Chapitre 8.2

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  • Eh ! Oscar ! Attends !

 Il ne ralentit pas le rythme.

  • Je suis occupé, Alix. Je travaille.
  • Oscar, enfin ! Tu me plantes là ? Tu boudes ?

 Il s'arrête et me regarde toujours aussi durement.

  • Comment se fait-il que tu sois ici, Alix ?
  • Je l'ai dit. Je suis de passage et je cherche l'hospitalité.
  • De passage...
  • Oui, dis-je avec aplomb.
  • Super.

 Visiblement toujours aussi contrarié, il secoue la tête et tourne à l'angle d'un autre couloir. Bof, pas terribles, ces retrouvailles.

  • Oscar, tu vas refuser de me parler ? Sérieusement ? Dois-je partir ?
  • Je ne sais pas, et si j'avais pas de canapé ?
  • Mais...

 Il s'arrête devant une porte, et la dé-crochète. Il entre dans la pièce. Elle est étroite, il y a deux immenses armoires qui prennent une place monstrueuse ; au centre, un bureau avec un ordinateur qui ronronne doucement, et dans un recoin à gauche, une table d'auscultation. Oscar laisse tomber son sac au sol et ouvre une des armoires : elle est remplie de boites, de médicaments, et de matériel de bandage et de soin.

  • Waouh... vous avez de quoi momifier le campus tout entier !
  • Oh, Oscar... S'il te plaît...
  • Ok, bon. Je suis désolée pour tout ce que j'ai fait aujourd'hui : pour débarquer sur ton lieu de travail, pour te prendre par surprise, et pour faire des sous-entendus salaces devant tes collègues qui te vaudront certainement des railleries demain.

 Il continue de ranger des bidules sur les étagères de l'armoire, dans un mutisme résigné. La vache, je rame autant que si je devais remonter la Loire jusqu'à sa source.

  • Oscar ? ... Oscar ! S'il te plaît...
  • Je m'en fous, de tout ça, c'est même pas ça le problème !
  • C'est quoi, alors ?

 Il ferme la porte de l'armoire et se tourne vers moi.

  • C'est quoi ?! Tu... t'es venue pour quoi, au juste ?
  • Parce que j'avais envie de te voir
  • Vraiment très envie, pour faire autant de kilomètres.
  • Tu n'as pas idée. Une envie abyssale.

 Il marque un temps d'arrêt, puis fronce les sourcils de nouveau. Machinalement, il se met à enrouler une interminable bande de gaze.

  • Tu comptes faire ça souvent ? Être juste de passage pour assouvir des envies abyssales ? Quémander mon hospitalité, et après... et après quoi ? Redisparaître ?
  • J'ai peut-être un peu exagéré avec la notion de passage.
  • C'est-à-dire ?
  • Il se pourrait que j'eusse l'idée de rester un peu.

 Touché. Il stoppe son geste, et je le vois ciller.

  • Un peu ? Combien, un peu ?
  • J'ai pas déterminé exactement.
  • Et ta vraie vie avec des vrais gens, à Nantes ?
  • J'ai démissionné.
  • (il arrondit les yeux) Démissionné ? Mais pourquoi ?
  • Pas bien certaine qu'elle était vraiment là-bas, ma vraie vie.

 Il me dévisage en silence. Long, long silence. Finalement, ses yeux redescendent vers sa bande qu'il se remet à enrouler en une grosse pelote.

  • Ce n'est pas très raisonnable, tout ça pour un vulgaire passage sur mon canapé...
  • Oh, Oscar, pitié !

 Je le mérite bien, je crois. Je m'approche de lui et ose poser mes mains sur ses épaules. Il est encore tendu, sa mâchoire se crispe, il reste fixé sur sa foutue bande. Mes yeux cherchent les siens. Je souffle doucement :

  • Oscar...
  • Comment peux-tu dire ça ? À quel moment j'ai laissé croire que tu étais une fille de passage ? Si ça y ressemble, c'est uniquement parce que les circonstances étaient contre nous, mais moi je n'ai jamais voulu... ça.
  • Je sais ! C'était une taquinerie de plus... Je n'ai jamais imaginé que tu me considérai comme telle.
  • Loin de là ! J'ai essayé de te faire comprendre, à Madrid, que je... que je...
  • Oui. J'ai capté tout ça. Oscar, regarde-moi ! C'est pour ça que je suis là. Parce que tu as planté cette graine dans mon esprit. Elle a poussé, elle a germé... Elle m'a envahie. J'ai passé l'été à regretter d'avoir mis les pieds dans cet avion en Juin. Alors, voilà... je suis revenue. Et c'est toi qui vas décider de si je suis seulement de passage, ou si je mérite de rester.

 Il reste bouche bée. Son langage corporel change. Imperceptiblement, je le vois de décrisper. Sa respiration est fébrile. Une foule de sentiments passent dans ses yeux ambrés. Il pince les lèvres, ses traits s'adoucissent, et je chavire une énième fois sous sa candeur désarmante.

  • Vraiment ?
  • Vraiment.
  • Tu n'as pas de billet retour ?
  • Non.

 Enfin, mon Dieu, enfin, un sourire vient se dessiner, et c'est son visage tout entier qui s'illumine. Je redécouvre avec joie les adorables fossettes qui creusent ses joues, et j'ai furieusement envie d'y poser mes mains.

  • Ça a l'air de te plaire ?
  • Peut-être que oui, j'aime l'idée...
  • Est-ce que je peux espérer que l'on s'embrasse, ou tu boudes encore un peu ?

 Il hésite, puis tend le bras et m'amène à lui. Nos visages se rencontrent, ses lèvres me frôlent, puis son baiser m'accueille. Enfin, mon dieu, ENFIN ! Mon corps épouse le sien, mes mains caressent ses cheveux, et ma bouche ne peut pas se décoller de la sienne. Je retrouve des gestes qui m'ont cruellement manqué ces dernières semaines, des gestes que j'effectue avec délice, des gestes que je veux faire et refaire encore, et encore, et encore. Je ne m'en prive pas, je le consomme sans modération.

 Oscar se retire le premier et pose son front sur le mien. Les yeux fermés, le sourire doux, il me murmure :

  • Te eché de menos.
  • A mí también.*

 On reste dans les bras l'un de l'autre, et c'est doux, et c'est bon. C'est un sentiment formidable, celui de savoir, à l'instant précis, que l'on est exactement là où l'on doit être. Et dire que j'ai hésité, tout à l'heure ? J'ai une putain d'évidence sous les yeux, là.

 Je soupire de satisfaction, et mon corps appelle à autre chose. Là, d'un coup, maintenant. Je regarde autour de moi.

  • Elle est confortable, cette table d'auscultation ?
  • (il suit mon regard, un peu désarçonné) Euh, bah un minimum oui, je suppose. Ce n'est pas moi qui m'y allonge.
  • Ah oui ? Tu n'as pas la curiosité de tester ?
  • Euh, non ? Pourquoi faire ?
  • Ohlàlà, Oscar...

 Je lève les yeux au ciel. Candide, candide Oscar. Ma main descend délicatement le long de son bras, effleure la sienne et passe sans hésitation sur ses fesses. Il se tend et écarquille les yeux.

  • Oh, Alix... Qu'est-ce que... Non, non, non. (sa main retire la mienne alors que je commence à l'embrasser dans le cou) Alix, arrête... On ne peut pas...

 Je continue de manger sa peau et il a bien du mal à trouver suffisamment de conviction pour m'arrêter.

  • Alix, arrête, gémit-il. Je bosse ici, c'est pas possible ça.
  • C'est si risqué ? Il y a beaucoup de gens qui viennent à l'infirmerie le soir ?
  • Non... J'en sais rien. Alix, c'est taré, on ne peut pas faire ça. Si quelqu'un nous surprend, je suis mort.

 Je m'arrête. Je ne vais pas le contrarier une nouvelle fois. Dommage... elle était vraiment tentante, cette infirmerie au bout du couloir. Il secoue la tête.

  • T'es dingue.
  • Oui. Il va falloir t'y faire.
  • (il sourit) Je crois que ça me plaît.
  • On part ? Parce que si tu me dis des trucs pareils et qu'on reste là, on va la tester, cette table, Oscar !

______

* te eché de menos = tu m'as manqué
a mí también = à moi aussi

______

Note de l'autrice : L'aficionada que je suis ne peut pas clôturer ce chapitre sans faire référence à l'annonce de la retraite sportive de Rafael Nadal, il y a 24 heures. Ici, en 2004, Alix nous dit qu'elle n'a jamais entendu parler de lui. 20 ans plus tard, nous sommes en 2024, et c'est un palmares dantesque qui voit s'offrir un point final. Grande Rafa, gracias para todo ♥ !

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