Chapitre 27.2
...
- Qu'est-ce que tu veux comprendre ?
- Comment c'est possible que tu aies des sentiments pour moi ?
- … Eh bien, je t'ai rencontré en Avril 2004 sur un bateau, et depuis...
- Oh arrête ! Tu te fous de moi ?!
- Mais non !
- Mais tu m'as quittée parce que t'en aimais une autre, putain !
- Mais non !
- Mais si ! Tu disais que... T'avais des doutes !
- Oui, ça, oui. J'avais des doutes. J'en suis désolé aussi... Je suis un mec qui doute, ok ? Je ne suis jamais sûr de moi, je me pose des milliers de questions, je suis comme ça. Ça me bouffe la vie, depuis toujours ! J'admire les gens comme toi qui savent ce qu'ils veulent et qui foncent tête baissée. Ma vie aurait été tellement plus simple...
Bon sang, voilà que j'ai de la peine pour lui, maintenant ! Il me jette un coup d’œil en biais. Il attend. Je rassemble mes idées.
- Tu... m'as quittée pour Raquel, Oscar ! C'est ça qui s'est passé...
- Non.
- Mais... si...
- Je ne t'ai pas quittée pour elle. Jamais je n'aurai fait un truc pareil. C'est ridicule.
- Mais enfin ! J'ai l'impression qu'on n'a pas vécu la même rupture !
- Ou alors tu as interprété ce que tu as voulu.
- Je... hein ? Putain, mais explique-moi pourquoi tu m'as quittée, alors ? Parce que c'est toi, hein ! Tu vas pas me dire que c'est pas toi !
- Non, ça. C'est moi, oui.
- Tu as prononcé ces mots ! Tu as dit « il vaut mieux qu'on arrête » !
- J'ai dit « peut-être ». Et j'avais tort. Mais ça, je m'en suis rendu compte trop tard.
- Oh bah oui, tu t'en rends compte maintenant, c'est même plus trop tard, là, c'est... démesurément tard !
- Je m'en suis rendu compte dès que je suis rentré à Barcelone, Alix. J'ai pas attendu cette année pour faire ce constat, non.
- Mais... comment ça...
Il se passe la main sur le visage, soupire encore.
- Alix, j'ai été nul sur toute la ligne. J'ai été horriblement absent, horriblement sourd à tes protestations, et horriblement mauvais à communiquer. Quand tu as exigé que l'on discute, ça faisait des mois que j'étais horriblement nul. Je le reconnais totalement. Mais j'avais juste besoin... d'une pause. Faire une pause pour réfléchir. Quand je suis rentré à Barcelone, je suis resté cinq jours seul, je l'ai eu, ma pause. Je n'avais plus de doutes. Y'avait une évidence, c'était toi et Andreas. Vous me manquiez. La Fédé ne me manquait pas, le tennis ne me manquait pas, les voyages ne me manquaient pas, les potes ne me manquaient pas... Mais vous deux, si. Terriblement. J'étais pressé de rentrer...
L'amertume s'empare de ses traits. Je n'ose même pas imaginer la claque qu'il a dû se prendre en franchissant le seuil de la porte. À peu près la même claque que celle que je me prends maintenant. Je laisse planer le silence, j'essaie me calmer. Mon cœur menace d'exploser.
- Tu... Pourquoi tu ne dis ça que maintenant, Oscar ?
- Quand voulais-tu que je le dise ? Je ne suis même pas certain que ce soit utile, désormais... ça remue la merde, c'est tout...
- Et pourquoi à l'époque, t'as rien dit ?
Il me fait les gros yeux.
- Peut-être parce que tu as disparu sans laisser d'adresse, que t'as bloqué tous les moyens de communications, et que t'as envoyé María m'aboyer dessus et me menacer de faire disparaître mon corps si je cherchais à te joindre ?
- Mais... Tu aurais pu... Je sais pas... Venir à Madrid...
- Et chanter sous vos fenêtres ?
- Oui, par exemple !
- Et l'autre timbrée, elle n'aurait pas appelé les flics et su me coller une ordonnance d'éloignement ?
- Quand même pas...
Si, en vérité, elle aurait pu.
- T'as idée de ce qu'elle m'a dit quand elle est venue m'ordonner de me tenir à distance ?
- … Non...
- S'il n'y avait que toi, j'aurai peut-être eu l'élan de faire de trucs fous... Mais y'avait Andreas. Je ne pouvais pas me permettre de griller mes chances de le revoir.
- Pourquoi t'as signé le papier qui me cédait sa garde ?
- Parce qu'on avait un accord avec "ton avocate". Le premier, c'était que je conserve l'autorité parentale. Le second, que cette garde totale soit temporaire et qu'un jour, j'obtienne l'alternance. J'avais le choix entre vous faire la guerre, ou pourparler. J'ai choisi la paix, en espérant que tu sois sensible à ça et que tu reviennes un jour vers moi.
- Et... Ensuite ?
- Ensuite... J'ai attendu.
- Comme ça, assis chez toi, avec un bon bouquin, t'as sagement attendu que je revienne ?
- …
Il baisse les yeux. Il n'a pas envie d'en dire plus. Mes émotions montent, elles sont fortes, elles sont comme une vague qui arrive de loin. Je ferme le poing et lui tape l'épaule.
- Allez ! Oscar ! Tu m'as dit l'an dernier que tu avais pleuré notre rupture !
Il ferme les yeux. Quand il inspire, il tremble tellement il est fébrile. Je ne vais pas le lâcher. Je garde mes yeux sur lui. Je sais que je lui mets la pression. Je sais qu'il le vit mal.
- Je suis resté seul. C'était... dur. C'était horriblement dur. Je venais de détruire mon couple, et de perdre la femme que j'aime, et de perdre mon fils avec. J'ai dû prendre mon téléphone pour prévenir ma famille, et mes amis, tout le monde. Personne ne comprenait, ils me demandaient tous des explications. Je n'en avais pas. J'étais seul et j'étais malheureux. Horriblement malheureux.
Des larmes perlent à ses yeux. Je déglutis. La vague grossit, à l'intérieur.
- Et Raquel, alors ?!
- ... Raquel... Elle m'a dit « ne sois pas triste ». Elle était la seule à ne pas me demander d'explications. Elle était la seule qui m'a proposé qu'on ne parle pas de toi. J'en pouvais plus de penser à toi. Je l'ai suivie. J'avais juste envie de... m'octroyer le droit de penser à autre chose. Pour pas péter un plomb.
Il prend une grande respiration.
- Je ne demande pas de compassion... Je n'en mérite pas... C'est juste que... qu'elle avait quelque chose qui m’apaisait un peu. J'étais un peu moins seul. Il fallait que je t'oublie, tu comprends ?
Sa voix s'étrangle sur cette phrase. Là, il pleure vraiment. Il me fait mal au cœur, quelque part... mais j'ai trop de questions pour me laisser émouvoir.
- Et tu l'as épousée. Tu l'as épousée ! Alors qu'on s'était promis le mariage, toi et moi ! On était fiancés mais tu l'as épousée !
Il grimace et pleure encore plus. Je poursuis.
- T'imagines pas combien ça m'a anéantie, d'apprendre ça. J'étais persuadée que t'en avais jamais eu rien à foutre de nous. C'était pas concevable que t'en épouses une autre si... rapidement.
- Je suis désolé, Alix...
- Pourquoi t'as fait ça ?!
Il prend le temps de se calmer avant de répondre.
- Personne n'a accepté Raquel. Tout le monde t'adorait, Alix. Tout le monde était triste de notre rupture. En plus de ma tristesse à moi, je devais gérer celle des autres. Je ne pouvais pas, c'était trop. J'ai pensé qu'en leur présentant Raquel, j'avais une raison de passer à autre chose, et qu'eux aussi. Mes parents ont fait un effort, mais Lorena non. Les potes pas vraiment non plus... C'était pas facile pour Raquel. Elle était rejetée de tout le monde. Elle ressentait l'amour de tout mon entourage pour toi... Elle ne le vivait pas très bien. Alors je lui ai proposé de l'épouser. Je me suis dit que ça obligerait tout le monde à l'accepter. Elle a dit oui. On s'est marié entre deux témoins, y'avait ses parents et les miens, et c'est tout. C'était probablement le plus moche mariage de la Terre.
Il ravale de nouvelles larmes. J'ai pris un peu de recul.
- Donc... Lorena a raison. T'as jamais aimé Raquel.
- Elle t'a dit ça ?
- Oui.
Il déglutit puis secoue la tête.
- Mais t'es quand même resté presque trois ans avec elle !
- Oui...
- Mais pourquoi ?!
- Je ne sais pas. Je ne me souviens de presque rien. J'essayais de reconstruire une vie acceptable, et en même temps, j'étais obsédé par le fait de revoir Andreas. C'était mon idée fixe, je n'avais que ça en tête. Je me réveillais en pensant à lui, je travaillais en pensais à lui, je mangeais en pensant à lui, je voyageais en pensant à lui, je m'endormais à pensant à lui. Quand on s'est rencontré à Madrid pour se mettre d'accord sur le rythme de garde, j'ai... J'ai pas dormi de la nuit. J'ai couru deux heures au petit matin pour évacuer toutes mes tensions. C'était tellement important... Je voulais tellement qu'on réussisse ça. Et on l'a fait. J'ai eu l'impression de respirer pour la première fois depuis des lustres. L'impression que j'allais pouvoir vivre à nouveau.
Comme un symbole, il souffle un grand coup.
- Un an après, on a signé notre nouvel accord au tribunal. J'avais le sentiment d'avoir achevé un truc. Que tout allait mieux. Et María m'a dit... « Alix a un mec ». Ça m'a tabassé. Je réalisais que non, rien n'était achevé. Au contraire. Tout était resté en chantier.
Son visage affiche un dégoût marqué. On dirait presque qu'il va vomir.
- J'ai détesté Arnaud dès que je l'ai vu. Il était arrogant, il te parlait mal, j'avais envie de lui sauter à la gorge quand je le voyais te toucher... et il te touchait tout le temps. C'était insupportable. Il faisait semblant de s'y connaître en tennis alors qu'il était nul. Il dénigrait la vie rurale, il dénigrait les employés, il dénigrait les Espagnols... Il se croyait supérieur à tout le monde !
- Waouh... Tu le détestais à ce point ? Mais tu n'en montrais rien !
- Non. De quel droit l'aurais-je fait ?
- Je sais pas... Oh, Oscar... Comment c'est possible, une telle capacité à faire semblant ? T'as fait semblant de vouloir me quitter, t'as fait semblant d'accepter la rupture, t'as fait semblant d'aimer Raquel, t'as fait semblant d'apprécier Arnaud ! Mais putain, qu'est-ce qu'il y a d'authentique dans ta vie ?
- Depuis que t'en es sortie, pas grand chose.
J'ouvre la bouche mais, stupéfaite, n'en sors rien. Mon dieu. C'est à ce moment-là que la vague arrive sur moi. Trop de révélations, trop d'informations, trop d'émotions. C'est beaucoup trop.
Je secoue la tête, je fais quelques pas, je reviens à lui. Lui, toujours statique, planté devant la porte de sa chambre, m'offrant son profil accablé. Oh, accablé, tu le seras, Oscar Vázquez !
Je serre les poings, et dans un cri de rage, ils atterrissent sur sa poitrine. Un grognement s'étouffe dans sa gorge.
- Putain, Oscar ! Putain, putain, PUTAIN !
Je tape encore. Et encore. Et encore. Il se laisse faire.
- Et Masha ? C'était quoi ? Encore une tentative d'escapade !
- Je te l'ai dit : c'est toi qui nous a poussés ensemble ! Moi je ne voulais pas !
- Mais fallait refuser !
- T'as vu les espoirs que tu lui as mis dans le crâne, avec l'anniversaire d'Andreas ? Ce jour où tu m'as balancé que notre rupture était la meilleure chose qui nous soit arrivé !
- Je ! … J'ai dit ça ?
- Oui !
Je marque un temps d'arrêt. Je n'ai aucun souvenir de ça. Je n'en pense pas un mot, surtout. Je le regarde d'un air coupable. Il hausse les épaules.
- C'était certainement la chose la plus vraie que tu m'aie dite, Alix.
J'arrondis les yeux. Non mais il plaisante ! Mes poings atterrissent une nouvelle fois contre lui. Une fois. Deux fois. À la troisième, il les stoppe.
- Allez, Alix. Arrête.
- Je te déteste, Oscar ! Je te déteste !
- Alix...
- T'es une calamité ! Tu détruis tout ce que tu touches !
Il se décompose sur mes mots. Je me recule. J'ai besoin d'air. J'ai besoin de fuir. Tout ce que j'entends depuis vingt-quatre heures est un cataclysme. Je me retourne et file vers ma chambre, à l'étage. Dans mon dos, j'entends un plaintif « Alix... ». Mais il ne me suit pas, comme de bien entendu.
J'ai ouvert la fenêtre en grand, et je fume. J'en suis à trois cigarettes en une demi-heure. C'est pas bien. J'avais largement diminué depuis ma rupture avec Arnaud.
Je regarde les étoiles. Elles sont belles, cette nuit. Qu'ont-elles à me dire ? Si seulement elles pouvaient me parler...
- Mamá ?
Je sursaute. Andreas a ouvert ma porte mais n'ose pas entrer. Je lui fais un signe de la main. Il s'avance jusqu'à moi.
- Qu'est-ce qui t'arrive, mon poussin ? T'es debout à cette heure ?
- J'avais besoin de faire pipi.
- Hum.
- Tu fumes dans la chambre ?
- Normalement, non. Mais ce soir... si. Tu retournes te coucher ?
- Je... Je suis réveillé depuis un peu longtemps, en fait.
- Ah, mince. Tu veux que je t'accompagne ?
- …
Il me regarde avec une espèce d'appréhension.
- Il y a un soucis, mon poussin ?
- Est-ce que toi et Papá vous vous êtes un peu engueulés ?
Ah. J'essaie de rester neutre.
- Comment ça ?
- Je vous ai entendus.
- Et tu as entendu quoi ?
- Rien. Que vos voix. Enfin, la tienne. On aurait dit que t'étais fâchée.
Je soupire.
- Écoute, je ne vais pas te mentir. Oui, j'étais fâchée contre ton père, ce soir.
- Très très très fâchée ?
- Euh, je ne sais pas... ça te tracasse ?
- … Est-ce que t'es fâchée comme avec Arnaud et vous n'allez plus jamais vous revoir ?
Je réfléchis à toute vitesse. Le suis-je ? Mérite-t-on, tous les trois, ce genre d'ambiance ?
- Non, Andreas. Quand même pas fâchée à ce point.
- Vous allez vous réconcilier ?
- Euh... On va essayer, d'accord ?
- J'veux pas que vous soyez fâchés.
- Oui, oui, j'imagine...
- Si vous êtes fâchés, je verrai plus Papá ?
- Oh, Andreas...
J'ouvre mon bras et l'invite à un câlin. Il hésite.
- Tu verras toujours, toujours ton père, Andreas. Lui il le souhaite plus que tout, toi tu le souhaites aussi ?
- Oui !
- Alors, vous vous verrez. Ça ne changera pas, ça.
Finalement, il vient vers moi. On se prend dans les bras.
- Mon poussin... Je suis désolée que tu nous aies entendus. Ça n'aurait pas dû arriver. Laisse les histoires des adultes en dehors de ta jolie petite bulle, d'accord ?
Il répond un « Mmm » mollasson. Je lui ébouriffe les cheveux.
- Allez, viens te recoucher.
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