Chapitre 2.1

4 minutes de lecture

Oviedo, Mai 2004.

 Un grand soleil m'accueille lorsque je sors de la gare. Le bâtiment est magnifique : il est composé d'une vingtaine d'arches abritant des boutiques ; les façades sont blanches, ornées de pierres rectangulaires beiges ; une immense horloge trône au centre de la tour principale ; des superpositions de toits en tuiles rouge écarlate donnent un pep's chatoyant au tout. L'ambiance est très typique du style méditerranéen... paradoxal à trouver ici, à deux pas de l'Atlantique.

 Je regarde à gauche et à droite : normalement, Luigi et Oscar m'attendent. Cela fait trois semaines que je converse quotidiennement avec ce dernier, par téléphone. J'ai répondu un grand "OUI" à sa proposition d'assister aux fêtes de l'Ascencion de sa fameuse ville natale, Oviedo. J'en souris d'avance : le revoir me ravit.

  • Hey ! Aliss !

  Je me retourne : Luigi avance vers moi en me faisant de grands gestes, suivi dans son sillage par un Oscar flegmatique.

  • Aliss ! Tu es ravissante ! Tu as fait un bon voyage ?
  • Oui, parfait, merci Luigi.
  • Ah, très bien ! Oscar va prendre ton sac !

 Oscar s'exécute docilement.

  • Salut, Oscar.
  • Salut.

 Concis et direct : il n'est pas bavard, mais je vois un enjouement sincère sur son visage.

  • C'est chouette que tu aies accepté l'invitation d'Oscar, Aliss ! Nous sommes tes guides ici ! Tu verras, les fêtes de l'Ascension sont formidables ! Tu veux poser ton sac ? Tu dormiras où ? On t'accompagne à l'hôtel ?
  • Hôtel ? (et puis quoi encore ?) J'avais plutôt imaginé que l'un de vous allait me loger.

 Alors qu'Oscar reste incrédule, Luigi se pare rapidement d'un immense sourire.

  • Ah, bien sûr, Aliss, de toute façon tous les hôtels sont pleins à l'Ascension ! Moi désolé mais je n'ai pas d'adresse ici, je dors où le vent me porte quand je rentre à Oviedo. Tu vas être obligée de quémander l'hospitalité d'Oscar, Bellissima.

 Je me tourne vers Oscar qui semble pris de court. Les yeux écarquillés, il a l'air paniqué à l'idée de me loger. Il ouvre la bouche, passe de Luigi à moi et, devant nos regards silencieux, il bafouille :

  • Euh... Bien sûr, évidemment, euh... J'ai un canapé.

 Luigi le regarde avec consternation. Je rigole.

  • Un canapé, c'est parfait.
  • Et si elle a froid, tu aurais aussi un petit plaid pour elle ? ajoute Luigi avec sarcasme.
  • Oui, oui. Bien évidemment.
  • Oh, Dios... Quelle grande bonté, Oscar... Vamos ! On est garés là-bas, indique l'Italien.

 Ils me devancent sur le trottoir et, malgré le ton bas de leur conversation et les bruits de la ville, j'entends leurs voix :

  • Oscar, le canapé ? T'es con putain !
  • Quoi ! Je ne vais pas lui dire de venir dormir dans mon lit !
  • Bah non, tu penses bien... Et elle est venue pour quoi, à ton avis ?
  • Pour... les fêtes...
  • Joder, c'est pas croyable ! T'as vu comment elle te regarde, au moins ?
  • Oscar, mon vieux, ne me dis pas que je me suis arraché à trouver le numéro d'une nana mystérieuse dont tu n'avais même pas le nom, pour que tu l'invites dans le trou du cul de l'Espagne dormir sur un canapé !

 Je vois la silhouette d'Oscar hausser les épaules. Je pouffe de rire. Ce week-end s'annonce réjouissant.


 Oviedo est une ville absolument charmante : les maisons aux façades de mille nuances d'ocre et de jaune et aux volets multicolores enchantent des rues entièrement pavées et réservées aux piétons ; çà et là, des minuscules places s'ornent de statues. Je suis fascinée par l'ambiance solaire de la ville. Dans la voiture, Luigi, en bon italien, monopolise la parole pour m'abreuver d'informations plus ou moins intéressantes sur la ville. Oscar habite dans une ruelle étroite, nous la remontons à pied avant de s’immobiliser devant un petit immeuble à l'ancienne. Pas d’ascenseur, pas de hall d'entrée grandiloquent avec une verrière et des plantes en plastiques, pas de digiphone. Il ouvre un gros portail en fonte avec une clé du siècle dernier.

  • Bon, j'ai la flemme de monter, et j'ai un coup de téléphone à passer. Je vous attends là !

 Luigi dégaine son portable et s'éloigne. Je suis Oscar dans l'escalier jusqu'au troisième et dernier étage. Il décrochette sa porte et, après une seconde d'hésitation, l'ouvre. Je pénètre dans l'entrée minuscule, qui ouvre sur une pièce de vie baignée de lumière avec une vue surprenante sur la ville. J'avance jusqu'à la baie vitrée. Je suis bouche bée. On voit des toits, de vieux bâtiments comme tout ceux que l'on a croisés en arrivant de la gare, des murs colorés, à quelques centaines de mètres sur la droite se dresse la cathédrale. Plus loin, on distingue des immeubles et enfin, et en arrière-plan, des montagnes majestueuses qui semblent enlacer la ville, et dont la cime se perd dans les nuages.

  • Waouh...
  • Bienvenue à Oviedo, Alix.
  • Tu ne m'avais pas menti.
  • Tu en doutais ?
  • Il y a beaucoup de chauvinisme en Espagne...
  • Si peu...

 Il fait semblant de regarder le plafond d'un air innocent. Je reviens vers lui.

  • Et voici donc le superbe canapé.
  • Eh bien, si ça te convient, oui. Enfin, non. Je devrais sûrement te laisser ma chambre plutôt.
  • Non.
  • Tu y seras plus confortable.
  • La seule bonne raison de dormir dans le lit d'un homme est d'avoir le plaisir de l'y trouver lui-même.

 Il me regarde sans répondre. Il semble figé, j'ai presque l'impression qu'il ne respire même plus ? Puis, il rosit. Touché. Je viens de lancer les hostilités. Ça me grise. Je balance mon sac sur le canapé.

  • Bien. On y va ? Luigi va nous attendre.
  • Euh... hum. Oui. Bien sûr, oui.

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