Chapitre 26.1
15 mois plus tard...
Oviedo, Avril 2015.
Il fait beau, très beau, et même chaud en cette semaine d'Avril. Andreas et moi avons posé nos valises dans les Asturies pour la semaine, comme habituellement lors des vacances de Pâques. Oscar s'est évidemment arrangé pour faire coïncider son planning avec notre venue. Cette année, il l'a fait avec soulagement, même : j'ai cru comprendre que son environnement de travail était houleux et que ça commençait à lui peser. Et, en effet, j'ai connu un Oscar plus enjoué que celui qui nous accueille en ce moment. Il masque plutôt pas mal devant Andreas mais, je le connais trop bien pour louper son malaise. Surtout, et c'est l'autre nouveauté, je reconnais entre mille son comportement d'évitement avec Masha. Pourtant, la jolie blonde redouble d'efforts pour nous montrer un tableau séduisant de leur couple.
C'est son comportement habituel depuis l'épisode nantais. En effet, Masha avait finalement mal vécu le séjour prolongé d'Oscar chez moi l'an dernier, d'autant plus qu'elle ne connaissait toujours pas tous les détails – Oscar ne lui avait parlé ni de la grossesse, ni des multiples comportements infâmes d'Arnaud à mon encontre. À ses yeux à elle, j'avais juste profité à outrance de son Chéri pour jouer les victimes, me faire choyer et même, tenter de le draguer. En effet, Oscar avait eu le malheur de lui évoquer la nuit que l'on avait passée dans le même lit, et ça ne lui avait bien évidemment pas plu du tout. Depuis lors, elle n'avait eu de cesse de se montrer possessive envers Oscar, m'offrant des scènes de baisers mouillés, de câlins interminables et de caresses presque obscènes à chacune de mes présences dans les Asturies. Oscar se laissait docilement faire, n'étant pas forcément à l'aise avec ces comportements, mais n'osant pas les limiter par crainte qu'elle ne le lui reproche.
Pour couronner le tout, lorsqu'il avait repris le chemin de la salle de soin après presque cinq semaines d'absence, il avait été convoqué dare-dare par la Fédé qui lui avait collé deux avertissements, pour « absence injustifiée » et « indiscipline ». Il m'avait dit avec humour « Il a fallut attendre mes trente-deux ans pour que je fasse état d'indiscipline, tu te rends compte ? ». J'avais ri, lui répondant « Bienvenue dans l'adolescence, Oscar Vázquez, il n'est jamais trop tard ! Je te donnerai deux ou trois conseils pour ne pas te faire choper, quand même. ». En réalité, il avait fait montre d'une impertinence assez inhabituelle, répondant à ses employeurs que « Vous avez remplacé les départs de Raquel et de Magda par un seul temps partiel, la kiné de l'Académie ne repose presque que sur mes épaules, alors ne faites pas semblant de me menacer de licenciement, vous ne pouvez pas vous le permettre ». Ils l'avaient menacé d'un troisième avertissement. « Je l'attends toujours » me disait régulièrement Oscar. Cette hardiesse soudaine m'avait épatée, je dois dire, et je l'avais félicité de ne pas se laisser marcher sur les pieds, pour une fois. « Je suis un employé modèle, j'ai toujours été présent, adaptable et très professionnel depuis plus de dix ans que je bosse chez eux... Ils se sont tellement appuyés sur moi qu'ils n'ont personne pour me remplacer, ces cons. Ils peuvent fanfaronner, mais je crois que le bras de fer n'est plus en leur faveur. Jorge m'a dit qu'ils étaient en panique totale de ne pas me voir pendant plusieurs semaines ». Je ne pouvais m'empêcher de trouver cela satisfaisant : imaginer la Fédération jouer aux durs mais, en réalité, supplier Oscar de ne pas les abandonner, ça avait un doux parfum de vengeance. Hélas, ce n'était pas l'avis de Masha qui ne s'était pas gênée pour me reprocher « la situation impossible dans laquelle s'est mis Oscar pour toi » et « la peur permanente de perdre son travail » qu'elle avait essayé de me baratiner.
C'était dommage, en vérité, de perdre la relation cordiale que j'avais réussi à avoir avec elle à la base. Je faisais mon possible pour me montrer simplement amicale avec eux, et il ne me semblait pas que j'avais un comportement déplacé avec Oscar. Mais le fait est que nous avions développé une proximité complice, lui et moi. Aussi, pas rarement, on se permettait une main dans le dos, une petite attention ou une blague un peu trop personnelle, et je voyais Masha se crisper immédiatement, puis en faire des caisses pour me rappeler à qui appartenait le bel Ibérique de son cœur. Oscar, dans sa grande naïveté, ne voyait jamais où se situaient les problèmes, et je voyais bien qu'il s'agaçait parfois de ce climat de rivalité non justifié. Cependant, bien que nous eûmes désormais un canal de communication très ouvert, le sujet « jalousie de Masha » restait tabou et il l'esquivait toujours.
Pourtant, Oscar était simplement devenu une espèce de meilleur ami. Un meilleur ami aux antipodes de María, et ça me faisait du bien d'avoir le yin et le yang dans la balance de ma vie. En un an, ils avaient l'un et l'autre suivi, surveillé et accompagné mon chemin de reconquête de moi-même. J'avais fini par céder à leur proposition pour le paiement de mon loyer, Oscar affirmant avec une autorité feinte que « en tant que père d'Andreas, je t'interdis de lui faire changer d'école, et de club de tennis, et même de chambre à coucher ». Nous n'avions donc pas déménagé, Andreas et moi.
Aussi, au printemps dernier, j'avais été entraînée par María et Sophie dans une soirée karaoké qui m'avait gonflée, mais qui allait finalement apporter un drôle de souffle à ma vie. Un garçon m'avait abordée : je l'avais envoyé paître en affirmant que LES MECS PLUS JAMAIS, et lui, tout gêné, m'avait bafouillé qu'il ne tentait pas de me draguer, mais qu'en revanche il jouait dans un groupe de musique qui recherchait un chanteur, et que ma voix l'avait épaté. J'étais restée muette, pour le coup. Quelques semaines plus tard, j'avais osé répondre à son invitation, avais rencontré les autres membres, et avais réussi à les séduire eux aussi. C'est ainsi que, depuis un an, je suis la chanteuse du groupe « Émilie sous la pluie » en compagnie de Julien le batteur, Jo le guitariste et Max le pianiste et violoniste. On répète tous les mardis, on s'amuse comme des fous, ils sont drôles et légers, et je trouve dans la musique une manière d'exprimer mes émotions : mes hésitations, mes colères, mes peurs, mes tristesses et mes joies. Les garçons sont souvent enthousiastes quant à mes prestations, ce qui m'épate, je dois dire : chanter, je l'ai toujours fait, mais jamais je n'aurai pensé être capable de me caler sur une musique, de m'accorder à des musiciens, de pousser des aiguës ou des graves comme je le fais sous leur impulsion. Mais voilà, au-delà de tout, ils sont d'une bienveillance immense et je me sens cocoonée au milieu de mon trio infernal. Ils aimeraient bien chanter devant du public – des petites représentations, bien sûr, rien de folichon. Mais moi, pour le moment, je suis encore réticente. María et Oscar, une fois de plus, sont raccords dans leur réponse « Bah pourquoi ? T'en es parfaitement capable, Alix ! ». Parfois, je me demande s'ils ne se concertent pas dans mon dos tellement leur unanimité me sidère ; puis, je me rappelle d'à quel point ils ne peuvent pas s'encadrer, et je me raisonne.
Le sujet sur lequel ils avaient un avis divergeant, c'était mon fameux « les mecs plus jamais ». María s'était insurgée, arguant que « quand même Alix, tu ne vas pas refuser au monde ton corps de rêve et ta présence solaire ! » ce à quoi j'avais répondu que mon corps avait bien trop subi et qu'il était temps de lui foutre la paix. Oscar, lui, était resté relativement neutre, disant simplement que « tu fais bien ce que tu veux ». En vérité, j'avais osé quelques histoires sans lendemain depuis l'été. Deux ou trois hommes rencontrés par le biais d'une sortie en bar musical avec les garçons du groupe, d'une soirée en compagnie de María et Sophie, ou d'un afterwork avec les collègues. Des gens avec qui j'avais été claire dès le début – on se dira adieu le lendemain – et qui m'avaient redonnés foi en mon pouvoir de séduction et ma capacité à la sensualité. Ces expériences avaient toutes été ornées de respect et de plaisir et, si je n'avais connu aucun ébat mémorable avec ces hommes d'un soir, j'en avais tiré profit pour me redonner confiance en mon corps. « C'est bien, Cariño. Ce gros porc d'Arnaud n'aura pas réussi à te détruire. Tu te relèves toujours aussi belle et forte ! ». Forte, je n'en étais pas si sûre : disons plutôt que désormais, j'évitais les situations de faiblesse. Et partager ma vie avec un homme était la plus grande de mes faiblesses, je le comprenais bien à présent. Masha s'amusait grandement de savoir que je papillonnais parfois dans des bras éphémères, et elle cherchait l'approbation d'Oscar qui restait impassible sur ce sujet-là. « Si ça te convient... c'est bien » disait-il laconiquement.
Andreas grandissait bien. Il se passionnait pour le groupe et avait demandé à faire de la musique, lui aussi. Max, notre musicien touche-à-tout, qui était également animateur et médiateur dans un centre socio-culturel, lui avait fait tester plusieurs instruments avant de me suggérer le piano. Andreas avait sauté de joie, et moi, soupiré en constatant qu'entre l'appartement démesuré, la licence de tennis et désormais, les cours de musique qui nécessitaient un instrument pour pratiquer à la maison, mon compte en banque faisait sacrément la tronche. J'en avais parlé avec gêne aux garçons, et ils avaient mobilisé leur réseau sur Nantes. Un pari gagnant : Jo, travaillant dans un magasin de musique, avait su me dénicher un piano d'occasion que mon budget pouvait supporter. Aussi, Julien avait demandé à une amie agente immobilière d'être vigilante aux annonces de location de T2 dans mon quartier. C'est ainsi qu'en ce début d'année, je venais de déménager pour un deux-chambres à quelques rues de notre ancien logement, dans un immeuble plus récent et avec une vue sympa. Je respectais donc la demande faussement autoritaire d'Oscar : Andreas ne changeait ni d'école, ni de club de tennis - bon, il changeait de chambre, mais pour ça, Oscar avait simplement souri en affirmant : « Je vais être tolérent pour ce point ». La part de participation au loyer puisée dans la pension d'Oscar diminuait de moitié, ce qui n'était pas pour déplaire à mon ego. Lui, de son côté, avait tenu à payer entièrement tout ce qui avait rapport avec le tennis, de la licence à l'équipement, en passant par les tenues et les déplacements pour les quelques minis tournois auxquels notre fils prenait part. Nous avions donc des arrangements financiers acceptables d'un côté comme de l'autre, et je dormais plus sereine.
Annotations