L'incendie

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L'atmosphère est paisible et la lumière naturelle parfaitement reposante. L'air n'est ni trop chaud, ni trop froid. Telle une caresse, la douce brise effleure mon visage. Je tiens la main de ma mère et nous longeons le trottoir d'un paisible quartier agréablement aménagé. Chacune des maisons se ressemble avec, en guise de devantures, leurs pelouses tondues, uniformes, où pas une herbe ne surpasse l'autre, ne serait-ce que d'un millimètre. Chaque personne que l'on croise nous accueille sourire aux lèvres. Nous ne nous attardons pas et poursuivons notre chemin, ma petite main serrée dans celle de ma mère devenue moite, due au contact prolongé. Nous tournons en fin de compte sur notre gauche, à l'angle d'une maison clôturée par un haut grillage. Là où une forte odeur de brûlé vient me piquer le nez. Une fumée se disperse rapidement autour de nous et je peine soudain à respirer. Arrive ensuite une chaleur étouffante, puis une maison qui s'embrase, là, face à nous. De mes maigres forces, je tire ma mère en avant, afin de porter secours aux éventuelles personnes prises au piège dans l'incendie. Elle ne bouge pourtant pas et se contente juste de fixer le désastre. Surpris par sa non réactivité, je me tourne vers elle et la contemple. Ses yeux sont tristes, si tristes :

— On ne voit que ce que nous voulons voir.

— Mais, maman, je ne comprends pas, réponds-je apeuré.

— Lis-les ces signes Jamie chéri, rajoute-t-elle. Maintenant vas-y ! me crie-t-elle en lâchant ma main.

Je cours vers la maison à en perdre haleine, je suis tout proche...

Je sursaute dans mon lit. J'ouvre un œil et constate que le soleil est en train de se coucher. Anesthésié par la sieste, je tâte ma table de chevet à la recherche de ma montre : dix-huit heures cinquante-neuf.

Bullocks ! Je ne vais plus me rendormir ce soir.

Je suis encore dans le coaltar quand je m'extirpe du lit pour me diriger vers la salle de bains, grande d'environ 10m2. La pièce d'eau se compose d'une douche ouverte design avec une seule vitre, carrelée de couleur noire ; d'une baignoire qui se tient au milieu de la pièce et de deux lavabos posés sur un meuble en bois. Je me passe de l'eau sur le visage et m'examine dans le miroir. J'ai les traits tirés par la fatigue. Revoir ma mère de façon si réaliste, me procure une étrange sensation, voire des frissons. Même sa voix n'a pas changé, alors que je me remémore chacun de ses mots. De quelle signification me parlait-elle ? L'incendie ? Je crois me rappeler qu'il désigne un changement.

Merci le rêve, tu ne m'apprends rien. Nouvelle ville, nouveau travail, nouvelle amante. Si ça ce n'est pas du changement !

Mon ventre se met à gargouiller pour m'aviser qu'il est temps que je pense à me nourrir. Je commande des sushis. J'entends mon portable vibrer : c'est Simon qui m'envoie un message :

« Bien arrivé, Casanova. J'espère que tu te souviendras encore longtemps de tes trente-huit ans et que, passé ce premier cap, tu prendras plaisir à te taper Moïra Kriegerman. Souviens-toi comme tu bandais sur elle il y a vingt ans. Le destin, mec. Les signes, les significations bla bla. Fonce, ta bite en a besoin.

PS : ton vieux est passé encore à la galerie disant qu'il fallait que tu l'appelles, c'était important. Je t'embrasse sur une de tes fesses préférée : la droite ? Pour plus de plaisir sur les deux, enfoiré. Je t'appelle bientôt. »

Je lui réponds du tac au tac :

« Merci du message. Non sans façon, t'embrasses mal, c'est ta mère qui me l'a dit. Bye.

— Va te faire enculer »

Je repose mon portable et éclate de rire alors que je prends peu à peu conscience du message que m'a fait parvenir Simon.

Mon père ? Qu'avait-il de si important à me dire après un an sans nouvelles ? Je décide de composer son numéro et de l'appeler. Il répond à la troisième sonnerie. Diable !

— James.

— Robert.

— Je suis passé plusieurs fois à la galerie.

— Je n'aurais pas appelé sinon. Que veux-tu pour déranger toute l'équipe ?

— Tu ne devrais pas le prendre sur ce ton, tu es toujours mon fils, dit-il d'un ton sec.

— Que veux-tu ?

— Te parler. Savoir comment tu vas ? Tu ne m'as plus donné de nouvelles après la mort de Lauren, dit-il avec une voix faussement penaude.

— Parce qu'on n'a rien à se dire. Le courtage, la bourse le Footsie je n'en ai rien à branler. Et à ce que je sache, rien de ce qui se passe à Soho ne t'intéresse non plus, lancé-je, froidement, tandis que mes doigts pianotent sur la table du salon.

— Que fais-tu à Paris ?

— Je travaille.

— Pour la galerie ?

— Non.

— Tu as un petit frère, James, me lance-t-il de but en blanc.

— Pardon ?

— Emma a accouché il y a deux semaines d'un petit garçon : Jacob.

— C'est pour ça que tu m'appelles ?

— C'est tout de même ton frère, je voulais te tenir au courant.

— Si je ne te considère plus comme mon père, ce petit n'est pas non plus mon frère. Excuse-moi, mais j'ai à faire. Que ton enfant se porte bien et que son géniteur ne l'élève pas. Il aura un meilleur avenir comme ça. Au revoir Robert.

Choqué par cette annonce, je coupe court à la discussion et lui raccroche au nez. Un petit frère ? Avec trente-huit ans d'écart ? Je suis dépité et je serre les dents alors que des larmes me montent aux yeux et embuent ma vision. Je pense à maman qui aurait été anéantie. Cependant, cet enfant est là parce que sa femme n'est plus de ce monde. L'aurait-il fait s'il avait encore été avec elle ? Maman. Que voulais-tu me dire dans le rêve ? Un changement ?

Mon portable vibre de nouveau. Un message de mon père :

« J'espère qu'un jour tu me pardonneras. Ton père, Robert Taylor. »

Impossible de retenir cette rebelle perle liquide qui s'écoule le long de ma joue.

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