Chapitre 11.3

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NB : dans ce chapitre-ci, les dialogues en espagnol apparaissent en italique.

Dans la tête d'Oscar.

 Je suis réveillé depuis un moment. Je ne bouge pas. Alix est collée à moi, en position fœtale, accrochée presque désespérément à mes bras. Elle a passé la nuit ainsi. Elle était agitée, elle gémissait. Il fallait que je pose ma main sur elle, que je lui murmure à l'oreille, pour qu'elle s'apaise. Je n'ai pas beaucoup dormi, au final. Cette insomnie m'a fait prendre la ferme résolution de revenir sur cette soirée, lorsque nous serons dans un moment intime et en confiance. Je ne suis pas un garçon qui parle beaucoup, en revanche, faire parler les autres, ça, je sais faire. Je pratique le recueil de confidence auprès d'une palanquée de gamins au sein de mon boulot, il n'y a pas de raison que je n'y arrive pas avec la femme que j'aime.

 Le dimanche fut très tranquille. Un petit-déjeuner gargantuesque nous attendait. La famille était joyeuse, presque prête à remettre le couvert alors qu'ils avaient, pour la plupart, veillé tard. J'observais les parents d'Alix du coin de l’œil : ils semblaient sereins, discutaient, riaient, faisaient le service. Un comportement on ne peut plus normal. Leur fille, en revanche, avait les traits marqués par la fatigue, et se trouvait étonnement silencieuse et discrète. Elle oscillait entre porter son attention sur son assiette, et écouter çà et là les conversations de la tablée sans y participer. En face de moi, Gaël lui lançait des coups d’œil anxieux. La plupart des Lagadec ne remarquaient rien, je suppose, mais à notre échelle à tous les trois, l'ambiance était pesante.

 En fin d'après-midi, la quasi-totalité de la famille nous avait dit au revoir et avait quitté le domaine. Gaël n'avait pas manqué de discuter une dernière fois avec Alix, en aparté – ça avait le don de m'angoisser, je dois dire – et m'avait dit en me saluant « Ne t'inquiètes pas, ça va aller. C'est toujours comme ça. Alix en a entendu d'autres ». D'autres quoi ? Je n'en sais foutrement rien.

 Ne demeuraient que les parents d'Alix, nous deux, et la tante et l'oncle à qui appartenaient ces chambres d'hôtes. Ils nous avaient proposé de garder notre chambre aussi longtemps qu'on le souhaiterait. On avait accepté : Yann et Katell ne rentreraient à Nantes que le mercredi, aussi, Alix avait décidé de se calquer sur eux. Le soir, elle se coucha tôt. Peu à l'aise à l'idée de rester en tête-à-tête avec ses géniteurs, je l'avais suivi.

 Le lundi matin se déroula sous le signe du rangement et du ménage : deux activités qui deviennent presque des arts sous l'impulsion de Katell Lagadec. Elle exécutait avec une vitesse et une précision impressionnante ses tâches : trier, ranger, laver, stocker, replier, nettoyer, balayer, aspirer, serpiller. Nous autres obéissions docilement à ses ordres et tentions de suivre la cadence, mais je pense honnêtement qu'elle aurait pu tout boucler seule dans la matinée sans problème. Alix semblait éteinte : jamais je ne l'avais vu obéir sans broncher trois heures durant. Il n'y avait guère que Katell et moi qui troublions le silence des lieux : sa mère me faisait passer un véritable interrogatoire « Vous venez du nord de l'Espagne, je crois, Oscar ? Comment est-ce, là-bas ? Que font vos parents ? Avez-vous des frères et sœurs ? Ah, votre sœur va se marier au printemps ! Que c'est beau, les mariages ! Vous serez le témoin ? Oh, super, quelle belle preuve de confiance ! Et que faites-vous dans la vie, Oscar ? Ah, kiné dans le tennis ! Tiens donc c'est intéressant, en quoi cela consiste-t-il ? ». Visiblement, Alix ne leur avait pas beaucoup parlé de moi. Katell parlait de façon simple et intelligible, et je n'avais aucun mal à m'exprimer avec elle, ce qui était extrêmement confortable. Aussi, je remarquais que depuis quarante-huit heures en terres gauloises, mon aisance à parler grandissait et je réfléchissais de moins en moins à la tournure de mes phrases ou à la prononciation de mes mots.

 Après le repas du midi, Katell proposait avec enthousiasme :

  • Et si nous allions sur la côte ? On pourrait montrer Perros-Guirec à Oscar, qu'en penses-tu, ma Chérie ?
  • Oui Maman, bonne idée.

 Je dévisageais Alix. Ce très poli « Oui Maman » était à l'image de son comportement étrange depuis que nous étions arrivés : docile, soumise, effacée. Je trouvais cela étouffant.

  • Vous verrez Oscar, la côte de Granit Rose, c'est enchanteur !
  • Enchanteur ?
  • Enchanteur, ça vient de enchanter. Ça signifie charmer, c'est quelque chose de très beau, qui donne des émotions positives.

 Je hochais la tête religieusement. Ses parents me vouvoyaient, et je sentais bien que je n'avais pas le choix d'en faire de même. Depuis le début de la journée, Yann écoutait tout en nous regardant silencieusement. Il portait sur moi un regard profond, comme s'il essayait de me percer à jour. J'avais l'impression d'être une proie devant un félin : il se pourrait qu'il me saute à la gorge, ou qu'il me laisse la vie sauve... mystère.

  • Bien ! Alors, nous ferons ça ! Départ dans une demi-heure !

 Perros-Guirec était une petite ville tout à fait charmante, c'est bien vrai. Un panneau à l'entrée de la ville indiquait "Perros-Guirec / Perroz-Gireg" (« c'est la traduction bretonne, m'indiquait Alix. Ça vient de penn roz, ça veut dire "la tête rose" ») suivi de la phrase "La vie en Roz !" (« c'est un jeu de mots, m'indiquait Katell. Vous connaissez Édith Piaf, Oscar ? »). Nous avons marché le long d'un sentier ensablé, et soudain, la mer est apparue sous nos yeux. Je découvris alors pourquoi le mot « rose » était utilisé à profusion : une quantité impressionnante de rochers s'étendait à perte de vue, et ils étaient habillés d'une étonnante couleur marron-rosée. Ils étaient tout ronds, polis par les vents et la mer. Autour d'eux, la nature était verdoyante, pluie oblige. Je parcourais des yeux ce panorama remarquable.

  • Alors, Oscar, ça vous plaît ?
  • Euh, oui. C'est... enchanté ?
  • Enchanteur.
  • Oui, enchanteur.

 La mère d'Alix ne rigolait jamais de mes erreurs, et les corrigeait patiemment. J'avais l'impression de passer mon temps en cours.

 À cet endroit, il y avait un phare de forme carrée, pas bien haut, construit en pierre de l'exacte même couleur que les rochers. Il portait un nom à l'écriture étrange, Ploumanac'h. « C'est breton », m'avait dit Alix. C'est marrant parce qu'ici, « c'est breton » semblait être la réponse à la moitié des questions.

 Il faisait beau malgré le froid, et en soirée, nous restâmes admirer un coucher de soleil épatant. La lumière dorée reflétant sur les rochers roses me laissait pantois. Je vis le regard amusé d'Alix : elle me sourit amoureusement, et je me faisais la réflexion que c'était la première fois depuis le samedi qu'elle me transmettait un peu de chaleur. J'avais essayé de m'approcher d'elle, et la seule affection à laquelle j'avais eu droit fut une main tendue, qu'elle lâcha relativement vite lorsqu'elle vit le regard de sa mère sur nous. Je trouvais cette distance pesante. Même dans l'intimité de notre chambre, elle ne disait pas grand-chose et se couchait très rapidement. La nuit, en revanche, elle restait agitée et ne se décollait pas de moi. Je savourais son corps contre le mien, en attendant le moment propice à une conversation sérieuse.

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