Chapitre 28.2

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 Je suis restée embêtée. Nous sommes vendredi, nous repartirons demain avec Andreas, je n'ai pas envie que ce soit un au revoir dans une ambiance tendue. Décidément, qu'elles sont compliquées, ces vacances d'Avril !

 L'arrivée de Lorena et les autres a dissipé un peu ma contrariété. Les cousines ont filé dans la piscine en moins de cinq minutes, et je suis restée avec Lorena et Ana à installer la table et papoter. J'ai vu Lorena s'emparer avec curiosité de l'appareil photo, y jeter un œil et sourire béatement.

  • Oh, waouh, Alix. Elles sont chouettes, ces photos !
  • Merci. Oscar a apprécié aussi.
  • J'imagine ! Il est vivant, là, au moins ! Ça change de sa morosité actuelle.
  • Il a passé de bons moments avec Andreas cette semaine, je pense.
  • Et alors, il t'a payé un café ?

 Je souffle un rire. Si tu savais, Lorena !

  • Oui.
  • Tu as eu tes réponses, pour Raquel ?
  • … Oui.
  • Alors ?

 Je suis gênée. Je n'ai absolument pas envie de jouer aux commérages dans le dos d'Oscar. Déjà qu'il est chafouin, je risquerai l'engueulade officielle, là.

  • Euh... Eh bien... Je ne vais pas tout te déballer, Lorena. Il y a des choses très personnelles... Mais globalement, ce qu'il y a à en retenir, c'est qu'il n'allait pas bien du tout sur cette période-là, et que Raquel a été une sorte de bouée de sauvetage. C'est pas cool pour elle, mais... ça lui a maintenu la tête hors de l'eau, à lui.

 Lorena assimile mon propos, puis me répond :

  • C'était assez évident, dans le fond. Je ne crois pas que Masha soit une relation sérieuse non plus.
  • Il aurait aimé qu'elle le devienne. Mais, effectivement... ça semble compliqué d'y voir une issue favorable.
  • Eh bien, c'est pas une réussite, mon p'tit Oscarito...
  • Ne lui dis surtout pas ça. Si tu voulais le plomber définitivement, tu ne t'y prendrais pas autrement.

 Lorena me regarde avec surprise, puis rougit un peu.

  • C'était pour rire...
  • Évite. Il ne va pas être sensible à cet humour-là.
  • Oui. Ok.
  • Lorena... On sait comment est Oscar, hein ? Toujours taiseux, toujours renfermé... Je sais que ça peut être fatigant de ramer pour obtenir quelque chose de lui. Mais il n'empêche... il va avoir besoin d'une bonne dose de soutien, prochainement. Faudra être plus dans l'empathie que dans la blague, je pense.
  • Ok...

 Elle me dévisage. Je n'en dirai pas plus, de toute manière. Tout le monde sort de la piscine et nous rejoint : les estomacs crient famine !

 Nous passâmes une excellente soirée, ponctuée de rires, d'anecdotes, de souvenirs, de jeux, de nourriture délicieuse, et d'amour familial. J'avais le sentiment étrange d'être infiniment bien, et pourtant, de voler une place que n'était plus la mienne depuis des lustres. Oscar garda ses distances d'avec moi, mais face aux autres, il présenta un portrait tranquille et détendu.

 Enfin, les Vázquez prirent la route du retour, et les enfants allèrent se coucher dans la fameuse tente peu avant minuit. Dans la cuisine, je finis de remplir le lave-vaisselle pendant qu'Oscar donne ses dernières consignes. Les filles de Lorena ont douze et quatorze ans, un âge où l'autonomie est suffisante pour une nuit dehors, et puis, la chambre d'Oscar possède une porte avec vue sur ladite tente.

 Oscar me rejoint dans la cuisine.

  • J'espère que ça va bien se passer..., marmonne-t-il.
  • Mais oui ! Dormir avec mon cousin, je l'ai fait des centaines de fois : c'est génial ! On papote jusqu'à pas d'heure, on critique nos parents, on se raconte des potins... et des trucs plus philosophiques, aussi.
  • Ton cousin a ton âge. Les filles de Lorena sont ado...
  • Mais Lorena leur a inculqué la discipline des Vázquez. Sa fille aînée est une vraie petite maman. Il ne se passera rien d'inquiétant.

 Il hausse vaguement les épaules. Je penche la tête sur le côté.

  • Je te paye un café ?

 Ça ne semble pas l'amuser. Il réfléchit.

  • Est-ce une bonne idée, Alix ? Il se passe de drôles de choses avec les cafés du soir.
  • C'est à cause des spéculoos, ça. Ça fait un effet...

 Ah, au moins, il sourit.

  • Alix... Tu n'es jamais sérieuse.
  • Devrait-on l'être ?
  • Oui.

 Il approche jusqu'à moi. Oui, sérieux, il l'est. Il inspire grandement.

  • Alix... Je sais que j'ai dit beaucoup de choses qui peuvent être perturbantes, ces derniers jours. Je ne sais pas ce que tu penses de tout ça...
  • Je ne sais pas non plus, Oscar. C'est compliqué. C'est le flou artistique, là... Je me sens vraiment... confuse.
  • Mmm.
  • Je suis désolée de ne pas être sur la même fréquence que toi.
  • C'est pas grave.

 Il hausse les épaules. Il a l'air triste, et moi, je me sens coupable. Mais, je lui dois la vérité : je suis vraiment, vraiment paumée. Il prend une grande inspiration.

  • Bon. Je vais t'épargner des heures de réflexions. J'ai bien réfléchi, et... Je crois que meilleure chose à faire, c'est d'en rester là.

 Il laisse sa phrase en suspens, se retourne, prend deux tasses et nous sert des cafés. J'observe ses gestes, incapable d'élaborer une analyse à ses mots.

  • Tu te laisse tenter par le café, finalement ?

 Il sourit.

  • J'en ai envie.
  • Il n'y a que le café qui te fait envie ?
  • Non. Il y a beaucoup de choses qui me font envie. Mais il n'y a que le café qui n'aura pas de conséquences désastreuses à gérer.
  • Ah, carrément ?

 Il prend une gorgée, me regarde par-dessus sa tasse, et finalement, devant mon air dubitatif, il soupire.

  • Alix... Ce que tu imagines, je l'ai imaginé aussi. Mais, honnêtement : regarde-nous. On a mis huit longues années à construire une nouvelle relation qui tient la route. On ne va pas risquer de tout foutre en l'air, si ?
  • Tu sous-entends que ça serait un échec, donc ?
  • Certaines évidences sautent aux yeux...
  • Lesquelles ? Pourquoi ça foirerait ?
  • Parce que tu ne m'aimes pas.
  • Oscar... c'est violent comme phrase !
  • Non, c'est un fait : tu m'apprécies, tu as beaucoup d'affection pour moi, mais tu n'as pas d'amour. Tu envisages de te lancer dans une histoire avec l'hypothèse de retomber amoureuse ?
  • C'est souvent comme cela que ça se passe, les couples, Oscar... On essaie, oui !
  • Et si ça foire, il se passera quoi ?
  • Je ne sais pas...
  • Alix, regarde les choses en face : on ne serait pas un couple normal. On met beaucoup de choses en jeu si on relance les dés. Je sais que toi, tu es joueuse, mais...
  • … mais pas toi.
  • Non.
  • C'est de la peur, Oscar. Encore.
  • Y'a un peu de ça. J'ai trop à perdre pour être serein.
  • Qu'est-ce que tu perdrais ?
  • Toi, et Andreas. Et peut-être l'estime de ma famille, de mes amis, je ne l'exclue pas.
  • Tu ne perdras pas Andreas. On fera toujours en sorte qu'il ait l'attache de ses parents, comme on a su le faire jusqu'à présent.
  • … J'ai vécu un an sans lui. Je ne souhaite jamais revivre ça.

 Je râle. Le petit taquet au passage, il est pour toi, Alix !

  • Je me suis déjà excusée pour ça !
  • Je sais, et je ne te le reproche pas. Mais c'est un fait, là aussi. Si Andreas nous voit nous remettre ensemble, et nous séparer de nouveau, qu'en pensera-t-il, lui ? Il est grand, il a son libre-arbitre, il aura son mot à dire cette fois ! S'il décide de prendre un parti ? S'il se fâche avec l'un de nous ?
  • Il ne fera pas ça, quand même...
  • Qu'en sais-tu ?
  • Pourquoi se fâcherait-il avec nous ?
  • Parce que son père est un idiot qui ne sait pas tenir une relation !
  • Han, Oscar, encore ça...
  • Oui ! Je l'ai déjà prouvé trois fois, il t'en faut une de plus ? J'ai toujours foiré mes relations. Tu sais, je crois qu'il y a des gens qui sont mieux seuls... Visiblement, j'en fais partie. C'est pas grave, écoute. J'ai essayé, c'est pas pour moi, c'est tout.
  • Mais, Oscar, tu ne vas pas rester seul tout le reste de ta vie !
  • Et pourquoi pas ?
  • Parce que tu es quelqu'un d'adorable, de doux, d'attentionné, de passionnant, de profondément gentil... Tu mérites une belle histoire ! Y'a que les connards qui méritent de finir seuls !

 Il sourit tristement, me murmure un « merci » et bois encore. Je déglutis. Sa résignation me plombe le moral. Je joue à l'avocate du diable, mais à vrai dire, je n'ai rien envisagé du tout, moi. Je ne sais ni de quoi je suis capable, ni de quoi j'ai envie. Je ne sais plus rien. Il joue avec sa tasse.

  • Je sais que tu n'aimes pas réfléchir mais pour une fois, Alix, pour une fois : regarde les potentielles conséquences. Elles sont trop lourdes dans la balance.
  • Ok, admettons... Et toi ?
  • Quoi, moi ?
  • Tu dis que t'as peur de me perdre, moi aussi.
  • ... Oui. Si on retente quelque chose, et qu'on n'y arrive pas, je te perds définitivement, Alix. C'est certain. Alors que si on reste comme on est là...
  • Tu m'as dit que tu ressentais des choses. Comment tu vas faire ?
  • Laisse tomber ça. On s'en fout. Je gère.
  • Je vais devoir me contenter d'un « je gère » ?
  • Oui.
  • Je vais vivre à tes côtés en sachant que...
  • Tu ne vis pas à mes côtés : on se croise de temps en temps. Et tu ne vas rien faire de différent que ce que tu fais jusqu'à présent, d'accord ? Ça ne change rien.
  • Tu réfléchis, tu réfléchis, c'est formidable, mais au fond de toi, t'as regardé tes envies, Oscar ?

 Il se tait, un air coupable au visage.

  • Ah ! Tu vois, Oscar... C'est pas de ça dont tu as envie !
  • Mes envies, elles ne font pas le poids face aux évidences qui se présentent.

 Je souffle d'agacement. Il ferme la porte à tout sans nous laisser discuter. Le pire, c'est qu'il a de bons arguments. Mais ça m'agace de le voir décider pour nous, alors que je n'ai même pas eu le temps d'éclaircir tout ça. J'ai comme une envie de foutre en l'air ses jolies conclusions. Une envie à la Alix...

 Je le vois se marrer. Bah quoi ?

  • Tu ne sais pas être raisonnable, Alix Lagadec...
  • Non. Demain.
  • Oh, vraiment ? Tu seras raisonnable demain ?
  • Et pourquoi pas ?

 Son regard s'illumine. Je vois comme une flamme danser dans ses yeux ambrés fascinants.

  • Tu peux me le promettre, Alix ?
  • Euh... C'est-à-dire ?
  • Promets-moi d'être raisonnable demain. Et tous les demains d'après, hein. Ne m'entourloupe pas là-dessus.
  • En échange de quoi ?
  • D'un peu d'envie.

 Qu'imagine-t-il ? Il pose sa tasse, et se redresse. Il s'approche, proche, très proche.

  • J'ai rêvé de te rejoindre chaque nuit, cette semaine. Mardi pour m'excuser. Mercredi pour te supplier de me pardonner. Hier pour t'embrasser encore... Donne-nous cette nuit, Alix. Donne-moi cette nuit pour t'avoir, pour t'aimer, pour laisser parler mes envies. Accorde-moi ça, rien que ça... et demain, promets-le, on sera raisonnables.

 Je réfléchis.

 J'ai en face de moi un Oscar conquérant. Un Oscar sûr de lui, pour une fois. Un Oscar foutrement séduisant, et foutrement désirable.

 Je tends mes mains vers lui. Je caresse ses cheveux. Je les arrête au niveau de ses oreilles.

  • Écoute-moi bien attentivement, Oscar. Je te promets d'être raisonnable demain. Mais là, je crève d'envie d'avoir cette nuit avec toi. Premier degré.

 Un sourire immense illumine son visage candide.

 Quelle merveille que cette nuit. Quelle merveille que les mains d'Oscar Vázquez à l'assaut de ma personne. Quelle merveille que sa bouche à l'aubaine de ma peau. Quelle merveille que sa voix divine chantant l'extase avec moi. Quelle merveille que nos gestes, que nos baisers, que nos sueurs, que nos gémissements, que notre unisson. Quelle merveille d'y venir, et d'y revenir, insatiables que nous étions. Quelle merveille que ce corps à corps infini. Quelle merveille que cette nuit.

 Quelle heure était-il quand, enfin, nous eûmes atteint ensemble l'apogée des merveilles ? Oscar se laissa lourdement tomber sur moi, sa tête entre mes seins, un sourire béat au visage. Très vite, il fut pris de soubresauts.

  • Qu'y-a-t-il ?, murmuré-je faiblement.
  • Il bat joliment, me dit-il avec tendresse, à l'écoute de mon côté gauche.
  • C'est parce qu'on était beaux.
  • Oui... On était beaux.

 Presque aussitôt, il s'endormit, le sourire indéboulonnable.

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