Chapitre 8.3

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 Oscar loge dans un appartement de fonction de la fédération, à deux numéros de rue du centre d’entraînement. Une proximité qui m'étonne beaucoup, mais qui lui sied puisqu'il ne s'agit pour lui que d'avoir un pied à terre barcelonnais – son vrai chez-lui se situant dans les Asturies.

  • La moitié des apparts sont vides, ici. Ce sont des logements qui ne sont que semi-occupés, je n'ai que des voisins de passage – et je suis moi-même un voisin de passage, d'ailleurs, entre les voyages pour les tournois et mes repos à Oviedo... alors, bon... j'ai pas tellement investi les lieux.
  • C'est un drôle de concept.

 Il ouvre la porte et nous pénétrons dans une pièce de vie de belle taille, sur un parquet passé. L'ameublement est minimaliste, en effet – on sent qu'Oscar n'y a pas mis son cœur. Malgré tout, le bois du sol, les murs étrangement jaune vif, et les deux hautes fenêtres apportent une ambiance chaleureuse.Il scute ma réaction et annonce :

  • Voilà. Au fond, la salle de bain et la chambre. Ah, euh, et le canapé, puisque c'est ce que tu es venue quémander...

 Je souris. Quelle andouille !

  • Je le testerai bien. Tout de suite.
  • Tu veux dormir maintenant ? Mais il est dix-neuf heures...
  • C'est ça...

 Il hausse les sourcils d'un air narquois. Je m'approche de lui mais il se recule aussitôt.

  • Permet-moi de prendre une douche, et on en reparle après.
  • Ok, ok. Je te permets.
  • Prends tes quartiers ! (il regarde ma valise et l'emmène) Fais comme chez toi !
  • Hé ? Où vas-tu avec mes affaires ?
  • Je sais que toi, tu veux le canapé, mais je sens qu'elles, elles préfèrent ma chambre...

 Je ris. Tout doute a disparu : c'était définitivement la meilleure des décisions que de venir en Espagne le retrouver.

 Quand il réapparaît, j'ai investi le fameux canapé, astucieusement installé en face d'une des fenêtres qui donne sur un parc : c'est marrant les parcs, il y a mille trucs à y observer. Les mains dans les poches, il regarde par la fenêtre lui aussi.

  • C'est tranquille, hein ?
  • Mmm (je le détaille de haut en bas) Pourquoi diable t'es-tu habillé ?
  • Hein ? Oh, Alix... je te manquais à ce point ?
  • Si tu savais...

 Je me lève et commence déjà à balader mes mains sur son corps. Il se laisse faire, il m'embrasse même, mais je le sens... distant. Distant, oui, au point de se retirer de mon contact.

  • Alix, attends.

 Bon ! Eh oui, Alix, as-tu oublié à qui tu avais affaire ?

  • Ok, ok. Excuse-moi, de toute évidence, j'y vais vraiment trop fort. On va ralentir la cadence.
  • Non, c'est pas ça. J'ai un truc à te dire, avant.
  • Ah ? Dis donc, il n'a pas l'air terrible, ton « truc ».
  • Pas... non, pas terrible.

 Il semble particulièrement mal à l'aise. Il pince les lèvres en baladant son regard sur le sol : il ne sait visiblement pas comment cracher son morceau.

  • Eh bien, je t'écoute ?
  • Oui... voilà. Je ne te cache pas que c'est tout à fait inattendu de te revoir, Alix...
  • Oui, je me doute.
  • Et, euh, cet été... Eh bien, tu étais partie, et on avait dit qu'on tournait la page, et qu'il n'y avait pas d'avenir... Alors bon...
  • HAN ! T'as rencontré une fille ? (mon Dieu, c'est pas vrai ?) Tu as réellement une copine ?! (dites-moi que c'est PAS VRAI ?!)
  • Non ! Non, non, non. « Rencontré », c'est un grand mot.

 Je soupire de soulagement. OUF !

  • Ah ! T'as juste couché avec ?
  • Juste ? Ça vaut un « juste » ?
  • Par rapport à ce que je commençais à m'imaginer, oui ça vaut un « juste ».

 Il reste interdit. C'est comme s'il était impensable que je réagisse ainsi. On dirait qu'il n'y croit pas. Son air circonspect m'interroge : me cache-t-il autre chose ?

  • Quoi ? Tu la revois ?
  • La revoir ?… Je ne saurai pas la reconnaître.
  • Ah carrément ? Waouh, qu'est-ce qui s'est passé ?
  • Euh... Hum, dure soirée...
  • Mais... et ta fière chasteté du premier soir, Oscar ?

 Je commence à rire, ce qui le consterne visiblement.

  • Tu trouves ça drôle ? Pourquoi vous trouvez tous ça drôle ?
  • Tous ? Tu t'es vanté de tes exploits d'un soir à beaucoup de gens ?
  • (il se gratte la tête en soufflant) Luigi s'en est chargé...
  • Aïe... C'était une soirée avec Luigi ?
  • Ouai.
  • C'était risqué ! Imagine, ça aurait pu très mal terminer. T'aurais pu rencontrer une fille, qui t'aborderait pour t'emmerder, et avec qui tu aurais parlé toute la nuit, et que tu aurais eue envie de revoir par la suite...

 Ca a au moins le mérite de le faire sourire.

  • Non, aucun risque. Bref, Luigi ne s'est pas privé pour raconter deux ou trois éléments de la soirée aux potes d'Oviedo. Et donc, la conclusion est que tout le monde trouve ça drôle.
  • Donc, si je veux des détails, je sais à qui m'adresser !
  • Euh... Joder. Je paye cher cette putain de soirée.
  • C'était si terrible que ça?

 Il ferme les yeux en soupirant. Même si c'est lui qui a tenu à me parler de ça, il semble qu'il s'agisse d'un purgatoire de répondre à mes questions, désormais. Pourtant, dans un effort, il me raconte :

  • C'était le soir de mon anniversaire. Luigi m'a traîné en ville dans une fête à la con encore, et... on a bu, et... je n'ai absolument aucun souvenir. Je me suis juste réveillé avec une gueule de bois monstrueuse, des traces corporelles de mes... exploits. Et les récits de Luigi.
  • Ah oui, quand même. Ça t'arrive souvent de boire autant ? Tu supportes si mal que ça de prendre un an ?
  • Ce n'était pas vraiment ça le problème.
  • Ah ? Il y avait un problème ? Un défaite à digérer ?
  • Une perte à oublier.
  • Une perte à ? … Ah.

 Ah. Si j'avais un doute de sa façon d'avoir géré mon départ, j'ai maintenant la réponse.

  • Tu as tenté de m'oublier dans les bras d'une autre ?

 Pour une fois, il me regarde droit dans les yeux. Il semble horrifié de ce que je viens de dire.

  • Alix, je suis désolé, c'est de loin le truc le plus stupide que j'ai fait de ma vie, je ne sais pas ce qui m'a pris, ce n'est pas du tout mon genre, je ne fais pas de trucs avec des inconnues comme ça, je n'aurai jamais, jamais, jamais...
  • C'est bon, c'est bon, Oscar, STOP ! Stop. Hum hum. On va dire que ce qui s'est passé cet été reste dans l'été, ok ? T'avais bien le droit de t'envoyer en l'air avec la Terre entière, après tout, qu'est-ce que je peux avoir à y redire ? On appartenait au passé, à ce moment-là. Tu l'as dit, tu n'imaginais pas me revoir.

 Je n'ai pas l'impression de l'avoir convaincu. Pourtant, sans forcément vouloir l'applaudir, je ne ressens pas d'animosité envers ce qu'il s'est passé. Il semble hésitant.

  • Tu n'es pas fâchée ?
  • Non.
  • Tu es sûre ?
  • Mais... on dirait que tu préférerais ?
  • Non, non. Peut-être que si. Peut-être que ça le mériterait ?
  • Oscar, je crois que c'est toi qui es fâché contre toi-même. Et je ne te dirai pas si tu as raison ou tort, mais moi, je te le répète, je ne fais pas cas de ce qui s'est passé cet été, alors même que tu étais un garçon libre, majeur et vacciné.

 Il soupire longuement, et se laisse choir dans le canapé à mes côtés. Il a l'air accablé.

  • Je me sens nul. Depuis le début avec toi, je SUIS nul. Je ne fais que des trucs nuls. J'ai commencé par être désagréable avec toi, puis je ne te demande pas ton nom, ni ton numéro, je ne sais pas comment t'accueillir correctement, je ne sais pas à quel moment t'embrasser, ni à quel moment aller plus loin, je ne sais pas te parler. À Barcelone, je t'ai laissée partir ; à Oviedo, je t'ai laissée partir ; à Madrid, je t'ai laissée partir ! Et toi, tu me retrouves, tu débarques ici, tu me dis que t'as tout plaqué pour moi, et je t'accueille en t'annonçant que j'ai couché avec une autre... mais quel abruti, putain !

 Il plonge la tête dans ses mains. Je suis décontenancée : ce décalage entre ma grande joie de le retrouver et son discours accablant est vraiment perturbant ! Moi, j'ai juste envie de le prendre dans mes bras, de le serrer fort, et de lui transmettre tout ce que je ressens pour lui. Je pose délicatement ma main sur son épaule.

  • Oscar... tu décris un tableau peu reluisant... Mais tu es loin d'être un abruti ! Ce n'est pas la conclusion que j'ai envie de faire de tout ça...

 Il relève la tête et me dévisage avec appréhension.

  • Tu conclus quoi de tout ça, toi ?
  • Que tu es un garçon réservé, mais tu laisses les choses prendre leur temps. Tu es pudique, et ça permet de s'émerveiller de chaque détail que l'on découvre l'un de l'autre. Tu es hésitant parce que soucieux de me respecter. Tu es maladroit, oui... et c'est terriblement craquant. Il n'y a aucune arrogance en toi. En quoi est-ce nul, tout ça ? Tu manques tant de confiance en toi ?
  • Tu ne trouves pas ça ridicule ? Tout le monde rigole de moi pour ces choses ! Depuis toujours !
  • Absolument pas ! Tout ce que tu décris, c'est tout ce qui m'a séduite au printemps ! C'est tout ce que j'ai regretté cet été ! Ce sont les raisons exactes pour lesquelles je suis là aujourd'hui ! Et que vaudrai-je à tes yeux, si j'étais comme tout le monde ?

 Il reste stupéfait. Ses yeux plongés dans les miens semblent chercher une validation à mes propos. C'est comme s'il était impensable qu'il puisse plaire avec ce qu'il est.

  • Tu sais quoi ? Je pourrais être jalouse de cette fille, là. Elle a eu ce qu'elle voulait dès le premier soir, sans passer par la case canapé, elle n'a éprouvé aucune difficulté ! En réalité, je suis triste pour elle. Elle ne t'a eu que pour un contact éphémère. Elle est passée à côté de tout. Elle n'aura pas la chance de connaître la richesse de ta personnalité et la profondeur de ton âme. Tu ne lui auras pas offert ça. À moi... si. Merci pour ça.

 Il ouvre la bouche sans un mot, la referme, puis ferme les yeux et reste immobile. Sa fébrilité irradie jusqu'à moi. Je repense aux mots de Luigi : « Quand il a trop d'émotions, il bugue ». J'en ai l'image à l'instant. Le contact visuel, il le coupe pour ne pas se laisser déborder par ce que mes mots remuent en lui. Je me suis peut-être trop emballée : mon excitation de le retrouver m'a vraiment fait oublier toute la délicatesse de ce garçon. Et encore, je me retiens de lui dire que je l'aime juste par crainte de sa réaction ! Du calme, Alix !

 Quand il rouvre enfin les yeux, c'est un regard brûlant qui me cueille. Un frisson me traverse. M'avait-on déjà regardé comme cela ?

  • Pas de passage.
  • Hein ? Qu'est-ce que...
  • T'es pas de passage. Plus jamais. Tu restes.

 Il fond sur moi et sa bouche rencontre la mienne. Je crochète mes doigts sur sa nuque et l'amène plus proche encore. C'est très vite un abandon total qui nous guide.


sigo tus pisadas
aunque a veces me pierdo
me pierdo en mil preguntas
y siempre acabo huyendo
porque salir corriendo
si te llevo aquí adentro
hoy te echo de menos
pero es que tengo miedo
y yo
si tú no estás
ya no sé estar


Ojos de cielo - el Sueño de Morfeo, 2005

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