Chapitre 4.1

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 Nous rentrâmes sans nous presser. Oscar se trouvait être plus laconique que jamais, éternellement perdu dans de mystérieuses pensées qui ne laissaient guère de place à la communication avec moi. De fait, cette attitude instaura une distance entre nous qui me dérangeait : alors qu'on avait opéré un rapprochement plus que clair depuis hier, était-ce possible de faire machine arrière ? Nourrissait-il quelques regrets ? Mon cerveau était en ébullition, passant en revue les nombreuses théories à émettre à propos de cette réserve soudaine.

 La ville d'Oviedo conservait une grande émulation en ce samedi soir de fête. Oscar ne me proposa pas de revenir à l'appartement, il semblait même vouloir à tout prix me fondre dans la foule dense et bruyante. Ce n'était pas pour m'arranger : après la journée palpitante d'hier, la soirée arrosée et une ballade escarpée de plus de deux heures, je ne me sentais pas la capacité d'enchaîner une nouvelle nuit de fiesta. Je crois que cette année intense en travail et en stress commence à peser. Pourtant, j'en viendrai presque à ne pas vouloir qu'elle se termine.

 Nous assistons à une représentation de danses folkloriques depuis près d'une demi-heure lorsqu'un énergumène nous interpelle :

  • Hé, là ! Oscar ! Aliss !

 Luigi se hisse jusqu'à nous, et nous enlace chaleureusement.

  • Alors, comment ça va ? Vous avez passé une bonne journée hier ?
  • Passionnante ! répondis-je avec le plus d'enthousiasme possible.
  • Ah ! Super ! Qu'est-ce qu'Oscar avait prévu pour toi ?

Je jette un œil à l'intéressé, qui répond d'un ton indifférent :

  • La foire, la ville, le calle Gascona... tu vois.
  • Très bien, très bien...

 Luigi me lance un regard en oblique, un léger sourire frémissant sur ses lèvres.

  • Et une bonne nuit également ?

 Je ne laisse même pas à Oscar l'occasion d'ouvrir la bouche.

  • Fantastique ! Ce canapé est incroyable, j'y ai formidablement bien dormi !

 Je vois simultanément Oscar se décomposer, et Luigi le regarder avec consternation. Mon hôte espagnol rougit en bafouillant :

  • Euh, non mais c'est pas... c'est...

 Je ne suis pas forcément fière de la vacherie envoyée, mais j'ai besoin de le bousculer : son attitude de glace depuis ce midi me devient pesante. J'aime l'authenticité, je ne peux pas rester sur des œufs comme ça.

 Luigi balaie l'air de la main.

  • Ouai, laisse tomber va ! Bon, j'ai des gens qui m'attendent à la terrasse là-bas, vous venez ?

 J'interroge Oscar du regard, mais celui-ci m'évite ostensiblement. Ah. Puisqu'il ne prend pas de décision, je décide d'accepter : c'est bien beau, toutes ces danses, mais je rêve de me poser !

 Nous suivons Luigi et nous installons à une table déjà servie en verres et en tapas. Autour, les convives nous saluent chaleureusement – certains connaissent Oscar, d'autres se présentent – et cette fois-ci, aucun d'entre eux ne fait de sous-entendu désobligeant. L'ambiance est détendue et, à défaut de maintenir un contact avec l'homme fuyant à ma droite, je m'amuse beaucoup avec mes voisins proches.

 Tout à coup, Luigi s'excite et couvre toutes les conversations :

  • Aaaaah, enfin ! On va s'amuser !
  • Qu'est-ce qui se passe ?
  • Ils installent le karaoké !!

 En effet, un des serveurs allume un grand écran et procède à la mise en route d'un rétro-projecteur.

  • Oh misère..., gémit Oscar, levant les yeux au ciel.
  • Oscarito, mon vieux, c'que t'es pas drôle ! (Luigi se tourne vers moi) Mais qu'est-ce que tu lui trouves ? Un type qui te fait dormir sur le canapé, en plus !

 Oscar lui lance un regard hargneux, auquel il répond par un simple haussement d'épaules. Il en faut sûrement bien plus pour faire taire l'Italien. Je choisis sagement de n'apporter aucune réponse à ses remarques.

  • Toi, Aliss, tu chantes au moins ?
  • Bien sûr !

 Je l'affirme peut-être un peu trop vite... et je le regrette déjà. Tout le monde accueille ma réponse avec joie. Oups... Oscar, lui, me dévisage avec curiosité – au moins, il se permet enfin de recroiser mon regard, mais je n'aurai pas l'honneur d'une parole.

 Nous laissons passer quelques motivés pour assurer la première partie, prenant le temps de finir nos verres et d'en recommander d'autres, tant qu'à faire. Je lève le pied sur l'alcool – je n'ai pas envie de cumuler deux soirs d'excès – et m'octroie une cigarette – c'est mon péché de soirée depuis mes débuts de vie étudiante. Luigi se fait un malin plaisir à chambrer Oscar pour prendre le micro, et Oscar subit ses assauts docilement en refusant ses propositions sans s'énerver. Il semble que ces deux-là fonctionnent comme ces vieux couples de grincheux inséparables. Je reste contrariée que l'Italien réussisse à communiquer avec mon hôte, là où moi je continue d'échouer. Je me demande même comment nous allons passer la nuit ensemble dans une ambiance aussi incongrue ?

 Finalement, nos voisins de table se motivent à aller pousser la chansonnette, nous laissant dans un drôle de tête à tête. Je saute sur l'occasion pour engager une conversation à laquelle il ne pourra pas se substituer :

  • Ton pote est capable d'insister longtemps comme ça ?
  • Éternellement.
  • Et tu pourrais craquer ?
  • Absolument aucune chance.

 Bon, il me répond sans même me regarder... Il est temps de réactiver le mode « provocation ».

  • Et si tu venais chanter avec moi, après ?

 Ah ! Au moins, il se tourne vers moi !

  • Non... Non mais vraiment, ce n'est pas envisageable.
  • Même pas pour moi ?

 Je le vois pâlir.

  • Quoi ?! ... non, vraiment Alix s'il te plaît. Pourquoi tu voudrais faire ça ?
  • Oscar, je suis prête à tenter n'importe quoi pour que tu me ré-adresses la parole !
  • Mais... je t'adresse la parole, qu'est-ce que tu racontes ?
  • Tu m'ignores depuis cet après-midi !
  • Mais... non !

 Quoi ? Il nie ? Quel abus !

  • Non ? Vraiment ? Tu m'assures que tu es pleinement avec moi, que tu n'as pas un comportement d'esquive ? De quoi avons-nous parlé, alors ? Quels étaient nos sujets de conversation ?
  • ... Je suis peut-être un peu dans mes pensées...
  • « Peut-être un peu ».
  • J'avais besoin de réfléchir !, me répond-il, une louchette de panique dans la voix.
  • Mais réfléchir à quoi, au juste, qui doive durer tout un après-midi ? Devrais-je rentrer et te laisser à tes profondes réflexions si envahissantes ?
  • Non ! Non, non, non. Enfin... tu le souhaites vraiment ?
  • Mais, non ! Je n'ai jamais voulu partir ! Pourquoi je souhaiterai un truc pareil ? Je passe un bon week-end, je te l'ai déjà dit !
  • Ouai, ouai. Un week-end d'abstraction sympa avant d'aller vivre ta vraie vie.

 Son ton est sec, et son expression sévère. Je réalise mes deux énormes erreurs : la première, de lui avoir caché que mon temps en terres espagnoles était compté ; la deuxième, d'avoir utilisé des mots irréfléchis qui m'apparaissent désormais bien âpres dans sa bouche.

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