Chapitre 5.2

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 Le sommeil s'éloigne lentement, on dirait qu'il a fini son travail pour cette nuit. D'ailleurs, il me semble que le silence nocturne se rompt en ce moment. Je sens la chaleur d'un corps contre moi. J'ouvre péniblement un œil : cette chaleur, elle vient d'Oscar. Nous sommes nus, ma joue repose contre son torse, et ma tête monte et redescend au rythme de sa respiration. Je sens ses doigts dans mes cheveux. Je savoure : ai-je déjà connu réveil aussi agréable ?

 Mon esprit retrace ces dernières heures : après avoir déposé son sac, Oscar et moi sommes repartis à l'assaut de la capitale espagnole pour une soirée en tête-à-tête légère et détendue. Jusqu'au mois dernier, ce genre de plan était en dernière position sur ma liste d'intérêts, mais il faut se rendre à l'évidence : tout comme à Barcelone, tout comme à Oviedo, lorsque l'on ne s'encombre pas de questions, les choses sont simples et naturelles entre nous. La nuit fut à la même image : dans l'intimité, il y a aussi un lien qui se tisse bien malgré nous. Oscar n'est pas de ces garçons qui font semblant de maîtriser la situation pour se donner une consistance, oubliant au passage qu'ils ont une partenaire. Ensemble, nous sommes un peu maladroits, un peu hésitants, mais toujours connectés, et cela donne aux relations une authenticité et une émotion qui me font chavirer. J'ai l'impression d'être une chose éminemment précieuse entre les mains d'Oscar, tellement il se comporte avec délicatesse et attention. Notre aventure aura au moins le mérite de me faire considérer la sexualité autrement que cette activité récréative surcotée qui ne m'avait jamais transportée jusqu'à présent. Peut-être m'avait-il manqué l'élément essentiel : un partenaire prévenant et efficace ? Celui qui me donne systématiquement l'envie de recommencer ?

 La lumière filtre à travers les volets de mauvaise qualité. Je lève le menton et mon regard tombe dans celui de l'homme : il me sourit tendrement. Un bonjour sans un mot, à son image. Je gémis en mobilisant le haut de mon corps : pouah, je crois que j'aimerais ne pas avoir à bouger. Je suis trop bien ici, tout contre lui.

  • On est obligé de se réveiller ?, je demande avec une toute petite voix.
  • Eh bien, comme tu veux, mais tes collocs sont à la porte.
  • Qu'elles aillent au diable, on ne leur répond pas.
  • Euh... non mais elles ont ouvert la porte et sont dans la pièce, Alix.
  • Quoi ?!

 Je me retourne et constate qu'effectivement, María, Béatriz et Julia sont sur le pas de la porte et nous matent sans aucune pudeur. Mais ?!

  • Qu'est-ce que vous foutez là ?
  • On voulait vérifier les dires de María : en effet, il y a un homme dans ton lit.
  • Ça ne pouvait pas attendre le petit dej ?, répondis-je, furieuse.
  • Non, il fallait qu'on constate qu'il n'était pas là pour la déco. Vu votre position, je crois qu'effectivement il y a eu consommation cette nuit.

 Béa semble on ne peut plus sérieuse dans son analyse de la situation.

  • Non mais vraiment ? Dégagez ! Et tendez l'oreille, parce qu'on va re-consommer là, vous aurez le son en indice supplémentaire.
  • Vous n'allez pas faire ça alors qu'on sera à côté à prendre notre café ?
  • On va s'gêner !

 Je choppe un coussin et l'envoie dans l'encadrement de la porte.

  • Barrez-vous, je vous dis ! Ça commence maintenant !

 Je me tourne vers Oscar et l'embrasse langoureusement, ne prêtant même pas attention à sa réaction.

  • Les filles, je crois qu'elle en est capable.
  • Non.
  • Si.
  • Mais non. Elle bluffe.
  • Euh, là quand même...
  • Allez, allez, on se tire, moi je ne veux pas voir ça !

 Les filles ferment la porte dans les protestations. Je termine mon baiser et prends enfin le temps d'évaluer l'homme. Il me regarde, perplexe, puis rigole :

  • C'est palpitant, la vie en collocation, dis-moi.
  • Je suis ravie d'avoir été célibataire tout au long de cette année, le contraire aurait été invivable !

 Je soupire et me réinstalle sur son torse. Je m'enivre de son odeur délicate en laissant courir mon index le long de son sternum. Il se laisse faire. Mieux, ses doigts m'accompagnent en effleurant mon dos ; il calque sa cadence sur la mienne. Ma main change de direction et se dirige vers sa poitrine. Je sens ses muscles se contracter sous mon passage. J'arrive sur son mamelon : c'est marrant, ce petit bout de chair que l'on se plaît à considérer inutile chez les hommes. Là, tout de suite, sous mon index taquin, il me semble au contraire posséder un rôle assez clair et bientôt, c'est tout son corps qui réagit. Sa main descend le long de ma colonne et s'arrête à l'orée de mes fesses. Il me dépose un baiser sur le front, garde sa bouche sur ma peau alors qu'un gémissement sourd s'échappe de sa gorge. Je me décide à relever la tête vers lui : son regard m'achève.

 Je ferme les yeux d'exaspération en constatant les trois commères assises sur les chaises dépareillées de la cuisine, devant les vestiges de leur petit-dej dominical.

  • On vous a entendu.
  • Tant mieux.

 Je m'affale sur l'une des assises branlantes et prends un café.

  • Alors ? C'est officiel, vous êtes en couple ?
  • Je ne sais pas.
  • Comment ça, tu ne sais pas ?
  • On s'en fout, non ? On vit ce qu'on a à vivre, on ne cherche pas beaucoup plus loin.
  • Faudrait p'tet mettre les choses au clair à un moment donné, non ?
  • De quoi je me mêle, María ?
  • Fait ce que tu veux, Cariño, mais tu rentres en France dans quinze jours j'te rappelle.
  • Je sais.
  • Il est au courant ?
  • Oui.
  • Et il en dit quoi ?
  • Pas grand chose.
  • Waouh. Passionnant. Vous êtes trop occupés à baiser pour vous parlez ?
  • Ne sois pas jalouse comme ça, María.
  • Absolument pas ! Alors là... Absolument pas...

 Le regard sarcastique que je lui lance ne semble pas lui plaire : j'esquive de justesse une biscotte qui traverse la pièce.

 Oscar apparaît dans l'entrée de la cuisine et, considérant les paires d'yeux braqués sur lui, je lis sur son visage son envie de rebrousser chemin immédiatement. Cependant, il prend son courage à deux mains et s'assoit à ma droite. Je lui sers une tasse à son tour. Il hoche la tête en guise de remerciement. Je vois Béa fermer la main sur... Mais ?!

  • Hey ! C'est quoi, ça ?!
  • Mon argent de poche.
  • Non mais je rêve ? Vous n'avez pas... ?

 Elle me toise avec satisfaction. Putain, les garces. Pourquoi n'y ai-je même pas songé ?

  • Vous avez parié sur ma gueule ?
  • Sur ton cul, plus exactement. Et j'ai gagnééééé !
  • Vraiment... C'est minable !
  • Hé, ma vieille, c'est TOI qui as lancé l'idée des paris sur ce qui se passe dans les chambres des autres ! Tu t'es faite de la thune toute l'année sur mon dos, y'a pas de raison que je n'ai pas retour sur investissement.

 Vrai. Je pense avoir accumulé plus de deux cents euros ces derniers mois, étant particulièrement douée pour estimer le physique des apollons de Béa ou la durée de leurs ébats. Je n'avais absolument pas envisagé d'en être la cible un jour. María approuve en ricanant.

  • Tu ne lui demandes pas le contenu du pari ?
  • Je ne veux absolument pas le savoir !
  • Et toi, Oscar, ça t'intéresse ?

 Il reste un instant figé dans une espèce de consternation, puis tourne lentement la tête de droite à gauche. María tend le bras et fait semblant de consulter une montre imaginaire.

  • En tout cas, Oscar mon bonhomme, honorable perf'. Ç’aurait pu durer un poil plus longtemps, y'a une marge de progression, m'enfin, c'est prometteur.

 Je lance un regard assassin à la grande espagnole, laquelle se ravit des réactions hilares de ses voisines. Oscar rougit, et je parierait mon jackpot personnel qu'il regrette amèrement de ne pas avoir décidé de sauter le petit-déjeuner, finalement.

  • Eh bien, euh... merci, balbutie-t-il finalement.

 Elle ne devait pas s'attendre à une réponse aussi aimable, parce qu'elle ne sait pas comment enchaîner. Moi en revanche, je commence à éprouver mon amabilité :

  • Épargne-nous ce genre de commentaires, María : qu'est-ce que t'y connais, en performances masculines, toi, hein ?
  • Bah, quand on a vécu cinq ans aux côtés de Béatriz, on devient sans le vouloir une encyclopédie de la baise hétéro.

 Béa affiche un sourire satisfait totalement indécent. Je lève les yeux au ciel : ce petit-déjeuner est une purge. Elle se penche alors sur la table et reluque sans vergogne mon voisin d'infortune, qui a le réflexe de se reculer au fond de sa chaise.

  • Dis, quand tu seras rentrée en France, tu ne m'en voudras pas d'essayer de lui mettre le grappin dessus ?

 Non mais la blague, elle est sérieuse ?

  • Quoi ?! Non !
  • Hé ! Pourquoi pas ! Tu t'en fous, non ? Tu ne seras plus là. J'ai jamais fait, avec un asturien !

 Elle adresse un sourire aguicheur à Oscar, qui la fixe, médusé.

  • Je croyais qu'ils étaient rustres, les asturiens ?!
  • Oh, j'ai dit ça moi ? Disons que je regrette. Regarde-le, il est choupi-mimi, ça serait du gâchis de le laisser s'échapper dans la nature !

 J'ai envie de violence, là.

  • C'est une de vos règles de collocation : on ne touche pas aux mecs, on ne touche pas aux ex !
  • C'est vrai !, approuve Julia avec toute sa sagesse.

 María ricane en réponse.

  • Mais il n'est rien de tout ça ! T'es même pas capable de dire si vous êtes en couple !

 Pétasse. Je pose mon couteau avec bien plus d'agacement que prévu, vu le tintement qui résonne lorsqu'il rencontre la table en formica.

  • Vous êtes chiantes, putain. Depuis hier, vous n'avez pas manqué une occasion d'être chiantes. Vous n'avez pas envie de prendre une pause ?
  • Plus que quinze jours et la pause sera éternelle.

 María me gratifie de grands gestes théâtraux. Je lâche avec hargne :

  • Éternelle ? Tu penses qu'on n'essaierait même pas de se revoir ?
  • Tu me dis devant lui que tu envisages de me revoir moi ? Et il en pense quoi, l'asturien ? T'as envisagé de le revoir aussi ?

 Pétasse, pétasse, pétasse. Je reste sans voix là-dessus. Le silence règne autour de la table, un silence que María n'avait pas vraiment calculé elle-même, à en juger par sa soudaine gêne. Je continue de la fusiller du regard – je ne fais que ça depuis ce matin. Je la vois regarder Oscar, qui soutient, puis finalement se racler la gorge :

  • Bon, euh, j'ai des exams à réviser moi. J'vous laisse.

 Je la regarde quitter la pièce. Les filles se lèvent à sa suite :

  • Exams aussi !
  • Ouai, pareil. Bon app' !

 En moins d'une minute, on se retrouve seulement tous les deux. Sans un mot, Oscar prend un bout de pain et l'agrémente. Je ne sais pas bien comment enchaîner, puis je me souviens que c'est Oscar, et qu'enchaîner sur un silence n'est pas un problème pour lui.

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