint à la suivre. On marche jusqu'au bout de la rue, nous arrêtant sur un banc, juste en dessous d'un arbre.

  • C'est étrange, ce banc et cet arbre au milieu nulle part.
  • Ouai. C'est pratique pour prendre l'air. J'vais pas t'accueillir dans mon bureau au milieu de mes dossiers et sous le pif de ma juriste.

 Elle allume sa cigarette. Je commence :

  • Bon, tu voulais me voir ?
  • Ouai, Vázquez. T'as dit quoi à Alix ?
  • Rien. Je dépose Andreas tous les matins à l'école, parfois je rentre aussitôt, parfois pas... Elle ne me demande pas ce que je fais.
  • Parfait. Putain, quelle sale, sale, sale histoire. J'suis dégoûtée d'avoir été absente ! J'te jure, j'ai envie de monter à Paris pour lui arracher les couilles, à l'autre salopard là !

 Et moi donc. Je hoche la tête en prenant une gorgée de café. Elle se tourne vers moi.

  • J'imagine même pas dans quel état tu l'as trouvée...
  • … Mal. Horriblement mal. Elle ne va pas beaucoup mieux, hein. Il faut faire très attention, à mon avis...
  • Ben ouai. J'vais faire ça, ouai. Mais putain, on avait pas besoin d'en arriver là hein ! T'es fier de toi, Vázquez ?!
  • Quoi ?! Qu'est-ce que j'ai fait, encore ?
  • J't'avais dit, crétin d'Oscar de mes deux, j't'avais dit que ce mec il puait la merde !
  • C'était pas tout à fait le vocabulaire employé...
  • Et alors quoi, fallait que j'te l'dise comment ? J't'ai demandé de l'aide pour les surveiller, j't'ai demandé ton avis, t'as dit « Nan je ferme ma gueule » bah t'es content ? T'es content de l'avoir fermée, d'être resté poli et correct, d'avoir tracé ta ligne rouge de merde là ?!

 Je soupire. Putain de bordel, elle ne me manquait pas, la timbrée.

  • Tu crois que je ne me suis pas déjà fait la réflexion tout seul ? Bien sûr que si, je suis dégoûté !
  • Bah ouai, super, t'es dégoûté Oscar ? Pauvre choupinet !
  • Oh, merde hein ?! Qu'est-ce que tu voulais que je fasse de toute manière ? J'allais pas lui dire « ton mec est un con, il est arrogant et il ne te respecte pas, dégage-le » ? Elle m'aurait envoyé chier, hein !
  • Mais c'est pas ça que j'attendais de toi ! Évidemment que ça n'aurait jamais fonctionné de lui dire ça !
  • Bah quoi, alors, putain ?
  • Fallait que tu prennes tes responsabilités et que lui dises la vérité !
  • Quelle vérité ?
  • Mais que tu l'aimes encore, putain !

 Ma bouche s'ouvre mais aucun son n'en sort. Je suis même en apnée. Elle me renvoie une colère brûlante. Je reprends de l'air, baisse les yeux.

  • T'as l'air d'un con, Vázquez, hein ?

 Je soupire de dépit. Et allez, c'est parti !

  • Je t'en veux, t'imagine même pas comme je t'en veux. C'est de ta faute, toute cette merde. Si t'avais pas été si con ! Si t'avais pas fui tes responsabilités quand vous étiez en galère. Si t'avais retroussé tes manches et assumé. Si tu l'avais écoutée ! Vous seriez encore ensemble à l'heure qu'il est, vous auriez deux enfants de plus, et vous seriez heureux ! Au lieu de ça, tu l'as lâchée, t'es allé en sauter une autre, tu l'as laissée se démener toute seule dans l'océan de merde que t'as créé, et tu l'as laissée en pâture à un sombre connard !

 J'écoute mes quatre vérités sans broncher. Qu'ai-je à répondre ? Rien. Je suis d'accord avec tout ce qu'elle dit.

  • J'suis sûre que même là, tu l'aimes encore. Hein ? Dis le contraire, pour voir.

 Je louche sur mes chaussures. Je devrais me défendre, je devrais rappeler que j'ai une copine, qu'elle est formidablement adorable et que je vis bien avec elle – ce qui est vrai, entièrement vrai !

  • Et tu sais le pire, Vázquez ? C'est que maintenant, elle va te remercier pour ce que t'as fait ! Putain, le comble hein ?! J'sais pas ce qui me retient de te foutre ma main dans la gueule !

 Elle pourrait bien le faire, je ne répliquerai pas.

  • Tu dis rien ?
  • Non.
  • Bah non, comme d'hab ! Tu vas la fermer !

 Je souffle.

  • Mais que veux-tu que je te dise, en fait ? Tu as raison ! Tu as monstrueusement raison ! Et alors, quoi ? Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? Je t'applaudis ?
  • C'est pas par rapport à moi que tu devrais faire quelque chose !
  • Par rapport à Alix ? Je lui ai présenté mes excuses, je lui ai dit tout ça.
  • Ah ouai ? Tu lui as demandé pardon de l'avoir laissée avec ce type ?
  • Oui !
  • Et de l'avoir jetée comme une malpropre alors qu'elle voulait juste sauver votre couple ?
  • Aussi ! D'avoir été con, d'avoir été lâche, tout ça !
  • Wow. Et tu lui as dit que tu l'aimais encore ?
  • Non, pas ça non. Ça servirait à quoi, maintenant ?

 Elle hausse les sourcils. Elle a l'air étonnée.

  • Je croyais que tu allais nier. Mais t’essaies même pas.
  • Non.
  • Bah sympa pour ta meuf.

 Je claque ma langue contre mon palais. Putain, elle m'emmerde !

  • C'est pas ton problème, ça.
  • J'sais pas, j'ai un peu envie de la sauver, elle aussi ! Oscar Vázquez ne va pas tarder à lui briser le cœur !
  • Oh, la ferme, putain !

 Je le savais, hein... Je le savais en venant à son rendez-vous, que j'allais encore me faire pourrir la tronche. Je suis venu quand même. Putain, faut croire que j'aime ça !

  • T'y crois vraiment, à ton couple, Vázquez ?
  • J'ai pas envie de parler de ça avec toi.

 Elle finit de fumer en silence. On regarde deux personnes âgées traverser devant nous. Elle écrase son mégot et secoue la tête.

  • Sois honnête, un petit peu. T'auras toujours le fantôme d'Alix au-dessus la tête. T'arriveras à rien avec personne d'autre tant que tu ne régleras pas ça.

 Elle se lève et se poste devant moi. Je lui trouve un air résigné, tout à coup.

  • J'sais même pas pourquoi, Oscar, mais j'arrive plus à te détester. Je continue de penser que t'es réellement un mec bien. Mais qu'est-ce que tu prends des décisions de merde, putain de putain.

 Je l'observe depuis mon banc. Un sourire me vient.

  • Merci.
  • Ah ? Tu trouves que ça mérite ?
  • Ouai.

 Elle secoue la tête et finalement, elle rigole elle aussi.

  • Bon. À défaut de sauver ta vie sentimentale... Tu acceptes de faire alliance pour veiller sur Alix, maintenant ? T'es d'accord avec ça ?

 Je me lève, lui tend la main, et affirme :

  • Oui.
  • Ah, bah quand même.
  • Et j'ai une première mission pour nous.
  • Laquelle ?
  • Alix doit conserver l'appartement. Elle ne va pas supporter de déménager. Au moins le temps de pouvoir sereinement trouver un truc dans le même quartier.

 Elle fronce les sourcils et fait la moue.

  • Oui... T'es content, pour une fois, tu vas pouvoir dire que c'est ma faute !
  • Non. Je ne suis pas sans arrêt à la recherche d'un coupable, MOI. Je préfère chercher des solutions.
  • Oh, oh. Tu dis ça à une avocate ? T'es couillu, Vázquez.
  • Faudrait savoir. Ça fait longtemps que t'affirmes le contraire, pourtant.

 Elle ricane.

  • Et tu proposes quoi ? Je suis désolée mais je vais avoir du mal à continuer de payer ma part du loyer, et puis Alix ne voudra jamais...
  • Elle refusera qu'on paie à sa place, oui. Il faut lui présenter de l'argent qui ne nous manquera pas, ni à toi, ni à moi.
  • Et tu le sors d'où, ton argent miraculeux ?
  • Tu payais combien ?
  • Cinq cents, à peu près.

 Je hoche la tête. C'est parfait.

  • Où est-ce qu'on peut bien trouver de l'argent qui dort depuis des lustres et dont personne ne fait rien, María ?
  • Je sais pas, dans les poches de Bernard Arnault ?
  • … Je ne sais pas qui c'est...
  • Blague de Français... Bon, vas-y, éclaire ma lanterne !
  • Ça fait six ans que je paye une pension alimentaire dont tout le monde se fout. Peut-être qu'à partir du mois prochain, elle pourrait enfin servir à quelque chose ?

 María arrondit les yeux, et sourit.

  • Mais dis donc, t'es efficace quand tu t'en donnes la peine, toi, hein ?
  • Attends... Faut encore convaincre Alix.
  • Ça, mon p'tit père, je m'en charge ! J'ai même hâte d'aller au front !

 Elle est pressée d'essuyer un refus catégorique et de ramer pour faire changer d'avis Alix Lagadec. Timbrée, elle est timbrée.

______

NB : Si vous avez envie de vous amusez un peu, ce chapitre fait écho au 20.3...

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