Chapitre 12.1

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NB : dans ce chapitre-ci, les dialogues en espagnol et les mots bretons apparaissent en italique.

Dans la tête d'Oscar.

 Nous suivîmes les désirs d'Alix pour le reste de notre séjour en France. Pas de polémiques, pas de fantaisies, pas de vagues. Je voyais que, de plus en plus, Alix retenait le feu en elle : maintenir la paix familiale lui coûtait.

 Il y eut quelques soupapes durant lesquelles elle avait pu se libérer de son carcan : en particulier le mercredi, durant le trajet retour des Côtes d'Armor vers Nantes. Ces trois heures en voiture furent l'occasion pour elle de se lâcher, de plaisanter, de me taquiner comme elle sait si bien le faire. Je savourais ce petit bout d'elle authentique.

 Un autre moment permit de laisser entrevoir la vraie Alix : le Jeudi soir, Katell, Yann, Alix et moi étions invités à dîner chez les parents de Gaël, en compagnie de ce dernier et sa copine, Maya. C'était une fille plutôt grande, aux yeux bleus et aux cheveux blonds coupés courts ; elle avait un style vestimentaire un peu rock, avec des grosses Doc Marteens, une veste en jeans agrémentée de broches, et un rouge à lèvre rouge vif presque hypnotisant. Ce fut un repas détendu et pas avare de rires. L'auteur principal des situations comiques était le père de Gaël, un homme bedonnant très sympathique, avenant, et bavard. L'immense majorité du temps, je ne comprenais pas ce qui déclenchait les rires, mais ils étaient unanimes. « Ce sont des jeux de mots » m'avait dit Alix « alors forcément, ça t'échappe un peu... ». Un peu... complètement, même, mais peu importe : voir même le très sérieux Yann s'abandonner à la poilade suffisait à égayer ma soirée.


 Il est vingt-trois heures, les parents d'Alix annoncent qu'ils rentrent. Le cousin supplie Alix de rester un peu « Tu t'encroûtes avec tes vieux ou quoi ? » lui lance-t-il lancé à la cantonade, récoltant au passage un haussement de sourcil amusé de Yann et un regard réprobateur de son épouse. Alix hésite, je croise les doigts... et finalement, elle accepte - Ouf ! Excellente idée, à mon humble avis.

 Nous voilà donc, Gaël, Maya, elle et moi, installés sur un salon de jardin dans la véranda de la maison de nos hôtes. Gaël ouvre en toute décontraction une boite de métal contenant tabac, feuilles, et une belle quantité de cannabis à l'odeur fleurie, et se met à rouler un joint en poursuivant naturellement la conversation en cours. Il me tend le cône.

  • Tu fumes, Oscar ?
  • Euh, non. Jamais.

 Maya se penche vers moi :

  • T'es du genre garçon sage ?
  • Euh... Je préfère rester tranquille.

 Disons que vu ce que je suis capable de faire sous substance, autant m'abstenir devant les Lagadec, hein. Le souvenir – ou plutôt le manque de souvenir – de ma cuite de l'été dernier me hante encore. Aussi, ce soir, le généreux Porto à l'apéritif, et les verres de vin à table ont été suffisants pour me chauffer sacrément les oreilles. Il était temps de dire stop avant d'entrer dans l'incontrôlable.

 Gaël ne se permet pas d'insister et le passe à sa cousine. Alix est mal à l'aise – pourtant, je l'ai déjà vue fumer quelques rares fois, en compagnie de María ou de Luigi. Je n'ai aucun doute sur le fait que Gaël sait ce qu'il fait et que ceci constituait une habitude entre eux, pourtant, il semble que ce ne soit pas aussi naturel ce soir.

  • Bah alors, cousine ?
  • Je ne sais pas...
  • Tes parents sont partis !
  • Oui, oui...
  • Et tu as un accompagnateur net pour la soirée !

 Elle secoue la tête pour confirmer son refus. Gaël porte le joint à sa bouche et l'allume.

  • Ça s'est passé comment, après notre départ dimanche, cousine ?
  • Ça a été.
  • Ta mère t'a foutu la paix ?

 Je ne sais pas ce qui signifie « foutu la paix » mais je comprends que Katell était la principale responsable des larmes du samedi. Alix évite ostensiblement mon regard, et répond en marmonnant :

  • Oui.
  • Et ton père ? Il t'a reparlé de ta surprise ?
  • Un peu. Il m'a remercié.
  • Mais oui ! Il était content, j'te jure, cousine ! Il me l'a dit ! Tu sais bien qu'il ne me l'aurait pas caché s'il était en colère contre toi.
  • Super.
  • Ça a l'air compliqué avec tes darons, dis donc ?

 Maya souffle longuement sa fumée, avachie sur un fauteuil. Sa question provoque un soupir plaintif chez Alix.

  • On va dire ça comme ça.
  • Ils ont l'air un peu coinços.

 Une phrase qui, je ne sais pas pourquoi, fait ricaner Gaël. Maya utilise un vocabulaire qui me laisse souvent sur le carreau. Hélas, elle se tourne vers moi et me demande :

  • T'en penses quoi, toi ?
  • Euh, je... ne sais pas ce que c'est « coinços ».

 Ils rient de plus belle – même Alix – et je me surprends à regretter la bienveillance de Katell qui m'explique tout avec patience et sans jugement. Gaël récupère le joint, lève les yeux vers Alix, et me répond prudemment :

  • « Coinços » ça veut dire... qu'ils sont rigides... Pas super fantaisistes, tu vois ?

 Devant mon air dubitatif, Alix soupire et me traduit d'une voix lasse. Gaël me regarde, désolé.

  • Déso, mec, ça doit être chiant pour toi, de rien capter.
  • Évite d'utiliser « déso », « chiant » et « capter » si tu veux vraiment l'aider, Galou.
  • Chiant, je connais, fais-je remarquer. Tu dis ça beaucoup de tes parents.

 Gaël et Maya éclatent de rire, et, sous leur impulsion, Alix finit par pouffer aussi. Maya ajoute :

  • Franchement, moi j'ai trouvé ça drôle ton truc. C'est trop bien comme surprise ! En plus tu chantais bien, t'étais canon !
  • Merci, Maya.
  • T'as l'air drôle comme nana.
  • Ça dépend des points de vue, apparemment.

 Elle a pris un ton amer. Son cousin se penche sur elle et lui tapote l'épaule avec compassion. Elle lui offre un faible sourire qui me fait mal au cœur. J'ai furieusement envie de la prendre dans mes bras, et l'embrasser, et de lui dire que moi, je la trouve incroyablement drôle, et créative, et émouvante, et belle, et passionnante, et qu'elle illumine chaque jour de ma vie que je passe à ses côtés. L'alcool rend ma lutte assez difficile : je vois bien la désinhibition poindre. Allons, Oscar, un peu de tenue !

  • T'es sûre que tu fumes pas ?

 Alix louche sur le joint, et finalement, tend la main.

 Nous ne sommes pas restés plus d'une heure dans cette véranda : Alix était fatiguée, Maya et Gaël travailleront demain. Ce fut quand même un moment agréable où je réentendis plusieurs fois la délicieuse mélodie du rire d'Alix, et elle se permit même, au bout d'un moment, de poser sa tête sur mon épaule et de s'y lover. Ce simple geste avait rendu mon cœur joyeux, je lui avais glissé quelques baisers sur la tempe, elle avait soupiré d'aise. Je n'avais pas loupé le sourire doux de Gaël sur nous.

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