Chapitre 28.1

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 Ce vendredi matin est aussi rayonnant que les jours d'avant. J'ai mieux dormi... Pourtant, je patauge toujours en eaux troubles à l'intérieur. Devant le miroir de la salle de bain, je caresse nonchalamment ma lèvre. Elle a goûté au fruit interdit hier. Elle m'en réclame encore. Ça me déplaît. J'aurais préféré être résolument dégoûtée de cette action.

 Je soupire, trace un trait noir le long de mes cils, et me décide à descendre. Je croise dans le couloir un Andreas surexcité, en short et t-shirt de sport.

  • On va faire un tennis, M'má !
  • Oh, ok. Vous partez maintenant ?
  • Ouai !

 J'entre dans la cuisine. Oscar, en tenue de sport lui aussi, est occupé à remplir des gourdes d'eau.

  • Salut..., dis-je doucement.

 Il se retourne, rougit aussitôt.

  • Salut Alix.
  • Vous partez aux terrains ?
  • Oui. Andreas veut refaire un match avant votre départ demain.
  • Cool. Il est insatiable.

 Oscar sourit.

  • De qui tient-il ça...

 Ah ! Ça... Andreas est décidément la copie de son père. Oscar ferme son sac de sport. Je vois bien qu'il fuit mon regard. Je n'ai pas envie qu'on soit encore gênés... Qu'est-ce que c'est que cette semaine ? Un matin consterné, un matin fâché, et désormais un matin embarrassé... je tends la main et la referme sur son bras. Il sursaute.

  • Alix...
  • Tout va bien, Oscar ? On ne va pas une troisième fois jouer à s'ignorer.
  • Je ne t'ignore pas. Je te réponds, on se parle !
  • Quand je fais un pas vers toi, tu recules.
  • Tu as mieux dormi ?
  • Je ne sais pas. J'étais un peu... troublé.

 Il lève les yeux vers moi, et on reste à s'observer en silence. C'est Andreas qui finit par nous tirer de notre torpeur.

  • P'pá ? C'est bon ? T'as pris les raquettes et les balles ?
  • Oui, Andito. Vamos !

 Oscar me fait un signe de tête, je souhaite un bon match à mes Espagnols, et reste une fois encore seule avec mon café.

 J'ai bouclé mes derniers contrats dans la matinée. Les garçons sont rentrés à midi. Le père d'Oscar a débarqué vers quinze heures, la fameuse tente dans le coffre, afin de l'installer dans le jardin. Sous mon parasol, j'observe avec tendresse les trois générations de Vázquez partager ce moment émouvant. J'en ai profité pour prendre quelques photos, me disant qu'à notre époque de l'hyper-technologie, on a perdu le goût des beaux clichés en papier glacé que l'on expose fièrement dans des cadres sur les murs des salons. Andreas resplendit auprès de son père et son grand-père. Pour tout à l'heure, José a prévu de quoi faire des grillades et des chamallows au barbecue. Ana nous rejoindra en compagnie de Lorena et sa famille, les bras probablement remplis de tapas et de bouchées sucrées. Mais, pour l'heure, puisque la tente est solidement accrochée, les garçons semblent céder à l'appel de la piscine.

 Je suis allée chercher des verres et de la citronnade pour tout le monde. Oscar s'approche et se sert, puis regarde avec un sourire ému son père et son fils dans l'eau bleue.

  • Vous êtes beaux, tous les trois, dis-je.

 Il se tourne vers moi et me remercie d'un hochement de menton.

  • Ton père aussi était du genre à ne pas rester en place ?
  • Je ne sais pas... On passait pas mal de temps à arpenter la nature, lui, moi et mon grand-père aussi. J'ai des formidables souvenirs de lui. Je suis heureux de voir Andreas passer du temps avec son papy, aujourd'hui. Mon père ne dit rien, mais il chérit ces moments.

 Je tends à Oscar l'appareil photo que j'avais déniché dans la commode de son salon.

  • Tiens. Ils sont dans la boite, les moments chéris.

 Une lueur passe dans son regard, il s'en saisit et fait défiler les images. Un de ses magnifiques sourires se dessine sur son visage.

  • Waouh... Merci, Alix. Ça me touche beaucoup.
  • Je t'en prie.

 Il laisse passer quelques secondes, puis me dit :

  • Andreas m'a dit qu'il s'était levé hier soir, et qu'il avait essayé de nous écouter.

 Malgré moi, je pouffe de rire.

  • Mince alors, on a un espion dans la maison ?

 Il rigole aussi.

  • Ouai... Il était vraiment stressé de cette histoire d'engueulade.
  • L'est-il encore ?
  • Non. Il nous a entendu rire, apparemment, et... il est retourné se coucher.
  • Ah ! Les spéculoos de l'apaisement.

 On rigole de plus belle.

  • Ça s'est bien passé, le tennis ?
  • Oui.
  • Il m'a dit qu'il était content parce qu'il t'avait mis de belles balles.
  • Oui, c'est vrai.
  • Masha a raison, alors ! Il est vraiment doué !, dis-je avec sarcasme.

 Oscar plisse les yeux.

  • Alix... Tu ne te rends pas compte. Masha n'inventait pas... Il est vraiment, vraiment doué.

 Une drôle de sensation me traverse.

  • S'il passait les examens d'entrée au Centre de Barcelone, il serait admis d'office, et on lui déroulerait le tapis rouge.
  • Tu envisages vraiment... ?
  • Non, je te l'ai déjà dit. C'est hors de question. Mais je connais le niveau des gamins que je supervise... Son club ne t'as jamais rien dit ?
  • Si. Ils me répètent qu'il est le meilleur de sa catégorie.
  • Évidemment. Peut-être qu'un jour... nous aurons réellement un choix à faire. Mais pour le moment, Andreas n'a pas d'autres souhaits que de s'amuser. Il faut le laisser tranquille.
  • Tu lui en as parlé ?
  • Oui. J'ai tâté le terrain, mine de rien. Il n'a aucune ambition. Il veut juste taper la balle.
  • Bien. Ça me va.

 Je n'ai pas du tout, en plus du reste, envie de gérer une carrière de futur Nadal.

  • Et... Parlant de Masha... Tu as des nouvelles ?

 Oscar laisse planer un silence. Il regarde ses pieds, la mine sombre. Puis, voyant que j'attends une réponse, il se décide :

  • Oui. Elle s'amuse bien à Londres. C'est très sympa, comme séminaire, apparemment.
  • Cool. Tant mieux pour elle.
  • Mmm. Autant qu'elle en profite, hein, vu ce qui l'attend en rentrant...

 Le ton est amer. J'arrondis les yeux.

  • Alors, tu vas la quitter ?
  • Bah !, s'exclame-t-il avec sévérité. J'ai embrassé quelqu'un d'autre !

 Hum.

  • Ce n'est pas l’unique raison de devoir la quitter, Oscar...
  • C'en est une grosse, quand même...
  • Oui, enfin... Indépendamment de ce qu'il s'est passé hier soir, je maintiens que c'est la meilleure chose à faire.

 Il souffle d'agacement.

  • C'est bon, ça va, on ne va pas en remettre une couche. Je connais ton point de vue.
  • T'as suffisamment d'arguments pour ne même pas lui parler de ça...

 Il me fusille du regard.

  • T'es sérieuse ? Tu me reprochais de n'avoir rien d'authentique dans ma vie l'autre jour, et tu m'encourages à mentir aujourd'hui ?

 Bon. Je m'enlise, là. Je regarde Andreas et José s'amuser à s'arroser, contrastant avec Oscar, à mes côtés, qui essaie d'enfouir sa rancœur.

  • Oscar... Je suis désolée pour hier soir...
  • Ah bon ? Tu l'es vraiment ?

 Hum. Hum. Hum. Merde. Mon manque de réponse lui tire un sourire ironique.

  • Formidable...
  • Écoute, je ne vais pas te mentir non plus, Oscar... Je n'en fais pas un cas de conscience, non. Peut-être que tu ne devrais pas en faire un, d'ailleurs...
  • Ben voyons. Comme c'est pratique. On n'a qu'à dire que c'était rien !
  • Ben oui, c'était rien ! C'était juste un baiser !

 Il agrandit les yeux dans une expression heurtée.

  • Vraiment, Alix ? C'était rien ?
  • Non mais... Ce que je veux dire, c'est que... Faut pas que tu te fasses une montagne de... juste ça.

 Merde. J'ai l'impression de voir Oscar se disloquer devant moi.

  • Ok..., souffle-t-il péniblement.

 Merde. Merde, merde, merde ! Je voulais juste minimiser la faute commise pour soulager sa conscience, moi, mais je réalise qu'il reçoit mes mots comme un coup de pelle dans la tronche !

  • Non, Oscar, écoute... Je ne voulais pas te blesser...

 Il secoue la tête.

  • Laisse tomber, Alix...
  • On en reparle plus tard ? Ce n'est pas le bon moment, là.
  • Non, c'est certain.
  • HEY ! Tu viens, P'pá ?!

 Je sursaute, et me tourne vers la piscine. Andreas attend, tout en joie. José, lui, plisse les yeux vers nous, du même regard perçant que peut avoir Oscar lorsqu'il essaie d'analyser quelqu'un. Oups. Nous sommes épiés. Je me donne une mine la plus enjouée possible. Mon voisin souffle, et, dans un effort démesuré, il adresse un sourire à son fils et lui réponds :

  • Oui, mon grand. J'arrive. Je... vais aux toilettes d'abord.

 Je ne peux que le regarder s'engouffrer dans la maison. Aux yeux de nos spectateurs, ça n'aurait aucun sens que je le retienne, ni que je le suive. Je me sens mal, horriblement mal, putain !

 Oscar réapparaît au bout de dix minutes, et il a clairement renfilé son habituel blindage. Il ne m'adresse pas un regard, se déleste de son t-shirt. Je pose ma main sur son bras dans un truc un peu désespéré. Il se raidit.

  • Je n'ai pas envie que tu sois fâché, s'il te plaît, Oscar...

 Il soupire, me regarde avec agacement.

  • Je ne suis pas fâché.
  • Ah. Merci.

 Il me fixe toujours, prend une longue respiration, et me dit sans émotions :

  • Je vais les rejoindre.

 Je le regarde se retourner et plonger. Lorsqu'Oscar ressurgit près de lui, Andreas éclate de rire. Oscar attrape son fils et chahute avec lui. J'observe avec admiration sa capacité à faire semblant. Ça me fait mal au cœur, même.

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