Chapitre 3.1

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 Le soleil filtre à travers la petite fenêtre de la cuisine. La tête encore endormie, j'enfile mon gros gilet et je m'approche. Je reste interdite : l'appartement propose une vue sur le vieux centre d'Oviedo absolument charmante. Je découvre ainsi la ville endormie dans le calme du petit matin. J'admire en silence les bâtiments traditionnels, les façades ocres, les volets multicolores encore fermés et les montagnes tranquilles. La porte d'entrée qui s'ouvre m'extirpe de mes songes. Oscar apparaît.

  • Tu peux ouvrir le volet du salon, la vue est bien plus large.
  • Je me souviens, oui. Mais j'ai été attirée par la discrétion de cette petite lucarne. Comme si je regardais la vie en catimini.

 Il sourit en posant un sachet sur le comptoir.

  • Petit-déjeuner !
  • Waouh, trop bien. Spécialités locales, je suppose ?
  • Bien évidemment.

 On mange et sirote notre café devant la baie vitrée du balcon qui, effectivement, nous ré-offre son panorama fascinant. Je suis tellement absorbée par la rue que j'en oublie mon colocataire d'une nuit. Je remarque son reflet dans la vitre : il ne me quitte pas des yeux. Depuis combien de temps me regarde-t-il comme ça ?

 Mon téléphone vibre. Je le consulte : María. Elle me confirme m'attendre demain à la gare de Madrid. Je soupire... Je n'avais pas envie de penser à repartir d'ici. Allons, allons, une demi-journée et j'ai déjà envie de rester ? J’égare mon regard vers lui : ses yeux noisette sont toujours vissés sur moi et soudain, je le vois gêné. Il se lève.

  • Hum, euh, je vais me doucher. Tu peux... tu fais comme chez toi. Enfin, à moins que tu ne veuilles la salle de bain d'abord ?
  • Vas-y. Je resterai sage en ton absence, promis.
  • ... Je n'ai pas imaginé le contraire.

 Alors qu'il disparaît, je me sers un deuxième café et m'installe sur le balcon. J'ôte mon gros gilet et expose mes bras et mes jambes nues au soleil qui me caresse chaleureusement la peau. Je ferme les yeux : affalée sur cette chaise en toile, à l'abri des regards, je suis infiniment bien. J'ai l'impression d'être en vacances ! Cette pause au milieu de mon programme de révision est une bénédiction.

 Le bruit de la clé dans la porte d'entrée me tire de mes songes : si Oscar est sous la douche, dois-je paniquer de la voir s'ouvrir ? Je me précipite à l'intérieur, n'étant pas bien certaine de ce que je devrais faire. Une voix de femme s'élève dans l'entrée.

  • Oscar ? Ah, occupé...

 Merde, je suis en culotte et top moulant à trois mètres d'une illustre inconnue ! Je cherche des yeux mon gilet, ou n'importe quoi qui pourrait me servir à me couvrir, mais la fille n'a qu'un mètre à franchir pour pénétrer dans le salon.

  • AAAH ! OH !

 Elle écarquille les yeux, puis me détaille de haut en bas d'un air hébété.

  • Dios mío...
  • Euh... Bonjour ? (c'est qui, elle ?)
  • Bonjour... Euh, je suis désolée, je ne voulais pas déranger... Oh putain, oh putain... !

 Je me saisis du plaid qui m'a servi de couverture et m'y enveloppe. Hum. Je lui adresse un vague sourire.

  • Euh... C'est gênant...
  • Oui, oui, oh désolée ! J'aurais pas dû, je... Oh bordel, je vais me faire tuer !
  • Te faire tuer... par Oscar ?
  • Ben, oui ! Je ne devrais pas être là...
  • Ah... Mais du coup, qu'est-ce que tu...
  • (elle retrousse son nez parsemé de tâches de rousseurs) Dis donc, tu parles drôlement... T'es pas du coin ?
  • Non, je suis française.
  • Ah ! C'est beau, la France ! J'y suis allée deux fois... ou trois, peut-être ? Les Alpes, c'est en France ?
  • Euh, oui, enfin ça dépend...
  • (elle secoue la tête vigoureusement) Bref, oh, je ne devrais pas être à papoter avec toi ! Écoute, tu as l'air sympa, alors disons : si je m'en vais, tu pourrais faire comme si tu ne m'avais pas vue et ne rien dire à Oscar ? Je te promets que moi non plus, je ne dirai rien à personne !
  • Euh... Je ne sais pas si j'ai envie de lui mentir, et puis je ne sais même pas qui tu es ?
  • Ah, oui, pardon, je...
  • LORENA ?!?!

 Oscar vient d'apparaître depuis le vestibule, et avance vers la fille en trois grandes enjambées. Effectivement, il a l'air furieux. Ça me fait bizarre de le voir comme ça !

  • Mais qu'est-ce que tu fous là, bordel ?!
  • Oh, Oscaaaaar, je suis désolée, je n'aurais pas dû je sais, en fait je passais juste pour te proposer de... Ne me regarde pas comme ça, je te jure que je me sens hyper mal là !
  • Bordel, Lorena, mes clés, tu les as pour gérer l'appart quand je suis absent ! Quand je suis ABSENT ! Arrête de débarquer n'importe quand !
  • Mais je ne suis jamais vraiment sûre de quand t'es là ou pas...
  • Tu te fous de moi ? On s'est vus hier matin !
  • Ah oui, merde... Non mais Oscar, regarde : je reprends mes affaires, hop, et je file, et vous oubliez ma venue, moi je te promets que je ne dis rien à personne...
  • Lorena. (il tend la main) Rends-moi mes clés.
  • Mais ? Oui d'accord. Tiens. Non mais attends, Oscar, fais pas la gueule comme ça ! Laisse-moi le droit à l'erreur ! C'est pas ma faute, y'a jamais personne ici d'habitude, je ne m'attendais pas à trouver une fille à poil dans ton salon...
  • LORENA !
  • Mais c'est bien, tant mieux pour toi, ça veut dire que...
  • Ne termine même pas cette phrase !
  • Ok, ok.
  • Va-t-en !
  • Oui ! Ah, et, je te jure que je me suis excusée auprès de... euh ?
  • Alix, je précise.
  • Aliske ! Aliss ! Aliske... Oh, c'est chelou ça ! (elle se rapproche de lui et baisse à peine le ton) Est-ce que je dois retenir son prénom, ou elle retourne en France et c'est pas la peine ?

  Je n'aurais pas parié que ce soit possible, et pourtant : la fureur d'Oscar semble prendre un grade supplémentaire.

  • Non mais je rêve, putain !
  • Bah quoi ? C'est vrai, elle n'est là que pour les fêtes ou... ?
  • Je... ne sais pas.

 Oscar semble momentanément déstabilisé. Il tourne la tête vers moi, à la recherche d'une réponse... mais est-ce vraiment le moment pour aborder ce sujet ? Je décide de dégainer ma meilleure arme : l'humour.

  • Eh bien, je vais au moins rester une nuit de plus. Je serais trop déçue de te quitter maintenant alors qu'on n'a même pas couché ensemble !

 Oscar écarquille les yeux et commence à rosir.

  • Oh ! Ben, Oscariño, c'est quoi ce bordel ? Faut qu'on t'explique comment faire ou quoi ?

 Il ferme les yeux d'exaspération, puis adresse un regard sans équivoque à la fille.

  • Oui ! Eh bien, euh, bon. Je vais... rentrer. À plus tard, Oscar. (elle se tourne vers moi) Au revoir, Aliss ! Ravie de t'avoir rencontrée !
  • Ravie également !, dis-je avec mon plus aimable sourire en lui tendant la main, qu'elle saisit avec convivialité.

 Le plaid glisse alors de mon épaule, révélant de nouveau ma tenue plus que légère. Oups. Lorena se pince les lèvres :

  • Quand même, p'tit frère, tu m'expliqueras comment c'est possible d'avoir une fille comme ça dans ton salon et de ne pas la toucher !
  • Lorena, CASSE-TOI !
  • Oui ! Oui ! (elle ouvre la porte d'entrée) Bonne journée, tous les deux ! Et je dis rien, je te le PRO-METS !

  Elle mime une fermeture-éclair sur sa bouche pendant qu'Oscar lui claque la porte au nez et la verrouille.

  • Hum... Petit frère ?
  • Oui... (il soupire fort) Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de si amusant ?
  • Ta sœur est... comment dire...
  • Casse-couille ? Sans-gêne ? Envahissante ? Vulgaire ? Exaspérante ?
  • Je suis impressionnée par la richesse de ton vocabulaire quand il s'agit de la décrire, mais non, j'aurais plutôt dis : fascinante.
  • Fascinante...

 Il répond d'un air absent : à son tour, il fixe sur ma tenue – enfin, mon manque de tenue. Au prix d'un gros effort, il remonte son regard vers mes yeux.

  • Tu voudrais... peut-être la salle de bain ? Pour... t'habiller...
  • Ah. J'ai cru un instant que tu eusses envie de me DÉShabiller plutôt.

 Il me dévisage intensément. Je ne sais pas ce qui lui passe par la tête, mais ses pensées semblent tout sauf claires. Bon. Visiblement, je le bouscule bien trop. J'avais presque oublié qu'il pouvait exister des hommes qui ne vous saute pas dessus à la moindre opportunité. Je me sens idiote d'avoir imaginé une généralité aussi grossière.

  • Hum, hum. Bon, euh, effectivement, je vais prendre la salle de bain, oui.
  • Oui. D'accord.

 Je rassemble quelques affaires et passe devant lui. Il détourne le regard et je le vois de nouveau se mordre la joue d'un air embarrassé. Ça me décroche un sourire.

  • Oscar ?
  • Oui ?

 C'est uniquement pour forcer le contact visuel que je l'interpelle. Et ça fonctionne. Il se tourne vers moi et je laisse planer un silence durant lequel il me scrute avec fébrilité.

  • Sois sage en mon absence.
  • Euh, bien évidemment ! Qu'est-ce que...

 Je lui glisse une chaste bise sur la joue, et disparaît vers l'autre côté du petit appartement. Eh bien... ce garçon aura le mérite de me faire réviser toutes mes convictions !

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