Chapitre 23.1

6 minutes de lecture

18 mois plus tard...

Janvier 2014.

  « de : Alix
Salut. Je sais que vous êtes censé rentrer après-demain, mais peux-tu annuler et garder Andreas chez toi, exceptionnellement ? Merci d'avance. »

  « de: Oscar
Salut. Bien sûr, je vais m'arranger, mais il n'est pas censé reprendre l'école lundi ? Qu'est-ce qui se passe ? »

  « de : Alix
Je ne me sens pas très bien et María n'est pas disponible, elle est partie cinq semaines en road-trip en Asie avec sa copine. Je préviendrai l'école de son absence. »

  « de : Oscar
Mince, pas trop grave j'espère ? Je le garde sans soucis. J'ai des heures supp à écouler, dis-moi combien de jours je dois poser. »

  « de : Alix
Deux semaines. »

  « de : Oscar
Deux semaines ?! Mais qu'est-ce qui t'arrive ? »

  « de: Oscar
Excuse-moi, mais tu n'as pas répondu à mon message de ce matin... Tout va bien ? »

  « de: Oscar
? »

  « Oscar
*3 appels manqués* »

Nantes.

Dans la tête d'Oscar.

 Je remercie le taxi, le paye, et descends sur le trottoir avec Andreas et nos sacs. J'avise l'immeuble devant moi. L'adresse d'Alix, je la connaissais, car nous nous étions échangé des courriers parfois, mais je n'ai jamais mis les pieds dans son appartement. Je ne suis même plus revenu à Nantes depuis notre rupture. Je remonte le col du manteau d'Andreas : bon sang, il fait un froid polaire, ici !

  • Allez, viens mon grand, on y va.
  • Elle va être surprise, Maman, hein !
  • Oui... ça, oui.

 C'est certain que nous voir débarquer sans crier gare alors qu'elle nous a explicitement demandé de rester en Espagne ces quinze prochains jours, c'est une surprise du niveau de l'arroseur arrosé, là.

 Je me plante devant l'interphone, et fouille parmi les noms. Ah « Lagadec Delgado ». Je sonne. J'attends, mais ne reçois pas de réponse. Je re-sonne. Toujours rien. Bon. Peut-être n'est-elle pas chez elle, après tout ? Peut-être est-elle restée à Paris chez son mec ? Peut-être, puisqu'elle ne se sent apparemment pas bien du tout, a-t-il proposé de la bichonner durant quinze jours afin de la remettre sur pieds ? J'en sais rien... Son manque de réponses m'angoisse. J'ai un mauvais pressentiment. Je ne comprends pas cette très soudaine impossibilité de récupérer Andreas, ça ne ressemble pas du tout à Alix.

 Je sautille sur place. Putain, en plus du froid, y'a un vent glacial ! J'ouvre le bras et colle Andreas à moi, faisant rempart de mon corps. Bon, bon, bon, qu'est-ce que je vais faire ? Attendre qu'un occupant ouvre la porte ? Je sonne chez un voisin ? Ils ne vont pas m'ouvrir, personne ne me connaît. Peut-être que si c'est Andreas qui le demande... Il doit bien être connu, lui, depuis six ans qu'elles vivent ici !

  • Papá, on gèle, pourquoi t'ouvres pas la porte ?
  • J'aimerais bien mais je ne connais pas le code.
  • Moi je le connais.

 Ah. Ça, je ne l'espérais même pas, tiens !

  • Oh, super ! Vas-y, dis-moi.

 Il me regarde avec méfiance.

  • Mamá dit qu'il faut le dire à personne...
  • Euh... Oui, alors c'est vrai, mais moi quand même, je suis ton père, tu peux me le dire !
  • Non puisque t'habites pas dans l'immeuble.
  • Mais...

 Ah bah merde, alors. Je m'accroupis.

  • Andreas, écoute-moi. Tu sais pourquoi Mamá elle a dit ça ?
  • Bah oui ! Pour pas que des voleurs rentrent !
  • Tout à fait ! Et moi alors, je ne suis pas un voleur, Andreas !
  • Bah, non !
  • Bien ! Bon, du coup... Tu peux me dire le code ?

 Il réfléchit. Désobéir à sa mère, ça a toujours été compliqué pour Andreas. Il a un grand respect pour elle et María, et ne voudrait jamais les trahir. Là, ce que je lui demande lui coûte.

  • Tu peux le taper toi-même, si tu préfères ne pas me le dire. Je ne regarderai pas.

 Il attend encore un peu, puis s'approche du boîtier et compose un ensemble de chiffres. La porte s'ouvre.

  • Ah ! Merci, Andreas.
  • Mamá va me gronder ?
  • Non, absolument pas, non. Allez, viens, on rentre à l'abri !

 Je récupère nos sacs, et avance dans l'entrée. Andreas se dirige naturellement vers l'escalier, alors, je le suis. Nous montons au deuxième, puis pénétrons dans un couloir qui révèle quatre portes. Andreas se stoppe. Il sourit.

  • On joue à un jeu ?

 Hum, c'est pas vraiment le moment, m'enfin...

  • Quel jeu ?
  • Le jeu : « devine quelle porte c'est ! »

 Il rigole, visiblement ravi de son idée.

  • Euh, non, Andreas, on va jouer à un autre jeu plus tard si tu veux, mais là, tu vas m'indiquer la porte et...
  • Nan ! Devine !

Joder. Je me retiens de pester. On répète à tire-larigo que ce gamin me ressemble mais moi, je vois l'héritage d'Alix Lagadec partout en lui !

  • Andreas... Bon, bon... Euh, tu me donnes un indice, peut-être ?
  • Pose des questions, je réponds que oui ou non, et t'as que trois chances !

 "Tu n'as que trois chances" quand on se trouve devant quatre choix, c'est assez généreux en vérité, m'enfin, je me retiens de lui faire la remarque. Je l'observe. Au tennis, l'observation de l'adversaire est un art délicat, mais indispensable. Si vous êtes suffisamment attentif, vous verrez ses coups d’œil, l'orientation de son pied, l'ouverture de son bras, et vous aurez une idée d'où est-ce qu'il compte envoyer la balle. J'étais particulièrement doué pour anticiper les services de mes adversaires, ce qui les faisait souvent rager. Là, ce n'est même pas un match : c'est un gosse de sept ans et demi qui improvise un gag. Je n'aurais besoin que d'une seule question.

  • Est-ce que le tapis devant son palier est rouge ?

 Il ouvre les yeux de surprise, puis les dirige vers le couloir. Il fait exprès d'observer chaque porte. Il s'arrête un poil plus longtemps devant la première à droite. Bingo.

  • Euh, non !
  • Ok, c'est celle-ci !
  • HAN ! Waouh ! Mais comment t'as fait ?!
  • Ah ah ! Ton père est très doué, Andreas !
  • Tu fais de la magie, comme Papou ?

 Il est pétri d'admiration, et je me sens un peu fraudeur, sur ce coup.

  • On peut dire ça. Un jour, je te révélerai mes secrets.
  • Maintenant !
  • Non, pas maintenant, non.

 Je me plante devant la porte en question, inspire, et frappe trois fois. Pas de réponse. Bon. Elle doit réellement être absente, finalement. Je n'avais pas vraiment envisagé cela, et pour le coup, je ne sais pas ce que je vais faire, maintenant. Je suis à Nantes, un dimanche soir, avec mon gamin, on a nulle part où loger et sa mère fait silence radio depuis vingt-quatre heures après un message très étrange... Y'a pas à dire, Oscar, t'es largement moins doué qu'Alix dans l'improvisation, hein ! Et dire que l'autre timbrée est à l'autre bout du monde, pile quand on a besoin d'elle bien entendu ! Je secoue la tête d'agacement.

  • Tu veux mes clés ?

Madre de dios. Je regarde Andreas. Il me dévisage comme si j'étais le dernier des idiots.

  • Tu as les clés de chez ta mère sur toi ?
  • Oui. Elle a rangé des clés dans le fond de mon sac, comme ça si elle se fait piquer les siennes à l'aéroport, elle a mon double.
  • Depuis quand ta mère est aussi prévoyante ?!
  • Je sais pas ?

 Alix réserve des surprises même là où on ne l'attendrait vraiment pas, hein. Je m'empare de son sac, farfouille.

  • Dans la petite poche.
  • Ah, oui. Voilà.

 Enfin, je déverrouille cette foutue porte, et l'ouvre doucement. Elle donne sur un espace salon plongé dans le noir. Cependant, j'entends du bruit. Du bruit pas très rassurant, même...

  • Alix ? Tu es là ?

 Une lumière m'attire, après un angle qui semble donner sur un couloir. J'entends le son d'une chasse d'eau. Je pose ma main sur l'épaule d'Andreas.

  • Va t’asseoir sur le canapé, s'il te plaît.
  • Non, moi aussi je veux lui faire la surprise !
  • Andreas, ne discute pas ! Va t'asseoir.

 Ce n'est pas souvent que j'emploie un ton ferme avec lui. Il me regarde avec surprise, puis part en boudant à grand renfort de « Nul, Papá », mais je n'en ai que faire. J'entends un râle plaintif en direction de la lumière. Je suis la voix.

  • Alix ?

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