Chapitre 8.1

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 Je retiens mon souffle. Alors que je touche enfin au but, j'ai pour la première fois un doute sur ce que je suis en train de faire. Était-ce une si bonne idée ? Oscar ne semble pas débordant d'enthousiasme...

 Son regard passe de Jorge à moi plusieurs fois. Ce dernier lui adresse un clin d’œil éloquent. Une coloration rosée commence à s'emparer de son visage, et je retrouve avec ravissement cette pudeur joliette qui me chavire comme au printemps dernier. Mon cœur s'emballe.

  • Euh, Oscar, tu tires fort là..., gémit l'adolescent au sol.
  • Hein ? Oh, oui, pardon.

 Oscar lâche sa prise et repose délicatement la jambe de son patient qui grimace.

  • Excuse-moi, marmonne-t-il à son adresse.

 Les autres gamins se sont rapprochés de nous.

  • Alors, M'sieur Jorge ?
  • Ah ah, non ! Bien que je reconnaisse que cette jeune femme est tout à fait charmante, elle n'est pas mon épouse, non.
  • Alors, t'es qui ? T'es qui ?
  • Eh dites donc, vous êtes bien curieux !

 Je leur souris. C'est assez amusant d'être la source d'intérêt d'un groupe d'adolescents avenants, même si je ne sais pas vraiment ce que je vais pouvoir leur répondre.

  • Tu viens pour un stage ?
  • Euh, en fait...
  • On te fait visiter le campus si tu veux !
  • On te fait visiter le dortoir !

 Eh bien, ma foi, ils ne manquent pas d'audace !

  • Dites donc, les garçons ? Vous êtes bien à l'aise, là !

 La collègue Magda s'est approchée à son tour.

  • Quoi ? C'est pour être gentils !
  • Mais bien sûr ! Et nous, on n'a jamais eu à faire à des ados de seize ans avant vous !
  • Rhooo !

 Les gamins râlent en cœur. Magda pose ses mains sur ses hanches et fronce les sourcils.

  • Et vous osez proposer ça devant Chef Jorge ?
  • Oh, moi, je devrais être rentré à cette heure, alors disons que je n'entends rien et ne vois rien...

 Les gamins jubilent pendant que Magda lève les yeux au ciel.

  • Non mais, vraiment...
  • Alors, tu viens voir not' dortoir ?
  • Les garçons ! Ca suffit !
  • Rhoooo Magda, alleeeez ! Eh, Oscar !

 Mon asturien finit de fermer un énorme sac rempli de matériel de soin. Il se lève, et les regarde avec sympathie.

  • Oui ?
  • Défends-nous ! Solidarité masculine !

 Il se marre, me jette un coup d’œil, et vient à notre hauteur.

  • Admettons que je pense votre intention louable...
  • (les gamins jubilent) Ouaiii !!!
  • ... sans vouloir être rabat-joie : il ne vous reste que vingt minutes pour vous doucher avant de pointer en perm'. Et, à votre place, j'éviterai d'arriver en retard en perm' dès la deuxième semaine de cours.

 Le groupe râle, et ils prennent le couloir en traînant des pieds. L'un d'eux se retourne :

  • Eh, Madame, tu r'viens demain, on a une pause à quinze heures, on t'fera visiter !
  • Les garçons, ça suffit !
  • Tu viendras demain ?
  • FILEZ ! Oust !

 Ils prennent définitivement congé de nous, sous nos regards amusés. À la suite des élèves, les deux kinés sortent de la salle et s'arrêtent à nos côtés.

  • Eh bien ! Désolé de cet accueil... Bonjour ! Je suis Magda !, me dit-elle en me tendant la main avec un sympathique sourire.
  • Bonjour !
  • Tu es la nouvelle stagiaire ? C'est étonnant, on ne les accueille pas avant Octobre d'habitude..., demande-t-elle en se tournant vers Oscar.

 Celui-ci hausse vaguement les épaules sans répondre. Il ne me quitte pas des yeux, et j'ai bien du mal à décrocher de son regard aux reflets dorés.

  • Oscar ? Tu étais au courant de quelque chose ?
  • Euh, je... non. Pas au courant du tout.
  • Ah (je me pince les lèvres pour ne pas sourire) Zut, j'ai peut-être oublié de vous prévenir de ma venue, en effet, Monsieur Vázquez.

 À son tour, il réprime un sourire. Magda semble surprise de me voir m'adresser à son collègue de la sorte.

  • Euh... Et tu es de quelle école de kiné ?
  • Je ne suis pas kiné, en fait.
  • Ah bon ? Mais tu es là pour quoi, alors ?
  • (je me penche légèrement vers l'homme qui ne me lâche toujours pas du regard) Un stage de langue.

 Oscar hausse les sourcils en rosissant. Je sens Jorge rire à mes côtés. Visiblement, la situation est une récréation pour lui. Ce n'est pas le cas de Magda qui semble complètement dépassée.

  • Euh... J'ai l'impression que quelque chose m'échappe... Jorge ?
  • Oui ?
  • Est-ce que tu... peux m'expliquer ?
  • Ah mais moi, je ne sais pas grand chose. J'ai croisé dans le hall une charmante une jeune femme qui souhaitait voir Oscar pour raisons personnelles, et, dans ma grande bonté, je me suis contenté de la mener jusqu'ici. Pour le reste... Je suis curieux moi aussi d'en savoir plus !

 Les yeux se braquent sur un Oscar soudainement bien mal à l'aise de se retrouver sous les feux des projecteurs.

  • Euh... Hum. Je vous présente Alix.
  • Ah ! Enfin, un prénom !, s'exclame Jorge. Eh bien, jé suis enchanté, Mademoisselle Alix.
  • Moi de même, je réponds en français.
  • Oh, tu es française ?, s'exclame Magda.
  • Oui.
  • Bien sûr, tu as un petit accent.
  • Ah oui, une prononciation plate et insipide, paraîtrait-il.
  • (Magda fait la moue) Non, quand même, je ne dirais pas ça, tu parles parfaitement bien le castillan !
  • Ah tiens ?, dis-je innocemment en toisant Oscar qui détourne le regard en souriant, le souvenir de notre rencontre certainement tout aussi clair dans sa tête que dans la mienne.
  • Eh bien, Alix ! Oscar a visiblement oublié de nous parler de toi...
  • Je ne suis pas tenu de te raconter ma vie, Magda..., fait remarquer l'intéressé.
  • C'est sûr, m'enfin quand même, c'est un peu vexant de passer mes journées entières avec toi et constater que tu nous a passé sous silence ta copine.

 Il regarde sa collègue et Jorge avec embarras, puis ses yeux choient une fois de plus sur moi. Il se mord la joue d'un air coupable, et semble chercher désespérément une réponse à cette accusation. La situation inspire mon côté taquin.

  • Ah bon ?, dis-je. Tu as une copine, Oscar ? Je n'étais pas au courant.

 Il écarquille les yeux sur mon sourire satisfait, pendant que Magda se décompose.

  • Oh, euh, mince... J'ai cru que tu... Enfin, que vous...
  • Quoi, MOI ? Suis-je ta copine, moi, Oscar ?
  • Euh... Eh bien...

 Magda fronce les sourcils, alors que moi et Jorge rions de voir Oscar patauger. Je ne vais cependant pas le laisser en galère trop longtemps : avant qu'il ne trouve quoi dire, j'enchaîne vers Magda :

  • Non, non. Il ne t'a rien caché du tout. Je ne suis pas sa copine. Je suis juste... une fille de passage. Et je viens quémander l'hospitalité de son canapé.

 Voilà qui me semble suffisant sans trop en dire. Oscar plisse les yeux. Il ne semble pas transporté par la manière dont j'essaie d'abréger la conversation.

  • Oh, waw ! Tu accueilles souvent des filles de passage sur ton « canapé », Oscar ?, raille sa collègue.

 Il vire au coquelicot sous les rires de Jorge qui n'en finit pas de s'amuser.

  • Mouai, ne répond même pas !, dit Magda en lui assénant une tape amicale sur l'épaule. Eh bien, tu nous caches une vie trépidante sous tes airs de garçon sage, dis donc !
  • Ouai, ouai...

  Oscar fronce les sourcils d'un air fortement contrarié, tout à coup. Il semble qu'il en ait soupé de cette conversation qu'il ne maîtrise pas du tout.

  • Bon, euh, je dois déposer ça dans l'infirmerie.

 Il me lance un regard sévère, accroche résolument le gros sac sur son épaule et s'élance dans une traversée de couloir à un rythme militaire. Bah, mince alors ! Magda lui lance un "Mais bien sûr, Oscar !" en le regardant s'éloigner, et secoue la tête, les yeux moqueurs. Sauf que moi, je ne fais pas la fière.

  • Mon humour était peut-être un peu trop piquant..., m'excusé-je, penaude.
  • On dirait bien, me répond un Jorge plein de sagesse. Dis donc, tu y vas fort, avec notre Oscar, là...

 Je lui lance un regard désolé, et il me fait un imperceptible mouvement de menton en la direction du fuyard. Magda m'interroge :

  • Et tu es qui, réellement ?
  • Hum, excusez-moi, on verra ça plus tard... je dois passer à l'infirmerie !, dis-je en me lançant à sa poursuite. Eh ! Oscar ! Attends !

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