Chapitre 5.3

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 L'après-midi, nous rejoignîmes l'iconique Luigi et des amis à lui – de drôles d'énergumènes à son image – dans un bar à tapas qui retransmettait la finale masculine du tournoi de Roland-Garros. Le match fut interminable, mais me permit de comprendre les subtilités de ce sport aux règles étranges, les cinq sets me laissant le temps de poser un nombre incalculable de questions auxquelles Oscar répondit avec une patience d'ange. Parler de tennis l'anime d'une passion que je ne lui connais pas, mais que je me délecte à observer. Les autres semblaient plus intéressés par leurs bières que le match, bien que quelques jolies balles les firent réagir bruyamment. Je passais un si bon moment, j'en suis arrivée à oublier la suite.

 Hélas, la suite, elle arrive quoiqu'on veuille. Nous regagnâmes l'appartement pour permettre à Oscar de reprendre ses affaires avant son départ. Sur le chemin, il ne dit pas grand chose et semble totalement ailleurs. Je commence à m'y faire, mais cela ne m'empêche pas de gamberger. Est-ce qu'il est perdu dans le même trouble que moi ? Est-ce qu'il partage mes doutes ? À aucun moment, il ne m'a laissé d'indice sur ce qu'il pense de notre séparation. Il a scrupuleusement évité de l'évoquer, tout comme moi. C'est presque étrange de parler de séparation alors même que je n'ose pas parler de couple. On se sépare avant d'être ensemble. Cette relation atypique aura donné de belles couleurs à la fin de mon séjour espagnol. Connaître la date de fin enlève-t-il un poids des épaules de celles et ceux qui angoissent à l'idée de construire une relation ? Nous, on n'avait rien à construire, juste à nous laisser vivre. Mais là, à l'instant, étant sur le point de le voir s'échapper, ce n'est plus tellement la légèreté du laisser-vivre que je ressens. Je ravale la peine qui commence à poindre. L'appartement est silencieux lui aussi, comme un symbole, ce qui n'arrive quasiment jamais. L'effet révision de fin d'année, je suppose.

  • Voilà, je crois que c'est tout. (Oscar balaye la pièce des yeux) Je vais filer, moi.
  • Je t'accompagne à la gare.
  • Non ! Non, ce n'est pas la peine.
  • Ah bon ?
  • Je préfère te dire au revoir ici que sur le quai, ça ferait trop cliché, non ?
  • Ah, oui, vu comme ça... Bon euh, je t'accompagne quand même en bas ?
  • Si tu y tiens.

 Bien sûr que j'y tiens ! Il est détaché à ce point ? J'en suis presque vexée. Moi je meurs d'envie de l'embrasser, une dernière fois, d'imprimer le goût de ses lèvres sur les miennes, une dernière fois, de graver la sensation de sa peau sous mes doigts, une dernière fois, de sentir son souffle sur moi, une dernière fois, et lui ne se pose même pas la question de partir sans se retourner ? À ce niveau, je me demande même si j'aurai droit à un « au revoir ».

 On descend dans la rue. Je suis contrariée de passer ce moment avec cette frustration à l'intérieur de moi : j'aurais peut-être préféré être triste, finalement. Il me regarde, pour une fois : attendrait-il quelque chose ? De toute manière, que souhaite-t-il de moi si déjà c'était superflu à ses yeux de lui tenir compagnie jusqu'au trottoir ?

  • Bon eh bien, merci pour la leçon de tennis... dis-je, un peu amère.
  • (il semble décontenancé) Euuuh... je t'en prie.
  • Et rentre bien.
  • … D'accord.
  • Au revoir.

 Je lui fais un vague signe de la main. Je ne sais même pas si ça vaut la peine de s'embrasser, finalement ? Il reste interdit, comme si je lui parlais une autre langue. Finalement, il inspire :

  • Ok, bon. Eh bien, bons exams demain, et... au revoir, Alix.
  • Vous êtes sérieux, vous allez vous quitter comme ça ?

 La voix sort de nulle part. Je sursaute tellement que je bondis sur place. María grille une clope entre deux buissons, devant l'immeuble. L'odeur ne m'avait pas vraiment alertée – il y a des fumeurs partout, ici – et elle était bien planquée. Je me sens sur la défensive.

  • C'est pas vrai, mais t'es comme la peste, t'es partout !
  • Quoi, quoi, quoi ! Tu veux que je fume dans l'appart ? Pas de ma faute si vous m'offrez un spectacle de rue pendant que je consume mon stress.

 Oscar fixe l'asphalte en se mordant la joue.

  • Bon, euh... Je vais y aller. Au revoir, Alix.
  • Attends, tu ne lui dis même pas que tu l'aimes ?
  • MARIA ! Mais je rêve ou quoi ?

 Je suis furieuse : qu'est-ce qu'elle raconte ? De quoi elle se mêle ? À quoi ça rime ? Elle est complètement à côté de la plaque !

  • Ça changerait quelque chose ?

 Je me fige : la réponse inattendue d'Oscar me provoque une vague de panique. Que suis-je censée répondre ? J'ai deux paires d'yeux qui me fixent et deux paires d'oreilles qui attendent ma réponse. En guise de défense, mon cerveau mobilise les dernières compétences qu'il a travaillé : celles de mon futur métier. Une main de fer dans un gant de velours, le credo que me répétait mon maître de stage. Avec mon plus grand professionnalisme, je réponds :

  • Non.

 Waouh. Du grand art, Alix. Pour l'argumentaire, on repassera. Je sais au moins que je n'ai pas raté une grande carrière d'avocate. Pour une fois, je vois María scotchée : elle me regarde un instant avec de grands yeux, puis tourne furtivement la tête vers Oscar avant d'afficher une mine autant gênée que déconfite.

 J'ose à mon tour un regard vers ma gauche. Oscar semble encaisser l'unique mot que je lui offrirai à ce propos. Il inspire :

  • Bien. Dans ce cas... on peut se dire au revoir, cette fois, je crois. (il louche de nouveau sur le sol) Euhm, rentre bien, et, bon... bonne continuation par chez toi.

 Il tourne les talons. Il semble pressé de partir.

 Je regarde sa silhouette remonter la rue. María écarquille les yeux avec un air si consterné qu'elle n'aurait pas été plus choquée si je lui avais assuré que la Terre était triangulaire. Merde. Elle a raison, on ne va pas se quitter comme ça ! Même si la fin est devant nous, juste là, on peut l'écrire un peu plus jolie qu'un « bonne continuation », non ?

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