Chapitre 12.2
NB : dans ce chapitre-ci, les dialogues en espagnol et les mots bretons apparaissent en italique.
Dans la tête d'Oscar.
Nous rentrons à pied – selon Alix, nous en avons pour vingt minutes. J'espère qu'elle est en état de nous guider, parce que moi, je suis bien incapable de savoir quelles rues prendre. Elle s'est accrochée à mon bras et nous traversons le froid humide nantais.
- Tu as passé une bonne soirée, Alix ?
- Oui. Super. Je suis ravie de passer du temps avec Gaël. Il me manque.
- Vous avez une relation très forte.
- Oui. Et Maya a l'air chouette, hein ? Je suis heureuse pour lui qu'il puisse vivre une jolie histoire avec une fille bien.
- Ils sont ensemble depuis combien de temps ?
- Six mois. Juste après que je te rejoigne à Barcelone.
Le temps qu'elle me raconte comment Gaël et Maya se sont rencontrés et mis en couple, nous arrivons à la maison Lagadec. Elle se stoppe, et la regarde d'un air triste.
- Ça ne va pas ?
- Il va falloir reprendre le costume de petite fille bien élevée.
- Tu peux te permettre d'attendre demain matin pour l'enfiler !
- Et qu'est-ce que tu proposes, d'ici demain matin ?
Je n'avais rien de déplacé en tête, juste l'envie de la voir câline et rieuse encore un peu, mais elle a une interprétation tout autre de mes propos, vu le regard brûlant qu'elle m’envoie.
- Ohla, ohla, Alix, qu'as-tu en tête ?
- Des trucs pas sages du tout.
Soudainement, mon corps me rappelle les merveilles que les mains d'Alix sont capables de faire, la douceur de sa bouche, la chaleur de ses étreintes et la délectation de sa voix lorsqu'elle atteint le septième ciel en ma compagnie. Mon désir explose à l'intérieur de moi sans que je n'ai le temps de le refréner. Mon taux d'alcoolémie demeure suffisamment élevé pour étouffer ma force de conviction : si elle met un pied sur le terrain de la séduction, j'y sauterai à sa suite !
Elle mordille sa lèvre, et je prends encore quelques degrés. La lutte devient héroïque.
- Je ne devrais même pas y penser. On va rentrer en silence, monter en silence, nous coucher en silence.
- Ah. D'accord.
Bordel de bordel de mierda, Oscar. Redescends !
On fait ce qu'elle a dit : entrer, montrer, nous déshabiller en silence. Je prends soin de ne pas poser mes yeux sur elle : je crains que la voir nue ne me ramène à des envies pas suffisamment sages. Enfin, dans le confort des draps, elle se pose contre moi. Je caresse nonchalamment son dos, embrasse son front. Elle relève le nez vers moi.
- Oui ?
- J'ai envie de faire l'amour, Oscar.
Je me sens me crisper. Si elle attend de moi que je sois le garant de la sagesse, je crains fort de la décevoir. Dans un effort surhumain, je lui réponds :
- On ne devrait pas y penser, tu as dit.
- Tu n'y penses pas, toi ?
- … Je vais te mentir honteusement, mais c'est pour ton bien, Alix. Hum hum : non, je n'y pense absolument pas, loin de là, c'est même la dernière de mes pens...
Ma voix s’éteint sur ses lèvres, qu'elle a posées contre les miennes. Sans filtre aucun, je lui donne un baiser long, langoureux, ambitieux. Elle se tourne et se positionne sur mon torse. Bon sang, Alix, qu'est-ce que tu me fais ?
- Dis-moi qu'il faut qu'on arrête, Oscar. Dis-moi qu'on ne doit pas faire ça.
À ce niveau, c'est de la torture !
- Il faut... qu'on... arrête.
- Aie l'air plus convaincu, Oscar.
Je râle franchement, là.
- Je vais peut-être aller dormir dans une autre chambre, Alix, parce que ça va être compliqué de rester en ta compagnie. Tu n'es pas sage du tout !
- Il y a le canapé.
- Ah ! Parfait !
Elle pouffe de rire, et j'en profite pour la basculer sur le côté. Oscar, tu mérites une médaille, mon vieux !
- Alix Lagadec, écoutez ma voix ferme et résolue : (elle rigole de plus belle, la fourbe !) nous ne ferons point de choses pas sages cette nuit !
Je reste au-dessus d'elle, et d'un doigt, elle passe sur ma bouche, descend sur mon menton, mon cou, arrive sur mon torse. Madre de dios !
- Tu es sur le point d'éradiquer ma conviction, Alix.
- Je sais. Tu es trop faible, face à moi.
- Je te jure que là, j'y mets toute ma force.
- Pourquoi devrions-nous nous abstenir, Oscar ?
- Je n'en sais fichtrement rien. Par politesse ?
- Je pensais que tu avancerais le risque de se faire gauler.
Mouarf. L'idée de me faire surprendre par le très sérieux Yann Lagadec en plein coït avec sa fille suffit à faire redescendre mes ardeurs, d'un coup.
- Rassure-toi, mon père a un sommeil d'ours. Une nuit, j'étais rentrée complètement bourrée, je m'étais trompée de chambre. Je suis allée dans la leur, leur ai allumé la lumière dans la tronche et ai vomi sur le palier de leur porte, ça ne l'a pas tiré de son sommeil. Ce sont les hurlements de ma mère qui l'ont réveillé.
- … Tu as vraiment fait un truc pareil ?
- Euh... Oui.
Je suis traversé d'un fou rire incontrôlable.
- Joder, tu étais une ado terrible !
- Tu n'as pas idée...
- C'est de ça dont parlait ta tante...
Elle se redresse sur ses coudes.
- Attends, ma tante t'a dit quoi ?
Merde.
- Trois fois rien, à vrai dire...
- Oscar ?!
- Je te jure ! Elle m'a dit que tu avais eu une adolescence agitée, voilà tout. Elle a ajouté que ce n'était pas à elle de me donner des détails.
Alix reste silencieuse, et j'en profite pour revenir de mon côté du lit. Pfiou, la fièvre s'éloigne de moi et je retrouve un état de calme profitable pour dormir.
- J'ai fait un certain nombre de conneries, oui, c'est vrai.
- Rien de gravissime ?
- Non... Non. Gaël me rappelait régulièrement la frontière entre le marrant et le dangereux.
- Bon. Un vrai ange gardien, le cousin !
- Et toi ? Tu étais sage comme une image ?
Je soupire. Je n'ai absolument pas l'intention de parler de ma propre adolescence. De manière générale, parler de moi n'est jamais une idée qui me tente.
- Euh, ouai. Je n'ai jamais vraiment été du genre à braver les interdits, tu sais... et puis, je n'en avais pas spécialement le temps ni l'occasion.
- Tu vas me faire gober qu'on n'a jamais l'occasion de faire de conneries quand on a Luigi et Cisco comme potes ? À d'autres !
- Oui, non mais eux, ils en ont fait, des frasques, c'est sûr ! Mais... pas moi.
- Tu ne les suivais pas dans leurs délires ?
- Je ne passais pas beaucoup de temps avec eux, en fait.
- Ah ? Pourquoi ?
- Parce que...
Bordel de bordel, elle ne lâche pas le morceau, bien entendu ! Je marmonne dans ma barbe.
- Je ne pouvais pas vraiment sortir.
- Quoi ?! Tes parents te l'interdisaient ? Attends, je ne peux pas croire que des gens aussi adorables fassent un truc pareil !
- Non, non, c'est pas tout à fait ça... c'est pas eux.
- Qui, alors ?
- Mon club.
- Ton club ? Quel club ? De quoi tu parles ?
- Oh, Alix !
Ma voix trahit ma nervosité. Je me sens pris en étau. Il s'est refermé sur moi, je ne peux pas en échapper : Alix me pose les questions que j'ai toujours soigneusement évitées jusqu'à présent. C'était illusoire d'imaginer les esquiver éternellement, hein ! Mais, tête d'andouille que je suis, les tenir à distance me laissait espérer stupidement que jamais cette part de moi ne referait surface.
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