Chapitre 7.4

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Barcelona, Septembre 2004.

 J'entre dans l'immense bâtiment. Je lève le nez et admire la hauteur sous plafond : tout est grandeur, ici. C'est un peu intimidant. Je me suis ridicule, debout dans ce hall vitré démesuré.

 Une hôtesse m'accueille poliment.

  • Bonjour. Que puis-je pour vous ?
  • Je viens voir quelqu'un...
  • Vous avez rendez-vous ?
  • Non, ce n'est pas vraiment formel...

 Elle fronce légèrement les sourcils.

  • Tous les ans pareil..., marmonne-t-elle avant de reprendre, sur un ton poli mais ferme : Je suis navrée, Mademoiselle, je ne sais pas ce qu'on a pu vous baratiner encore, mais les élèves n'ont pas le droit de sortir, ni d'avoir de contact avec l'extérieur durant le temps de l'internat. Revenez demain soir, à la sortie de la semaine de cours.
  • Ah, euh, non, ce n'est pas...
  • Écoutez, vous êtes loin d'être la seule. Des filles qui courent après les élèves, j'en vois presque toutes les semaines. Je suis désolée si l'un d'entre eux vous a fait croire que...
  • Non non non, je ne viens pas voir un élève !
  • Ah ! D'accord... Mais vous cherchez qui, sans rendez-vous ?
  • Euh, Oscar.
  • Oscar ? Lequel ?
  • Euh... (merde) … le kiné ?
  • Le kiné ?

 Elle semble décontenancée.

  • Il n'y a pas d'Oscar kiné ?
  • Si, si... Il n'a pas terminé encore (elle me dévisage en silence). Euh, tenez, asseyez-vous sur les fauteuils là-bas, il sortira par le couloir du fond tout à l'heure.
  • Merci beaucoup.
  • Je vous en prie.

 Elle me suit des yeux pendant que je m'installe, avec ma valise, sur l'un des fauteuils, en face d'un écran géant retransmettant des matches de... tennis. Au bout de quinze bonnes minutes, un homme, grand et athlétique, apparaît du fameux couloir du fond. Il traverse en grandes enjambées le hall, ne me remarquant pas.

  • Au revoir, Marta. À demain !
  • Ah Jorge, attends !
  • Oui ?
  • Tu pourras peut-être renseigner la demoiselle, là-bas.

 Il se retourne vers moi.

  • Oui ? C'est pour quoi ?
  • Elle cherche Oscar, explique la fameuse Marta d'un air peu convaincu.
  • Oscar... Vázquez ?

 Ah ! Papa, Maman, ça y est, j'ai un nom ! Je me lève alors que Jorge s'est approché.

  • Euh... oui !
  • C'est pour un stage, c'est ça ? Il faut passer par le service administratif de votre école pour faire la demande, on ne peut pas accorder...
  • Non, non. Je veux juste le voir... dans le cadre privé.

 Il cligne des yeux, étonné, puis un grand sourire barre son visage.

  • Dans le cadre privé ? Intéressant... Eh bien... (il regarde sa montre) Oscar terminera d'ici une belle demi-heure encore. Vous voulez que j'aille le prévenir de ne pas trop traîner ?
  • Il traîne souvent ?
  • Il a tendance à ne pas compter ses heures, oui. Mais je suis certain qu'avec des arguments tels que... vous, il ne fera pas de rab' aujourd'hui.

 Je me sens rougir.

  • Eh ! Et si je vous faisais visiter, pour vous passer le temps ? Vous connaissez le centre ?
  • Pas du tout, c'est la première fois que je viens.
  • Parfait ! Je ne suis pas pressé. On va aller à sa rencontre, et je vais vous montrer le site, si ça vous dis ?
  • Avec plaisir !
  • On se tutoie ?
  • Oui, d'accord !
  • Tiens, Marta va garder ta valise. (il la transporte jusque derrière le bureau d'accueil) Dis donc, tu viens d'où avec tous ces bagages ?
  • France.
  • AH ! Joli pays, me dit-il dans un français maîtrisé. J'y vais souvent en vacances dans lé sud.
  • Ah. Eh bien, pas de chance : je viens de bien plus haut. Nord Ouest. Plutôt Océan Atlantique que Méditerranée.
  • Ah ah ! On croirait entendre Oscar... Nord Atlantique, hein ? Il y a deux ans, on avait fait la Coupe Davis Junior dans une station balnéaire de l'Atlantique. On avait gagné, d'ailleurs. Y'avait le p'tit Nadal dans l'équipe !
  • Qui ça ?
  • Rafael Nadal ! Non ? Oh, tant pis. Tu entendras sûrement parler de lui un jour, crois-moi.
  • Je ne suis pas très calée en tennis.
  • (il sourit) La balle ?
  • La balle ? Pardon ?
  • Le nom de la ville... La bôle ?
  • La Baule ? La Baule-Escoublac ?
  • Oui, ça me parle ça ! Il y avait des immeubles immenses le long d'un remblai et des casinos partout, c'était très bling-bling.
  • Oui, c'est ça ! Ah bah voilà ! C'est quasiment chez moi, ça !
  • Ah, eh bien voilà : j'ai déjà vu ton pays, moi aussi !
  • J'y crois pas, vous êtes allés faire un tournoi à La Baule !
  • Un « tournoi » ? Ah ah ah ! La Coupe Davis, enfin !
  • Euh... C'est un truc important ?
  • Ah oui, tu ne connais vraiment rien au tennis !

 Il rigole alors que je le regarde d'un air coupable. Il est sympa, ce Jorge. Je l'aime bien.

  • Tu travailles avec Oscar ?, lui demandè-je alors que l'on avance dans les couloirs de l'Académie.

 Il me gratifie d'un mystérieux sourire.

  • Oui.
  • Tu es kiné aussi ?
  • Non. Je suis physiothérapeute. Je gère les préparations physiques des joueurs, et Oscar m'assiste dans tout ce qui va être échauffements, douleurs, et gestion des blessures.
  • Il t'assiste ?
  • Oui. Parce que je suis son chef.
  • Ah ! Euh... d'accord.

 Tout à coup, je me sens mal à l'aise à me balader dans le lieu de travail d'Oscar, en compagnie de son supérieur, que je tutoie nonchalamment. Oups. Je me demande comment il va le prendre ?

 Jorge me fait déambuler sur le site, pas avare d'anecdotes sur ses quatre années au service de la fédération espagnole de tennis. Un vrai passionné ! Je n'y connais véritablement rien, je ne suis capable que de citer Roger Federer et Venus Williams si on me demande quelque chose à propos de raquette, mais j'écoute avec intérêt. J'apprends au passage que la Coupe Davis n'est pas moins que la compétition la plus importante de l'année, voyant les équipes nationales s'affronter en simple et en double durant quinze jours. Et qu'un certain Nadal a l'air d'être la future révolution du sport.

 Enfin, il s'arrête devant une double porte entrouverte, se tait, et la pousse délicatement. La pièce est vaste, les murs d'un blanc immaculé et le sol en parquet clair. Elle est un peu sombre, les stores étant semi-baissés sur d'immenses baies vitrées : on devine la potentielle luminosité en journée. Il y a quelques tables alignées dans un coin, en y regardant bien je remarque que ce sont des tables de massages ; au sol, des tapis mousse, des ballons, des poids ; et çà et là dans la pièce, des engins de torture que je ne saurai absolument pas utiliser. Une odeur douce d'antiseptique émane, et les conversations se font en murmure. Une femme en jogging et veste blanche – une kiné, je suppose – est en train d'accompagner un ado sur une des tables, alors que trois gamins sont allongés sur des tapis à terre, à faire des étirements. À leur côté, Oscar est à genou, maintient la jambe de l'un d'eux en discutant – en plaisantant, manifestement – avec les jeunes joueurs. L'ambiance est détendue et feutrée, c'est surprenant. Bien que totalement étrangère à ce milieu, je me sens immédiatement bien ici.

 Je me tourne vers Jorge qui me dévisage en souriant. Il m'adresse un clin d’œil lorsque mon regard croise le sien, et me chuchote :

  • Voilà donc la salle de kiné, ou de rééducation, comme tu veux. Les gamins n'aiment pas parler de rééducation car ça sonne « vieux qui s'est cassé le col du fémur », il paraît.

 J'étouffe un rire.

  • Et voilà notre homme, dit-il en désignant mon asturien d'un coup de tête.
  • Il y a plusieurs kinés ?
  • Oui, bien sûr. (Jorge hausse les sourcils) Oscar ne t'a pas parlé de sa collègue Magda ?

 Il a beau chuchoter, je sens le ton sarcastique de sa voix. Je lui souris.

  • Non. Oscar est du genre... discret.
  • Ah, ça. C'est pas un bavard. Pour preuve, ça va faire trente minutes que j'accompagne une mystérieuse jeune femme qui réclame à le voir dans le cadre d'une entrevue privée, et je n'ai absolument aucune idée de qui elle peut bien être.
  • (j'hausse les épaules) Je laisse planer le mystère.

 Il rit. Nul doute qu'avec un supérieur pareil, Oscar doit être dans un environnement agréable et détendu.

  • EH ! M'sieur Jorge, c'est votre femme ?

 Une phrase à peine criée, qui déchire le calme ambiant, et toutes les têtes se tournent vers nous. Alors que les gamins me dévisagent avec une curiosité enthousiaste, je vois Oscar se figer sur place et écarquiller les yeux de stupeur.



keep waking up
without you here
another day
another year
i seek the truth
we set apart
a second dance
a second chance

and when i see you then i know it will be next to me
and when i need you i know you will be there with me
i’ll never leave you

just need to get closer, closer
lean on me now
lean on me now


Closer - Travis, 2007

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