Chapitre 25.4
Nous attendons patiemment l'enregistrement des bagages. Après un mois de cohabitation, il apparaissait que j'étais de nouveau capable de m'occuper de moi-même et de mon fils ; aussi, María et Sophie étant rentrées de leur voyage, j'avais de nouveau de solides soutiens à mes côtés – soutiens qui n'avaient pas manqué de tomber des nues en apprenant les événements qui s'étaient déroulés en leur absence. À son grand regret, María avait été obligée de reconnaître qu'Oscar avait perdu son statut de plus grand crétin de la Terre. Celui-ci avait refait sa valise, prévenu la Fédération qu'il serait de retour, et réservé un séjour romantique je ne sais où pour amadouer Masha. En bref : il est venu le temps de reprendre sa vie chacun de son côté.
Il ne s'agit que de retrouver sa vie normale, mais je ne peux m'empêcher de ressentir un pincement au cœur en voyant Oscar sur le départ. Après tout, avec les jours, on avait pris de petites habitudes, on avait même laissé entrevoir à Andreas ce qu'aurai pu être sa vie si ses parents ne s'étaient pas séparés, et j'avais trouvé tellement de réconfort dans la présence de notre Espagnol favori que je me sens aujourd'hui fragile devant sa future absence. Andreas, justement, avait été ce que l'on pourrait qualifier de « difficile » devant l'échéance du départ de son père, et je m'attends à ce que son comportement ne soit pas des plus aimables ces prochains jours. Au final, n'était-ce pas une bonne chose qu'il s'en aille maintenant, avant que l'on ne prenne pour de bon goût à sa présence ? Nos vies ne sont plus ensemble. Il serait illusoire de continuer à jouer ce jeu-là.
Oscar se retourne vers moi pour l'ultime au revoir. Il me lance un sourire sincère. J'essaie de masquer ma peine.
- Bon, eh bien, voilà. C'est le moment.
- Mmm.
- Ça va aller, Alix ? T'es chafouin, on dirait ?
- Oui, oui. Ça me fait bizarre d'imaginer dîner sans toi ce soir, c'est tout. J'avais fini par m'habituer à ta présence.
Il rigole.
- Tu te réhabitueras vite à ne plus me voir. C'est même ce que tu as souhaité pendant la moitié de mon séjour, je te signale.
- Oui, oui... je sais.
- María et Sophie dîneront avec vous ce soir. Et puis tu reprends le travail mercredi. Ça va te faire du bien de revoir cet environnement-là.
- Si tu le dis.
- Tu réfléchiras à cette histoire de loyer, tu promets ?
- C'est tout réfléchi. C'est non. Tu ne vas pas me payer mon loyer, non mais oh. Je sais me débrouiller seule.
- … On en reparlera.
Il a l'air sûr de lui. Je soupire.
- Oh, Alix, qu'est-ce qu'il y a ?
J'hésite... Qu'est-ce que je peux me permettre sans être intrusive ? Je ne suis plus sûre d'où placer le curseur de notre relation, entre l'amitié, la proximité, mais sans tomber dans l’ambiguïté. On a redéfini de toutes nouvelles règles avec ce chapitre-là, et je ne sais pas encore les manipuler. D'un autre côté, j'ai envie d'authenticité, et ce qu'il y a de plus authentique, à l'instant présent, c'est de le prendre dans mes bras. Oh, merde, hein. Je l'enlace. Il pousse un « oh » de surprise, puis m'enlace à son tour.
- Oscar... tu vas me manquer, je crois.
- À ce point ?
- Oui, je sais, c'est idiot.
- Non, non. Pas si idiot que ça. Ça va aussi me manquer de ne plus avoir personne pour me citer mes innombrables défauts et erreurs à longueur de journée. J'ai peur de m'ennuyer.
Je lui assène une tape pendant qu'il rigole.
- T'es con, vraiment.
- Ah ! Une dernière pour la route !
Je souris.
- Oscar... merci. Merci pour tout, tout, tout. Je ne sais pas dans quel état je serais aujourd'hui sans toi.
Il m'adresse un sourire pincé plein de gêne. Il sait mieux accueillir les reproches que les mots gentils.
- C'est... normal. On vient en aide aux gens qu'on aime, non ?
- … Les gens qu'on aime ?
Son visage se ferme un peu. Il semble désarçonné par ma remarque. Il se mordille la joue... et ça me fait sourire.
- Euh, oui, je..., bafouille-t-il. C'est peut-être pas le bon terme.
- Je n'avais pas imaginé mettre ce mot-là sur nous deux.
- Non mais pardon, je n'aurais pas dû...
- Non ! Attends, tu plaisantes, ne regrettes pas tes paroles. Pour une fois que tu exprimes ce que tu as sur le cœur sans que l'on te pousse dans tes retranchements...
- Hum... merci, c'est un compliment je suppose ?
- Oui.
- Waouh. Je suis... subjugué.
- Je suis tellement habituée à t'en balancer plein la tronche, que je suis très nulle pour te dire des choses positives visiblement.
Il me sourit tendrement.
- Détrompe-toi. Tu m'as dit beaucoup de très belles choses ces dernières semaines. Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais moi, elles m'ont fait du bien.
- Oh... D'accord. Si tu le dis.
- Alix, on a une histoire atypique et ça a été les montagnes russes entre nous mais... j'aimerais vraiment que l'on ait une relation simple, maintenant. Alors écoute, oui, j'ai beaucoup d'affection pour toi, je tiens énormément à toi et malgré ce qui a pu se passer, je n'ai jamais changé d'avis sur le fait que tu es une personne formidable. Donc, voilà... si tu es d'accord... qu'on essaye de continuer d'être deux ?
- Oui, c'est pas mal ça. Ça me plaît.
- Bien. Parfait. Bon, je dois y aller, vraiment.
- Ouai, bien sûr.
- Allez, Alix. Prends soin de toi. Et... à bientôt.
- Merci... Oscar ?
- Oui ?
Il attend, mais je n'ai pas les mots. Comment on dit à quelqu'un qu'on l'aime sans que ça ne prenne des proportions démesurées ? N'y a-t-il pas de mot d'amour qui soit réservé à l'amour non amoureux ? Les langues sont si riches, et pourtant si pauvres parfois. Je ne trouve ni en espagnol, ni en français, ce que je voudrais pouvoir lui dire, alors même que lui vient de me faire une tirade émouvante sur le lien qui nous unit – on a inversé les rôles ou quoi ?
- Euh, passe le bonjour à Masha et euh... amusez-vous bien à... enfin, soyez heureux, quoi.
- … Merci.
Il attend encore quelques secondes, puis me fait un signe de main – auquel je réponds – et se dirige vers son quai d'embarquement.
Je reste plantée là un long moment. J'ai du mal à faire le pas qui m'amènera dans ma vie d'après.
❝
no one could ever know me
no one could ever see me
seems you're the only one who knows
what it's like to be me
someone to face the day with
make it through all the rest with
someone i'll always laugh with
even at my worst, i'm best with you
i'll be there for you
(when the rain starts to pour)
i'll be there for you
(like i've been there before)
i'll be there for you
('cause you're there for me too)
❞
I'll be there for you - Mateo Oxley, 2019
______
NB : Je vous souhaite un Joyeux Noël si vous le fêtez, et de bons moments avec vos proches si vous avez la chance de les voir. Je vous souhaite aussi un doux moment si vous êtes seul-e, et une louche de courage si un être cher vous manque...
On se retrouve dans quelques jours pour la suite ! L'histoire touche à sa fin, petit à petit !
Mes personnages multi-culturels vous chantent un Joyeux Noël ! Feliz Navidad ! Nedeleg laouen !
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