Chapitre 16.2
Dans la tête d'Oscar.
On frappe à la porte d'entrée. Je ne bouge pas. Je crains d'y trouver Lorena. Je n'ai franchement aucune envie de me confronter à elle. Pas maintenant, pas tant que je n'ai pas plus d'infos sur Alix.
On frappe de nouveau. Bordel, cassez-vous ! Foutez-moi la paix. J'ai envie d'être seul. Je le suis, ça tombe bien.
Un toc toc sonore me fait bondir. Quelqu'un cogne sévèrement contre la baie vitrée. Je lève la tête. Dios mío. María.
- Ohé ! Tu me laisses dehors, ducon ?
Je saute du canapé et lui ouvre la porte.
- Qu'est-ce que... ?
- Ah, bah quand même. On est obligé de faire le tour de la baraque pour que tu daignes ouvrir ?
- Où est Alix ?
- Bonjour.
- Où sont-ils ?!
Elle me toise du haut de son mètre quatre-vingt-quatre ajouté à ses talons interminables.
- Chez moi. À Madrid.
- … Bien sûr... Et... comment va-t-elle ?
- Depuis quand ça t'intéresse, comment elle va ?
- Oh, eh, n'exagère pas !
- Vraiment, Vázquez ? Ça fait des mois que t'en a rien à foutre de sa gueule, viens pas jouer les beaux maintenant !
- Je n'en ai pas rien à fou....
- À d'autres, Vázquez ! On revient sur ton comportement de l'année qui vient de passer, c'est ça que tu veux ?
- Non, c'est bon, laisse tomber. J'ai pas vraiment envie de discuter avec toi.
- Tant mieux, j'ai pas envie de taper la conversation non plus, ducon.
- Y'a moyen que tu m’appelles Oscar, ou c'est trop demander ?
- T'es sérieux ? Tu veux que je sois polie avec toi, tu voulais que je t'apporte des fleurs, peut-être ?
- Non, mais...
- Regarde-moi bien OS-CA-REUH : t'as de la chance qu'Alix m'ait fait promettre de ne pas te toucher, parce que si y'avait que moi, je t'aurai émasculé mon con. Donc réjouis-toi de conserver tes attributs intacts, et m'en demande pas plus.
- Wow, ok, c'est bon.
Elle est encore plus timbrée que d'habitude. Je n'ai pas les nerfs de supporter ses grands airs, et pourtant, si je veux des infos et conserver l'espoir de revoir Alix et Andreas, je n'ai pas le choix que de composer avec elle.
- Bon, bon. Pourquoi tu es là, au juste ? Pour le plaisir de m'insulter ?
- Un peu. Mais surtout pour t'expliquer comment vont se passer les choses.
- Très bien. Il faut que je parle à Alix.
- Ouai, sauf qu'Alix ne veut plus aucun contact avec toi. Donc les contacts, c'est par moi que ça passe.
- Non, ah non, pas quest...
- Il ne me semble pas t'avoir demandé ton avis, en fait.
- Mais enfin ! Ça suffit ! Je veux parler à Alix, j'ai des choses à lui dire !
- Ouai, super. Donc. Alix prévoit de rentrer en France.
- … Ok, euh... Elle reviendrait quand ?
- Définitivement.
Mon coeur s'arrête. Je tombe des nues. C'est pas sérieux ?!
- QUOI ? Non, attends, c'est pas possible ça...
- Donc : elle a posé sa démission, a désinscrit Andreas de la crèche, a lancé une évaluation pour te céder sa part de la baraque, et a commencé les démarches de transfert de dossiers administratifs.
- Tu écoutes ce que je dis ? C'est PAS POSSIBLE !
- Nan, Vázquez, j't'écoute pas, non. J't'explique.
- Non mais, et Andreas ?
- Il part avec elle.
Plus que tomber des nues, je me fracasse lourdement sur le sol.
- NON ! Non, non, non, hors de question !
- Ah ouai ? Tu proposes quoi ? Qu'il reste en Espagne, et tu l'emmènes dans ta valise à chacun de tes déplacements ?
- Non... je ne sais pas, on peut en discuter ?
- Y'a rien à discuter. Elle rentre à Nantes, avec le gamin, et elle va demander la garde exclusive. Et tu vas dire oui sans faire d'histoires.
- QUOI ?! Mais non !
- Oh que si.
- Non, non, NON ! Je ne vais pas faire ça !
- Non ? Ah mais ok, d'accord : si tu veux faire chier, on va jouer. On ira au tribunal, on demandera un retrait de l'autorité parental, je serai son avocate, et je mettrai tout mon talent et toutes mes tripes à te démonter en petites pièces, j'y prendrai plaisir, et crois bien qu'avec ton train de vie à la con, t'as aucune chance. Mais si tu tiens absolument à subir des mois de procédures et un procès humiliant, on y va, pas de soucis. Je me réjouis d'avance !
- …
Oh putain. J'accuse le coup, et il est sacrément rude. Elle plaisante, elle ne peut pas être sérieuse, elles ne vont pas faire ça ! J'avais bien imaginé que les relations seraient tendues avec Alix, mais une situation pareille, non, ce n'était même pas envisageable. Pas du tout, du tout.
- María, écoute... On ne peut pas faire ça. Je ne peux pas imaginer ne plus voir Andreas. C'est mon fils !
- Bah va falloir te faire à l'idée. T'imaginais quoi, en fait ? Qu'elle achèterait la maison d'en face ?
- Je pensais qu'on pourrait discuter !
- Discuter ? Ça fait des mois qu'Alix essaie de discuter avec toi, et que tu esquives toute confrontation. Tu vas oser le lui reprocher maintenant ? T'es pas gonflé ?
Merde. Merde, merde, merde.
- Quand on fait le con, Oscar, on finit par le payer. Et faire le con avec sa meuf juriste et sa meilleure pote avocate en droit des familles, ça se paye très cher, crétin. J'espère que ta nouvelle pétasse elle n'y connaît rien en droit, ça te facilitera la tâche pour votre séparation.
- TA GUEULE !
Ce n'est même pas une vague de rage qui m'envahit, c'est plutôt l'appel du désespoir. Je cherche une bouée de sauvetage, mais je sais au fond de moi que la bataille est perdue. KO par surprise. KO par excès de connerie.
Elle me regarde avec arrogance. Elle ne se permet pas de sourire – elle pourrait, vu la situation. Elle me regarde simplement dépérir sous ses assauts.
- … J'ai envie de t'étriper, putain.
- Je te le déconseille. Déjà, c'est illégal. Manquerait plus que tu finisses en taule... ça nous faciliterait le boulot pour le dossier du p'tit, ceci dit.
- Oh, la ferme !
- Tu devrais plutôt me bichonner, mon p'tit père !
Je rêve ?! Elle se fout de ma gueule !
- Mais bien sûr ! Et tu veux pas un petit massage, là ?
- Tu veux pas que je sois ton alliée ?
- Mon alliée ? Tu viens de me promettre de me démonter en pièces, au propre comme au figuré !
- Oui. Et j'ai une autre promesse.
- Trop de promesses, María, trop de promesses...
- Je te promets de tout faire pour convaincre Alix de reprendre contact avec toi. Et d'y arriver. Pas demain, hein, pas la semaine prochaine, pas même le prochain mois... mais je te promets que je la ferai plier.
Je la dévisage. Qu'est-ce que c'est que cette arnaque ?
- Pourquoi tu ferais ça ?
- Pour le gosse. C'est pas pour toi, hein, j'en ai rien à foutre de ta gueule, Vázquez. J'en ai rien à foutre de te satisfaire, et ça me fait chier d'imaginer manipuler Alix sur quelque chose qu'elle ne souhaite à priori pas faire. Mais je sais aussi que, quand les parents ne sont pas dangereux, les gamins doivent pouvoir les voir. C'est quand même ce qu'il y a de mieux, et c'est ce pour quoi je milite depuis que je bosse. Toi, t'es un gros con, mais je sais que t'es un bon père avec Andreas ... Le môme, il mérite de voir son papa, et il le verra, j'en fais le serment. Juste... Tu me laisses faire, tu patientes.
Je reste silencieux. Dois-je la croire, dois-je la remercier alors même qu'elle vient de m'insulter pour les trente prochaines années en même pas dix minutes ?
Elle se redresse avec l'inspiration de celle qui veut clôturer son discours.
- Voilà ! Tu vois des objections ?
- Tu plaisantes ? Oui, bien évidemment que j'en vois, je ne vois que ça !
- Bien, alors on fait comme ça. Allez, Vázquez, on se revoit au tribunal pour signer notre accord à l'amiable.
- À l'amiable ?! Joder... Et tu te barres là-dessus ?
- Tu proposes quoi, un apéro ?
- Non, non.
- Tant mieux, j'ai déjà dépensé trop de mon précieux temps en ta minable compagnie.
- Putain, t'es insupportable.
- Adiós, Oscar. Et surtout, que te folle un pez * !
Elle s'en va sans autre forme de procès.
Putain.
Il y a des mots qui s'inscrivent en rouge, en gros, en lettres capitales à l'intérieur de vous. Il y a ceux qu'Alix avait prononcés il y a quelques années : « Oscar... Tu préfères te faire du mal plutôt que d'avouer ce que tu as sur le cœur ? ». Je lui avais promis de ne pas réitérer. J'ai fait pire. Je me suis fait mal, atrocement mal, et dans ma déroute, je l'ai blessée, cruellement blessée.
T'es con, Oscar, putain c'que t'es con.
J'observe la baie vitrée restée ouverte sur le départ de l'autre. La piscine est toujours là, paisible. J'ai désormais envie de m'y noyer. Je ne me suis jamais senti aussi seul de toute ma vie. Et je n'ai finalement pas envie de l'être.
______
"que te folle un pez" : expression espagnole signifiant littéralement "va te faire b*** par un poisson", autrement dit, va te faire foutre.
Annotations