Chapitre 19.3

4 minutes de lecture

un an plus tard...

Paris, Mai 2011.

 Un soleil de plomb illumine le site de Roland-Garros. Jouer les stars à déambuler entre les courts me rappelle étrangement une certaine soirée sur un certain bateau, et je réalise que je suis toujours aussi peu friande de ce genre de fioritures. Arnaud, en revanche, est dans son élément : lunettes de soleil, polo Lacoste et bermuda, il rayonne depuis deux heures que nous sommes ici. Non pas qu'il se passionne pour le tennis – je veux dire, quand on a passé quatre ans de sa vie avec Oscar, la barre est haute niveau passion – mais il s'y connaît suffisamment pour apprécier l'événement. Je l'observe en biais. Que dis-je, je le mate. J'ai du mal à réaliser que je me suis laissée entraîner dans une nouvelle histoire d'amour. Et pourtant... Ça y ressemble bien.

Quatre mois plus tôt...

 Je souffle sur mon café trop chaud. Je profite du peu de silence qui me reste. J'entends déjà ses pas rapides dans le couloir. Il ouvre ma porte à la volée et se dirige sans hésitations vers le bureau qui fait face au mien.

  • Bonjour, Alix.
  • Bonjour, Arnaud. Vous allez bien ?
  • Parfaitement. Je suis horriblement en retard, j'en suis désolé. Je ne m'attendais pas à ce que Nantes rivalise avec Paris sur la question des embouteillages.
  • Vous n'avez pas l'apanage des emmerdes, il faut croire.

 Il rit.

  • Vous êtes drôle, Alix. Au moins, on s'amuse bien avec vous. Je n'aurais pas parié dessus en venant en mission ici.
  • Ça sonne si moche que ça, Nantes ?
  • Oh, la Bretagne... La grisaille, la pluie, le vent, les odeurs de poisson et de vache... Bof. Je préfère vivre avec mon siècle.

 Eh bien, au moins c'est franc. Je ne lui retournerai pas le compliment sur l'humour, personnellement.

  • Heureusement qu'il y a de belles choses à voir pour égayer le séjour.
  • Ah ? Vous avez visité le centre-ville, un peu ?
  • De ?

 Il me regarde, interloqué.

  • Vous parliez de voir de belles choses ?

 Un sourire se dessine sur sa belle gueule. Oui, Arnaud Barthelemy possède une belle gueule, et il le sait. Il est plutôt grand, bien proportionné. Il a des cheveux d'un noir de jais dont la mèche est minutieusement travaillée, des yeux d'une espèce de vert-bleu qui interpelle forcément derrière ses lunettes à épaisses montures noires. Il porte un genre de bouc à la Robert Downey Junior qui frémit régulièrement en un sourire enjôleur. Il se pointe chaque matin en pantalon foncé, polos de marque et richelieus parfaitement cirés. Je suis certaine que rien n'est laissé au hasard dans son apparence. En face de lui, je suis rarement coiffée, sapée de travers, maquillée à la va-vite et mes chaussures n'ont jamais été lavées depuis deux ans que je les porte. Deux côtés de bureau, deux ambiances.

  • Non, je n'ai pas visité le centre-ville, non. Je ne suis pas très friand de patrimoine.
  • Ah...

 Il me fixe au-dessus de ses lunettes, le sourire toujours vissé au visage. Je ne sais pas tellement quoi lui dire. Enfin, il me dit sans sourciller.

  • Je parlais de vous, Alix.

 Ah. Ma doué ! Il me drague, ce con ?! Il baisse les yeux sur son ordinateur. Et il sourit toujours. Pourquoi sourit-il, au juste ? Comme une idiote, je ne réponds pas. Il semble se concentrer sur son écran, puis m'annonce solennellement :

  • Désolé, Alix. J'ai un call.

 Je le regarde quitter la pièce avec son I-phone dernier cri. «Un call». Pfeuh. Encore cinq jours à partager mon bureau riquiqui avec le commercial parisien play-boy, puis je retrouverai mon calme et ma solitude de travail pendant qu'il remontera à la capitale.

 Il revient au bout de vingt minutes. Il sourit encore. Il doit avoir mal aux zygomatiques à la fin de la journée.

  • On déjeune ensemble ce midi, Alix ?

 Eh bien, franc ET droit au but ! Je me laisse tomber dans le fond de mon siège.

  • Vous n'y allez pas par quatre chemins, Monsieur Barthelemy.
  • Ce n'est pas comme s'il ne me restait que quelques jours pour attirer votre attention avant de rentrer chez moi.
  • Au moins c'est clair : votre objectif n'ira pas au-delà de la fin de semaine. N'avez-vous pas peur que vos draps sentent le poisson et la vache, après mon passage ?

 Son sourire s'étire encore plus.

  • Oh oh ! Bien joué. Mais vous me plaisez vraiment, Alix. Qui vous a parlé d'en rester à un unique passage dans mes draps ?
  • Vous me donnez la fin de semaine comme dead-line !
  • Pour attirer votre attention, oui. Mais si j'y parviens, pourquoi s'arrêter là ?

 J'ouvre la bouche de stupéfaction. Non mais attends, il me propose quoi, là ?

  • Vous vivez à Paris, moi à Nantes.
  • Et alors ?

 Je secoue mon index en sa direction.

  • Non, non, non. Je ne suis pas une adepte des relations à distance. Disons... que ça ne me réussit pas.
  • Il ne faut pas jamais rester sur un échec.
  • Facile à dire..., grommellé-je. Vous ne savez pas ce qui...

 Je me coupe. Je ne vais quand même pas raconter ma vie à ce mec sorti de nulle part ?! Il tapote frénétiquement sur son clavier, puis, sans même lever les yeux, m'affirme :

  • Commençons par le déjeuner, Alix. Vous me raconterez tout ça. Je vous laisse choisir le restaurant, c'est ma boite qui paye. Et pitié, épargnez-nous les galettes saucisses.


bien sûr qu'on a perdu la guerre
bien sûr que je le reconnais
bien sûr la vie nous mets le compte,
bien sûr la vie c'est une enclume

bien sûr que j´aimerais bien te montrer
qn'ailleurs on n'ferait pas que fuir
et bien sûr j'ai pas les moyens
et quand les poches sont vides alors allons rire

ne partons pas fâchés
ça n'en vaut pas la peine

Ne partons pas fâchés - Raphaël, 2005

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