Chapitre 26.2

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 Je m'étire en baillant. Il est temps de fermer mon ordinateur : j'en ai assez fait pour aujourd'hui et, si je veux profiter de la fin d'après-midi, dix-sept heures à la débauche, c'est pas mal. Je rejoins la petite troupe dans le jardin. Comme à son habitude, Masha s'expose au soleil en croc-top et mini short ultra moulant, pendant que les garçons s'éclatent dans la piscine. Je prends possession d'un transat et me sers une citronnade.

  • Pause soif, Andito.

 Oscar vient à nous, dégoulinant. Masha se précipite, lui sert un verre et le lui tend, ne manquant pas de l'embrasser au passage. Elle se recule en grimaçant : la voilà trempée d'eau chlorée. Je lève les yeux au ciel : ce spectacle est écœurant, d'autant plus qu'Oscar ne semble pas y porter plus attention que ça.

  • Tu as fini ta journée ?
  • Ouaip. Le reste de mes dossiers attendra demain. Je n'ai rien de pressé cette semaine, de toute manière.
  • Bien. Tu viens dans la piscine ?
  • Han... Je sais pas...
  • MAMAAAAAA ! SIIIIIIIII !
  • Bon, bon... Pourquoi pas tout à l'heure. Je me pose, pour l'instant.

 Oscar hoche la tête en souriant, puis repart vers le bassin en plongeant, ne manquant pas d'asperger son fils qui rit aux éclats.

  • Oscar est tellement heureux quand il est avec Andreas..., me susurre Masha.
  • Oui, c'est le cas de le dire.
  • Tu sais, je crois qu'il aimerait beaucoup le voir plus souvent.

 Je me raidis. Oui, je le sais, ça ne fait pas de doutes, mais j'ai un peu peur de la suite de la conversation...

  • C'est compliqué de venir plus souvent avec le rythme scolaire, tu sais.
  • Oui.

 Masha fait une drôle de tête, le genre de quelqu'un qui ne dit pas tout ce qu'elle pense. Ça m'agace fortement. Soudain, elle change du tout au tout : elle se penche sur moi, le visage radieux :

  • Tu sais qu'Oscar et moi allons à Rome le mois prochain ?
  • Euh... Oui, il m'a dit ça je crois.

 Elle glousse.

  • Tu sais ce que ça veut dire ?
  • Euh... Que vous allez manger des pâtes ?
  • Rho, t'es bête, Alix ! Tu fais exprès ?
  • Je... Non, mais vas-y, dis-moi ce que ça signifie ?

 Elle me regarde, les sourcils relevés dans une espèce d'évidence qui m'échappe totalement.

  • Bah, enfin, Alix ! Un week-end en Italie ! Il va me demander en mariage !!

 Je ne masque pas ma surprise.

  • Ah bon ? Tu crois ?
  • Mais, oui ! Bien évidemment ! Les hommes vous emmènent à Rome pour jeter trois pièces dans la fontaine di Trevi, s'agenouiller et vous demander votre main !
  • Ah... D'accord. Si tu le dis.
  • Eh bien, cache ta joie.
  • Non, pas du tout Masha. Je suis très contente pour toi, vraiment ! C'est juste que... je ne m'y attendais pas du tout.
  • C'est pas parce qu'il n'a jamais songé à t'épouser que tu dois me le faire payer, Alix, hein.

 Alors là. Je manque de recracher mon verre. Elle affiche un air supérieur absolument détestable. Je la vois observer les longs doigts fins de sa main gauche.

  • À ton avis, elle ressemblera à quoi, la bague ?

 À ma main dans ta face.

  • À un truc rond et brillant, probablement.

 Masha se tourne vers moi.

  • Han. T'es vexée, on dirait ?
  • Non, pas du tout.
  • Mais toi aussi, tu trouveras quelqu'un avec qui te marier, Alix, t'en fais pas.
  • Ce n'est absolument pas dans mon plan de vie.
  • Tu sais, il va être temps de t'en remettre, de ta rupture. Oscar ne va pas passer sa vie entière à te consoler, hein. Il a la sienne à vivre, aussi.

 Je ne vais pas rester aimable bien longtemps, si elle continue. C'est peut-être le moment idéal pour aller se mettre en maillot de bain et me noyer dans la piscine. Mais ce n'est pas du goût de Masha que de me laisser tranquille, apparemment.

  • Ce qui sera pratique, une fois qu'on sera mariés, c'est qu'Oscar pourra faire une demande officielle d'appartement plus grand auprès de la Fédération. Comme ça, on pourra prétendre à un trois chambres. Une pour nous, une pour Andreas, et une pour notre futur bébé.
  • Ah bah dis donc, t'as pensé à tout, à ce que je vois.
  • Oui !
  • Et pourquoi vouloir une chambre pour Andreas à Barcelone ? On vient toujours à Oviedo pour profiter de toute la famille Vázquez.
  • Parce que... Bon, je ne pensais pas t'en parler maintenant mais, puisque tu l'abordes...

 Je déteste son air faussement gêné.

  • Oscar m'a dit qu'Andreas était bon au tennis. Très bon quoi, tu vois ?
  • Oui...
  • Et comme je te l'ai dit, il adore son fils et il aimerait vraiment le voir plus souvent.
  • Ouai...
  • Et j'ai cru comprendre que tu étais un peu en galère financière, entre ton logement, l'école, le tennis du Loulou...

 Mon dieu. Qu'est-ce qu'elle va m'annoncer, là ?!

  • Du coup, tu vois... Oscar travaille dans une Académie réputée pour les talents du tennis. Nous pensons qu'il serait profitable pour tout le monde qu'à la rentrée, Andreas soit inscrit là-bas afin que sa carrière soit réellement supervisée par des pointures du milieu. Et il pourrait vivre avec nous. Comme ça, Oscar profiterait de lui plus souvent, et toi, tu aurais moins de charges financières. Et puis tu auras plein de temps libre pour te trouver un mec !

 J'écarquille les yeux de stupeur. Qu'est-ce que c'est que ce délire ?

  • Tu as l'air ébahie, Alix...
  • « Nous » pensons ? Oscar est d'accord avec tout ça ?
  • Euh, eh bien... Je ne lui en ai pas tout à fait parlé, mais je suis sûre qu'il ne refusera pas...
  • Oh, tiens ! Moi, je serais absolument ravie d'avoir son point de vue !
  • Ne sois pas agressive comme ça ! Il serait capable de se raviser juste pour te faire plaisir ! Mais on ne parle pas de toi, Alix, on parle de l'avenir d'Andreas !

 Ben tiens. Un avenir de pointure du tennis, c'est tout à fait de l'ambition d'Oscar, bien évidemment !

  • Alors, Alix, t'en penses quoi ?
  • Je... vais aller mettre mon maillot. On verra tout ça une fois Andreas couché.

 Alors qu'elle rajuste ses lunettes de soleil, je disparais dans ma chambre, clairement contrariée.

 J'ai un peu fait la gueule toute la soirée. Masha m'a servi un énième numéro d'imitation de la moule à son rocher terriblement gênant. Elle aurait pu manger sur les genoux d'Oscar s'il n'y avait eu qu'elle à décider. Ça n'a fait qu'alimenter mes bouderies. Oscar, lui, a fait son possible pour mettre de la distance, ce qui eut pour effet de ventouser encore plus sa petite amie collante. Nous étions clairement dans un duel stupide dont Oscar était l'enjeu qui s'ignorait.

 Je profite actuellement qu'il soit à coucher Andreas pour fumer, gardant un œil à la cuisine afin de ne pas louper son retour. Masha est attablée à se faire les ongles. Lorsqu'il entre dans la pièce, c'est avec consternation qu'il voit deux furies se précipiter sur lui.

  • Qu'est-ce que...
  • Oscar, mon amour, on peut discuter ?
  • Euh...
  • NON !

 Ma voix rugissante a l'effet escompté : Masha est outrée, mais surtout, Oscar se fige et me regarde avec stupeur.

  • Il y a un soucis, Alix ? Tu semblais étrange, au dîner...
  • Oui, il y a un GROS soucis, oui.
  • Ah bon ?
  • On va en parler TOUS LES TROIS.

 Masha se tortille en laissant glisser ses mains sur lui.

  • Mon amour, j'aimerais que tu m'écoutes et qu'on aille discuter en tête-à-tête, toi et moi.
  • Ça peut attendre, Masha, non ?

 Oscar passe ses yeux d'elle à moi. Je croise les bras. Elle fait la moue.

  • Mais, les filles, qu'est-ce qui se passe ?!

 Je sens le vent de panique monter en lui. Un conflit. Oscar va devoir gérer un conflit. Il déteste les conflits.

  • Mon amour, c'est très important.
  • Bon, bon... Euh, Alix, tu permets ?
  • Non.
  • Ah.

 Oscar est foncièrement mal à l'aise. Masha proteste :

  • Non mais c'est pas Alix qui va décider de si on parle ou pas, Oscar, hein !

 Oscar me fixe intensément. Il essaie de lire en moi. Je hausse les sourcils, et le message semble clair : il s'avance vers moi, tire une chaise et s'assoit. J'en fais de même. Masha souffle bruyamment.

  • Mon amour, ce n'est pas normal qu'elle...

 Oscar lève la main et la coupe. Je le vois se fermer à mesure que les secondes passent. Il lui désigne une chaise, et elle finit par s'asseoir.

  • Je vous écoute.
  • Eh bien, commencé-je, je propose que Masha expose sa fabuleuse idée.

 Oscar lève un sourcil, puis se tourne vers sa voisine. Elle tortille ses jolies mains manucurées.

  • Euh, eh bien... C'est juste une vague idée, hein... ça n'a rien d'obligatoire... j'avais juste vaguement pensé...
  • Viens en au fait, Masha, s'il te plaît.
  • Andreas est très bon au tennis, tu disais.

 Il semble surpris, mais acquiesce.

  • Je me suis dit qu'on pourrait l'inscrire à l'Académie, comme ça il serait super bien coaché, et tu pourrais garder un œil sur lui. Et nous... on le récupérerait les week-ends.

 Oscar a un peu pâli. Il dévisage Masha comme si elle lui proposait de jeter Andreas d'un avion pour vérifier s'il sait voler.

  • Qu'est-ce que tu racontes...
  • Mais si, Oscar, mon amour ! Il est très bon, il faut qu'il soit encadré dès maintenant ! L'Académie propose un excellent parcours pour les futurs talents et...
  • Arrête, Masha ! C'est ridicule, on ne fera pas ça, non.

 La belle blonde perd de sa prestance, et moi, j'essaie d'avoir la victoire modeste. Dans aucun monde Oscar ne pouvait accepter un truc pareil. Pourtant, elle joue ses mauvais pions : elle insiste.

  • Oscar, enfin, tes collègues disent que l'accompagnement au tennis est mauvais en France...
  • On s'en fout !
  • Mais il a besoin d'un encadrement professionnel si on veut superviser sa carrière dès...
  • Quoi ?! Il a neuf ans ! Il a besoin de jouer avec ses copains et de s'amuser quand il fait du tennis, c'est tout !
  • Pourquoi tu t'énerves comme ça, Oscar, mon amour ?

 Il se lève d'un bond, la mine froncée.

  • Mais parce que ! T'imagines pas... T'as pas idée. Andreas est très bien chez sa mère. Qu'il y reste !

 Elle ne comprend clairement pas. Et moi, je devine avec stupeur qu'Oscar ne lui a jamais parlé de son adolescence. Tout comme il ne lui a pas parlé de nos fiançailles. En fait, Oscar ne semble pas s'être vraiment ouvert à elle. N'est-il resté qu'un bout d'iceberg émergé pendant trois ans ? Masha n'a-t-elle jamais réussi à voir sous la surface ?

 Je suis tirée de mes pensées par le regard furieux de la jolie blonde. Mais qu'ai-je fait ? Je n'ai pas dit un mot !

  • Oscar et moi avions besoin de parler seuls ! Et toi, t'es venue y fourrer ton nez !
  • Quoi ?! Mais c'est toi qui a commencé cet après-midi !
  • À cause de toi, il n'arrive pas à réfléchir correctement ! Tu l'embrouilles ! T'es un parasite, ici !
  • Pardon ?!

 Je suis sidérée de son propos, mais je n'ai pas le temps de réagir. Oscar se penche sur elle et lui répond d'une voix glaciale :

  • Tu ne parles pas d'Alix comme ça.
  • Mais elle est tout le temps...
  • Je n'ai besoin de personne pour réfléchir. La présence d'Alix ne change rien à ma réponse : Andreas n'ira jamais à l'Académie. Et même si Alix suppliait pour cela, je refuserais catégoriquement.

 Il se redresse, et quitte la pièce est articulant :

  • Le sujet est clos.

 Pour la première fois, je vois Masha clairement blessée. Ses magnifiques yeux d'opale se remplissent de larmes. J'en ai de la peine pour elle. Elle se lève, et file dehors. Je soupire. Bon, ben... On a connu meilleure ambiance.

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