22.3

7 minutes de lecture

 C'est vers vingt-trois heures que le hérisson a fermé les paupières. Oscar me rejoint dans la cuisine alors que je termine de ranger les vestiges de la soirée. Masha apparaît de nulle part et l'enlace tendrement, ce qui a l'air de le rendre mal à l'aise. Je suppose qu'il n'aime pas les démonstrations d'affection devant moi.

  • Tu viens te baigner, Oscar ?
  • Euh... Maintenant ?
  • Bien sûr ! Il fait encore doux, et ta terrasse est éclairée ! Qu'est-ce qui nous en empêche ?
  • Hum... Attends, j'aimerais discuter un peu avec Alix, et on verra ensuite ?

 Pas fâchée, elle lui adresse un clin d’œil et répond :

  • Je t'attends pour le bain de minuit, alors...

 Oscar rougit mais son discret sourire ne m'échappe pas. J'attends que sa belle quitte la pièce pour briser le silence.

  • Ça se passe bien, avec Masha, on dirait ?
  • Euh... Oui. Très bien. Tranquillement.
  • C'est bien. Tant mieux.
  • Ouai.
  • Andreas l'adore.
  • … Tu crois ?
  • Bah, il n'est pas aussi sauvage avec elle comme on a pu le voir avec bien d'autres inconnus...

 Il regarde dans le vide, semblant perdu dans de mystérieuses pensées dont seul Oscar a le secret.

  • Hum, Oscar ?
  • Oui ? Euh, c'est vrai, tu as raison. Ils se sont bien entendus pendant les vacances.
  • Tu es d'un laconisme...
  • Que veux-tu que je te dise ?
  • Je ne sais pas. T'es fermé. J'ai fait quelque chose de mal ?
  • Non, Alix ! Pourquoi tu dis ça ?
  • Écoute, je sais pas. Tu vires Masha en lui expliquant que tu souhaites me parler, nous sommes donc tous les deux et t'es pas capable d'aligner des phrases de plus de quatre mots maintenant ?

 Il paraît étonné. Je lève les yeux au ciel : plus le temps passe, moins je comprends Oscar. J'ai l'impression qu'il m'est de plus en plus étranger.

  • En fait, je voulais parler d'Andreas, pas de Masha.
  • Andreas doit être notre unique sujet de conversation ?
  • Non, j'ai pas dit ça !
  • Alors quoi ? Nos vies privées sont taboues ou quoi ?

 Il soupire d'agacement.

  • Y'a quelques années, tu m'as clairement dit que ce n'était pas la peine que je m'intéresse à toi, alors écoute, j'ai tracé une belle ligne rouge, et je respecte ta demande, Alix.

 Oh. BIM, la réplique est bien placée. Je perds un peu de ma prestance, je crois. Lui, son agacement est vite balayé. Il secoue la tête et s'excuse :

  • C'était un peu musclé, désolé, je... Hum. Bon. Oui, ça se passe bien avec Masha. C'est une fille très sympa, intéressante et joyeuse, je passe de très bons moments avec elle, et quand elle a rencontré ma famille il y a quelques semaines, ils ont eu l'air enchantés. Je suis content de tout ça, j'espère que ça va durer. Voilà.
  • Bien. Tant mieux pour toi. Tu restes prudent, on dirait.
  • Oui. Vois-tu, tu vas être surprise d'apprendre cela mais, je ne suis pas du genre à foncer tête baissée.

 Je pouffe de rire. Il m'évalue un moment, puis rigole à son tour. Il semble se détendre un peu, même, il se mordille la joue : ça faisait bien longtemps que je ne l'avait pas vu faire ça ! Il baisse la tête et me dit d'une voix peu assurée :

  • J'ai connu quelques déconvenues qui m'ont un peu échaudé.

 Alors là ! Nous sommes subitement dans le très intime, et je ne m'y attendais pas du tout, vu l'ambiance réfractaire dans laquelle cette conversation a démarré. J'attends qu'il remonte les yeux vers moi pour lui adresser un sourire que j'espère amical.

  • En France, on dit qu'après la pluie vient le beau temps.
  • Ah ? Ça concerne la météo bretonne, ou autre chose ?

 Je rigole de nouveau. Ça me fait plaisir de retrouver son humour pince sans rire, tiens !

  • Ça concerne beaucoup de choses.

 Il hoche la tête. Un petit silence nous enveloppe, avant qu'il n'ose :

  • Et... toi ? Comment va ton beau temps ?
  • Ça va.
  • … Oh, waouh. Pas du tout laconique.

 Je ne peux m'empêcher de sourire, et tripote le torchon que j'ai à portée de main.

  • En fait... Arnaud m'a demandé de venir vivre avec lui à Paris.

 Il arrondit les yeux.

  • Toi ? À Paris ? Bah dis donc...
  • Ouai... Hum, j'ai pas dit oui, hein. Je réfléchis.
  • Toi ? Tu réfléchis ? Bah dis donc !
  • HEY !

 Il rigole, cette andouille ! Je réplique mollement en lui lançant le torchon au visage, qu'il attrape sans difficulté. Je suis quand même contrariée : il ne lui a pas fallu deux secondes pour exprimer à voix haute et claire ce qui me chafouine. Oui, je réfléchis. Enfin, j'essaie, mais en réalité, je n'y arrive pas.

  • Plus sérieusement... Je t'ai connue plus spontanée dans tes prises de décisions. Tu réfléchis à quoi ?
  • Bah ! C'est quand même un choix qui implique beaucoup de changements... Je n'aurais plus María ni mes parents à proximité. Je déracinerais encore Andreas. Peut-être que je devrais lâcher mon travail, je ne sais pas s'ils accepteraient un employé en télétravail à temps plein. Et puis, la vie parisienne... C'est loin de la mer, loin de la Bretagne, loin de la nature... Loin de la sérénité, j'ai l'impression.

 Il m'écoute attentivement. Il ne laisse pas transparaître d'émotion.

  • Bon, voilà, tu vois... ça se réfléchit.
  • Oui.
  • Ça t'inspire quelque chose ?, tenté-je.
  • Ça serait plus simple s'il venait à Nantes, non ?
  • Il refuse catégoriquement. C'est inenvisageable pour lui de vivre ailleurs qu'à Paris.
  • Ok.
  • Il en a le droit, hein !
  • Oui, oui. Je ne critique pas ça. Je crois qu'en matière de « refuser catégoriquement de changer de style de vie », je n'ai de leçon à donner à personne.
  • Ah, ça...

 Il plisse les yeux, semblant réfléchir. Puis, il lance prudemment :

  • Écoute... Je ne suis pas certain d'avoir un avis, Alix. C'est ta vie, c'est toi qui sais mieux que personne. Ce que ça m'inspire, c'est...

 Il hésite. J'ouvre la main vers lui pour l'inciter à continuer. Peut-être que ça va être désagréable. Peut-être que ça va être encourageant. J'en sais rien, mais j'ai besoin d'aide dans ma réflexion, alors, je prends ce qu'il y a à prendre.

  • Je me demande si toi, tu es prête à te plier de nouveau à un homme qui te demande de te sacrifier pour lui ?

 Il semble craindre ma réaction. De réaction, je n'en ai aucune, pourtant. Je suis stupéfaite de sa question. Stupéfaite de la clairvoyance de son propos. Une seule, une seule foutue question, et il soulève tout ce qui m'empêche de réfléchir. Il ne s'agit pas de changer de ville – je l'ai déjà fait par le passé – ni d'embarquer Andreas avec moi – je l'ai déjà fait aussi – ni même d'envisager un nouveau travail – je l'ai fait et refait. Il s'agit de moi.

 Il penche la tête sur le côté. Je suis déstabilisée, et ça ne lui échappe pas. Finalement, il détourne le regard, se frotte la joue, semble chercher une issue à ce silence gênant.

  • Bon, euh... T'es pas obligée de lui répondre rapidement, j'imagine ?
  • Non.
  • Alors, probablement que tu devrais te laisser du temps, et tu verras, des réponses se dessineront petit à petit.
  • Peut-être.
  • Et je sais qu'au final, tu sauras prendre les bonnes décisions.
  • Sûrement.
  • Ne t'en fais pas pour Andreas. Si tu es sûre de toi, il ira bien.

 Je hoche la tête. Cette phrase s'inscrit en moi comme un mantra. « Si tu es sûre de toi, il ira bien ». Je ne suis sûre d'une seule chose : Paris ne sera pas dans un futur proche.

 Le week-end d'après, j'avais demandé à Arnaud des explications quant à cette histoire de crème solaire. Il n'avait pas nié, au contraire. Je lui avais demandé à ce qu'il évite, à l'avenir, de tartiner des dos avec des crèmes. Il m'avait répliqué « Comme tu le dis si bien, Alix : ne m'interdis rien, je ne t'appartiens pas ». J'estimais que côtoyer Oscar n'était absolument pas du même ressort d'indécence que d'aller tripoter le corps des autres, mais de son point de vue à lui, j'avais moi-même instauré des largesses à la liberté dans notre couple, et je ne pouvais pas me permettre de m'en plaindre maintenant. « Viens à Paris, et tu pourras surveiller tous mes faits et gestes ». J'avais répliqué que non, mon but n'avait jamais été de surveiller quoi que ce soit, que j'avais envie d'avoir confiance. « Bah aie confiance, alors ». Lorsque, dans la foulée, j'avais dit que je remisais le sujet déménagement à plus tard, parce que j'avais besoin de recul pour réfléchir à tout ça, il s'était fortement agacé. « T'es chiante, Alix. Tout doit toujours aller uniquement dans ton sens. T'as aucune conscience des autres, t'en as rien à foutre, t'es le centre de ton propre monde ». C'étaient des mots que mes parents m'avaient dit tellement de fois. L'entendre de sa bouche à lui, ça m'avait profondément blessée.

 Peut-être que c'était vrai. Peut-être que depuis trop longtemps, je ne pensais qu'à moi. Peut-être que mon grain de folie, c'était marrant qu'au début, mais qu'effectivement, comme l'avait dit ma mère, dans le temps, c'est lassant. Mes parents en avaient marre, Oscar en avait eu marre, María commençait à me le reprocher. Et maintenant, Arnaud en avait marre. Peut-être qu'à trente-et-un ans, il était largement temps de prendre du plomb dans la tête et de se ranger.

______

NB : Et voilà, c'est la fin des chapitres totalement remodelés où les buts étaient de présenter Masha et de voir évoluer la relation entre Alix et Arnaud. Arrivent 2 gros chapitres hyper importants que j'ai hâte de vous faire découvrir !

Annotations

Vous aimez lire Anaëlle N ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0