Ronger par les maux
Depuis cette étroite intimité dans la piscine, cette envie lubrique de la voir nue sur moi me hante du matin au soir. Ses jambes dénudées, longues et finement musclées dans les couloirs me font de plus en plus fantasmer. Un postérieur relevé haut et moulé dans ses vêtements courts est un appel à mes fessées. Charlie est une femme avec des formes, hanches et poitrine généreuses, aux seins ronds et aux tétons roses. Une belle déesse aux courbes voluptueuses qui accepte son corps tel qu'il est. Je me suis mis à revivre notre soirée chaque nuit, étape par étape. J'arrive à sentir ma langue sur sa chair, sa peau sous mes caresses et elle contre moi.
Dès ce rapprochement, elle aussi passe plus de temps à venir me parler à la fin du cours, préférant donner son avis sur tel personnage biblique ou sur la représentation symbolique des dieux et déesses en peinture, de l'interprétation des couleurs ou du codage. Mais où a-t-elle appris tout ça ? Son éloquence, sa logique, sa culture sans limites et son intelligence ne font qu'accroître mon désir de l'embrasser.
Les rumeurs qui nous entourent lui importent peu et je m'éprends tellement de ses discours que tout le reste me passe au-dessus de la tête. Parfois, je me surprends à ne pas l'écouter et la fixer de mes yeux qui dévorent les siens, clairs et brillants à la lumière. À détailler chaque tache de rousseur sous son regard et son nez romain, recourbé jusqu'à la pointe. De sa bouche où je peux voir ses fines fissures, la rendant encore plus désirable. Ses mains dansent pendant qu'elle parle et son corps dialogue avec moi. Quand elle s'assoit, elle a une manière coutumière de caresser ses cuisses jusqu'à l'intérieur, simplement pour réchauffer ses mains. Anodin ? Oui. Pour moi, une invitation à accompagner son geste.
Novembre est un mois de décision importante : celle de l'arrêt définitif des soirées du samedi soir avec Frank et ses amis. Je suis conscient que cela ne règle en rien mon problème : l'obsession que j'ai envers Charlène Mahé.
Mes tableaux étudiés, lors de nos groupes de TD et de cours magistraux, ne représentent que des femmes désirables et que des connotations de luxure, telles que j'imagine mon énigmatique Vénus de vingt et un ans.
La seule personne que j'ai continué à voir durant un temps fut ma voisine. De cette résolution prise, j'ai dû reconnaître que je ne ressentais plus aucun plaisir à aller la voir et pouvoir donner une excuse à son infidélité. De la sorte, je suis tombé sur son mari un soir alors que nous discutions, peu avant d'entamer nos activités illicites. Pris la main dans le sac, j'ai dû inventer un manque d'ingrédients pour ma cuisine. Ma soi-disant femme fantôme - que j'ai également créée de toute pièce - était bien trop timide pour venir par elle-même. Évidemment après cette effroyable situation, il était clair que plus rien ne devait continuer entre Moïra et moi.
Les semaines s'ensuivent sous un automne frais et pluvieux, jusqu'à ce que n'arrive ce jeudi matin où le soleil perce le voile nuageux et réchauffe les quelques étudiants venus se tempérer dans le jardin du Luxembourg. Je prends l'initiative de me poser sur un banc en attendant le prochain cours pour dessiner, cigarette à la bouche. Ça calme mes instincts primaires. Néanmoins, une voix grave et cassée m'interrompt :
— Me dessinez-vous ? s'amuse mon intrépide étudiante. Ce serait plus réaliste si vous la représentiez en habits d'Ève.
Je ris. Elle se place près de moi, laissant apparaître, à travers son manteau, une mini-jupe noire avec des collants à motifs de la même couleur et un pull court assorti. Je détourne le regard. Il faut que je me concentre sur cette esquisse.
— Ça ne vous gêne pas si je lis près de vous ? demande-t-elle en mettant ses cheveux de côté.
— Du tout, certifié-je, déconcentré.
Elle croise ses jambes et masse sa nuque avec sa main gauche. Je ne peux décrocher mon regard de ce sensuel geste qu'elle effectue.
Doucement, elle se tourne vers moi et soutient mon regard. Ses pupilles dilatées plongent dans les miennes. On y est. Après trois mois, c'est aujourd'hui que tout va recommencer.
Je le sais. Elle le sait.
Mon pouls s'accélère, la paume moite de ma main tenant mon crayon, le laisse tomber sur le support où mon croquis est resté inachevé. Elle regarde lentement l'action et passe sa langue sur sa lèvre inférieure. Je prends mon courage à deux mains et jette un coup d'œil aux étudiants qui nous entourent. Personne ne fait attention à nous. Je jette ma cigarette éteinte dans la poubelle qui se tient à ma gauche et lui demande, d'un ton détaché :
— Au fait, j'ai oublié de vous rendre le dernier devoir. Voulez-vous que je vous le rende tout de suite ?
— Avec grand plaisir, professeur.
Mon titre d'enseignant - venant de sa bouche - prend une tournure attrayante.
Je me lève et l'empoigne pour l'inciter à me suivre. Elle ne bronche pas, ferme son livre et m'emboîte le pas. Elle est un peu en retrait derrière moi et nous marchons ainsi jusqu'à l'Université. Je lui administre quelques regards discrets. Elle me fait les yeux doux. J'ai envie de la plaquer là maintenant et de l'embrasser tellement elle est belle. Érotiquement belle.
À destination, j'ouvre la porte de mon bureau, l'invite à entrer, puis referme derrière elle en prenant soin de verrouiller. Elle se tient devant moi. Rien ne laisse penser qu'elle hésite. Je m'avance vers elle. Elle ne recule pas.
— Êtes-vous sûre de ce que vous voulez Charlie ?
— Et vous ?
— La question est de savoir si vous êtes prête à faire ce qu'on va faire ici là dans ce bureau ?
Pour toute réponse, elle pose ses deux mains sur ma ceinture et commence à l'enlever. Je plonge mon regard dans le sien et mes poils se dressent, pris par de violents frissons. Je m'approche pour l'embrasser mais elle tourne la tête sans quitter ses mains effleurant mon bas-ventre.
— Vous voulez à nouveau sans tendresse ni délicatesse ?
— C'est à prendre ou à laisser, déclare-t-elle.
Je lui enlève les mains gentiment pour lui montrer que ce que je veux n'est pas simplement coucher avec elle mais aussi l'embrasser. Savoir que ce que nous ressentons dépasse le sexe. De la passion ? Je ne sais pas, mais un désir qui surpasse toutes les relations que j'ai pu avoir :
— Alors ça sera sans.
Et puis quoi encore ! Je suis l'homme. À moi d'imposer aussi quelques règles. Mais à ma grande surprise, elle déverrouille la porte et pose une main sur la poignée. Je claque d'une main ferme l'ouverture du seul accès présent dans cette pièce et reverrouille.
— D'accord. Sans vous embrasser.
Perdu.
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