Chapitre 3.4
Terminant de me rhabiller, mon regard échoue inévitablement vers l'extérieur. On avait fermé la baie vitrée, cette fois-ci. Sage décision.
Je soupire d'aise. Ce panorama, je ne m'en lasse pas.
- Ce contraste entre la ville et la montagne, c'est fou.
- De là-haut, c'est encore plus dingue. Il y a une vue panoramique sur tout Ovideo, et la nature environnante.
- On peut y aller ?
- Mmm. Si tu as des chaussures fermées et un peu de courage, on y va.
- J'ai des baskets, là.
- C'est très bien.
Il s'active alors à préparer dans un sac deux gourdes d'eau, ce qui semble être un en-cas et une pochette mystérieuse.
- C'est quoi, ça ?
- Une poignée de préservatifs. Faire l'amour de là-haut est proprement spectaculaire.
- Euh...? (quoi ?!) Eh bien, serais-tu devenu inarrêtable ? (il se marre) … Ah d'accord, le sarcasme change de camp ?
- C'est contagieux, il faut croire... (il m'adresse un clin d’œil) C'est une trousse de secours.
- Carrément ? Tu as peur que je me fracture quelque chose ? C'est quel genre de randonnée, ton truc ?
- C'est une balade très cool, ne t'en fais pas. Je ne m'aventurerais pas à te faire cravacher des heures sans savoir avant ce que tu as dans le bide.
- Non mais dis, je ne suis pas ultra sportive mais je peux me défendre, tu sais.
- Oui, oui. On verra aujourd'hui, justement.
Il s'approche, hésite, puis finalement me glisse un baiser sur le front et sourit.
- Je ne pars jamais sans trousse de secours. Déformation professionnelle : c'est littéralement mon travail que d'avoir toujours du matos de soin sur moi.
Le chemin de randonnée vers el Monte Naranco est effectivement facile à pratiquer, mais l’ascension n'en est pas moins sacrément abrupte par moments. Oscar n'affiche bien évidemment aucune difficulté, et calque poliment son rythme sur le mien. Nous cheminons tranquillement pendant un peu plus d'une heure, sous l'ombre agréable des arbres, jusqu'à ce qu'au détour d'un virage, le sommet se fasse voir. Je lève la tête et pousse une acclamation de surprise : la-haut, au loin, je vois le chemin s'achever au pied d'une immense... statue du Christ, les bras ouverts vers le ciel.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? On va se repentir ou un truc du genre ?
- Vu qu'on n'a rien fait le premier soir, nous n'avons rien à confesser, et tu peux me remercier pour ça.
- Oscar, il me semble que c'est bien plus qu'un soir que nous aurions dû rester chastes si l'on voulait lui plaire, à ce gars-là.
- Ah oui ? Oups... Je n'étais pas un élève très attentif...
- Et tu me parlais de faire l'amour là-haut ? Au pied du Christ ? Tu n'as pas honte, Oscar ?
Il rigole, et nous avalons les cinq cent derniers mètres rapidement jusqu'au pied de la statue. Le panorama qui se dévoile au tout dernier moment me laisse sans voix. Je marche vers les rambardes pour profiter de la vue qui s'offre à nous. C'est une vision absolument époustouflante : la ville d'Oviedo et sa périphérie s'étendent devant nous, du nord au sud et d'est en ouest. On voit les immeubles multicolores, les bâtiments historiques, les zones industrielles et les coins pavillonnaires ; tout autour, une nature chatoyante embrasse la métropole et encore plus loin, de majestueuses montagnes dominent la vallée, leurs sommets chatouillant les nuages.
- Oh waouh...
- Pas mal, hein ?
- Oscar, c'est... c'est sublime ! C'est grandiose ! C'est... fascinant.
- C'est un peu notre Rio de Janeiro à nous.
Je rigole. On reste là un long moment, parce que je ne peux pas me détacher de la beauté qui m'est offerte. Mon œil est soudainement attiré vers un objet reluisant accroché à la rambarde : il s'agit d'un cadenas, avec des initiales inscrites. À bien y regarder, il y en a éparpillés partout le long du garde-fou.
- Ça se fait pas mal : les amoureux viennent sceller symboliquement leur amour ici.
- Il y a le même rituel sur un pont, à Paris.
- On voit même de temps en temps des demandes en mariage. Devant une vue pareille, et sous les yeux du Christ : c'est populaire.
- Waouh. C'est charmant. Tu me feras ça, dis ?
Il écarquille les yeux.
- Euh... Quoi ?
J'éclate de rire.
- Détends-toi, allons ! C'est pas trop mon délire, le mariage. Je laisse ça aux autres. Et puis la religion, tout ça... Très peu pour moi.
- Ah.
- Dis... Je commence à avoir faim
- Oui ! Viens par là.
On s'installe sur une table un peu plus loin. On conserve une vue superbe et en plus, nous sommes installés confortablement sous un arbre. Il sort quelques victuailles de son sac.
- Ouah. Tu m'accueilles comme une princesse, Oscar. Je suis gâtée.
- Tu as dormi sur un vieux canapé...
- Aurais-je l'honneur de dormir à tes côtés cette nuit, d'ailleurs ?
- Le mérites-tu ? Tes provocations incessantes me font douter de ce point-ci...
- Je veux bien essayer d'être docile et sage.
- C'est possible, ça ?
- Ce que je ne ferais pas pour finir dans ton lit...
- Hum... (il sourit) Je serai curieux de voir, mais en toute franchise : tu perdrais beaucoup de ton charme si tu arrêtais ça.
Oh ! Je baisse les yeux mais savoure cette jolie boutade. Nous mangeons sans un mot. Je soupire devant ce panorama que je contemple sans lassitude.
- Eh bien ?
- Tu sais, ce week-end est véritablement ressourçant. J'avais peur de laisser tomber mes fiches de révision pour deux jours entiers mais je dois avouer que c'est la meilleure décision que j'ai prise en cette fin d'année.
- Avec celle d'assister à une fête outrageuse sur un yacht de luxe !
- (j'éclate de rire) C'est vrai, contre toute attente, c'était également une bonne décision d'aller à Barcelone.
- Tu passes tes examens dans quinze jours, c'est ça ?
- Oui.
- Et... ensuite ?
Ensuite ? Je suis un peu mal à l'aise. La suite, elle est écrite depuis le début, et j'ai volontairement éludé le sujet jusqu'à présent. Il n'en avait jamais parlé non plus. Mais puisqu'il met les pieds dans le plat, je lui dois un minimum d'honnêteté.
- Je rentre en France fin Juin. Là-bas, j'ai déjà un poste qui m'attend dans un cabinet d'avocats que j'ai connu via un stage l'an dernier.
- Ah. C'est... tant mieux.
- Moui... Mais, ce week-end, c'est déconnexion de tout ça ! Ce sont probablement mes derniers jours de détente avant mes exams, je veux les considérer comme une abstraction sympa. Ensuite je commencerai ma vraie vie de vraie adulte au milieu de plein d'autres vrais adultes... C'est barbant ! Je n'ai pas envie d'y penser maintenant.
Je balaie le sujet d'un revers de main : ces infos seront suffisantes pour ce qu'il y a à en dire. Parfois, je crois qu'il vaut mieux fuir qu'affronter. En l’occurrence, évoquer mon futur est un sujet qui mérite la fuite, là, tout de suite.
Oscar me dévisage en fronçant les sourcils.
- Une abstraction... sympa.
- Oui, tu vois ce que je veux dire ? Une parenthèse agréable... Et j'en suis contente ! C'est chouette.
Il pince les lèvres, et trouve un intérêt soudain pour son bout de pain. C'est de nouveau un long silence qui nous accompagne pour la fin de notre collation.
❝
je suis si sage, sage, d’habitude, mon chéri
comme une image-mage de lassitude dans la vie
mais tu m’as braqué, je crois ce soir-là
et j’ai trouvé la flamme dans tes pas
et j'ai des centaines de flèches dans le cœur
et j'ai des millions d'envie de te plaire
flirt, je m'allume, on devient insouciants
sur le bitume, on sourit un instant
❞
Candide crush - Therapie TAXI, 2019
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