Partie III - Les lèvres

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Les lèvres rouges et pulpeuses d'une femme sont jugées attirantes, non seulement parce qu'elles évoquent le gonflement de ses parties génitales pendant l'excitation sexuelle, mais surtout parce que plus la femme produit d'œstrogènes, plus ses lèvres sont gonflées et plus elle se révélerait fertile.

3.

Étant d'abord une fête païenne, le 25 décembre était la naissance de Mithra, le soleil Invaincu - le Solstice d'Hiver -, ce qui fut une cause de renoncement de la part des chrétiens au début du Christianisme en raison de traditions juives, qui refusaient de fêter les naissances (les Témoins de Jéhovah sont de bons exemples de nos jours). Puis, lorsque Constantin, au Concile de Nicée, et l'Église décidèrent que Jésus serait divin, ils recherchèrent dans les évangiles sa date de naissance : il eut le 6 janvier, le 25 mars, le 10 avril... une rumeur disait qu'il serait né en été. Considérant que la venue du Messie était comme un lever de soleil, il fut décidé qu'il serait né lors du 25 décembre, jour dans l'année où le Soleil reprend son ascension. Enfin, Noël vint à se concrétiser pendant l'époque médiévale, entouré de ses « mystères » avec l'adoration des bergers et des mages. Il faudra attendre le XIXème siècle pour que le Père Noël apparaisse aux États-Unis, s'aidant de la légende de Saint Nicolas de Myre, un vieux monsieur qui offrirait de splendides cadeaux aux enfants. Depuis, nous fêtons Noël, la naissance de Jésus pour les croyants. Pour le reste, c’est devenu une fête familiale.

Se déroulent, pour moi, des vacances joyeuses au sein d'une Londres, éclairée de mille feux chatoyants, de rues ornées de lumières chaleureuses, de trottoirs enneigés et d'un grand sapin de Noël dominant Trafalgar Square de toute son immensité.

Le 24 décembre au soir, nous sommes invités avec Sasha chez les Williams, où on a eu droit à tout l'amour d'une mère qu'est celle de Simon, nous empiffrant de toutes sortes de plats délicieux et de desserts à prendre douze kilos en une soirée. De rires jusqu'aux larmes, grâce aux blagues salaces du père Williams.

Le 25 décembre au déjeuner, cette fois-ci, ce sont Simon et moi qui sommes invités chez les Davis, dont le regard noir et dur du père me familiarise, soudainement, à l'ambiance du statut de « ex » petit ami. Simon a ricané bêtement face à mon mutisme gênant.

Enfin, le soir du jour de Noël, la grande fratrie - que nous avons créée depuis tant d'années - s'est jointe au restaurant de Paul. Betsy et lui, avec les enfants, puis notre couple branché londonien et les trois mousquetaires que nous formons, Simon, Sasha et moi-même. Hannah est partie en Colombie chez sa famille. Nous avons festoyé dans la bonne humeur, sonorisée par nos éclats de rire, et dans une animation de scènes hilarantes quand l'alcool a pris effet autour de cette table, jonchée d'assiettes remplies d'un festin sans égal, puis de bouteilles de vin débouchonnées dès qu'elles y ont été posées.

Toutes les tables ont été déplacées, la nôtre trônant au beau milieu du restaurant. Nos cadeaux s'éparpillent un peu partout dans la pièce autour de nous. Nous donnons nos présents en tout anonymat, - un pacte entre nous pour éviter de comparer les gestes de chacun - juste les prénoms sont inscrits sur le cadeau. Quand nous nous sommes offerts ces précieuses attentions, les hommes exaltèrent en s'envoyant des vannes tels des snipers. Quant aux femmes, rougissantes, elles ont embrassé chacun d'entre nous, en s'exclamant « qu'il ne fallait pas ». J'ai eu droit à un magnifique appareil photo comportant une caméra portable professionnelle en Full HD.

Ce remarquable cadeau est devenu le cauchemar de tous car j’ai passé le reste de mes vacances à photographier tout et n'importe quoi. Surtout n'importe qui ! J'ai dû prendre une bonne centaine de photos de Simon.

— J'ai l'impression d'être une putain de star et toi un fichu paparazzi qui me colle au cul, espèce de taré. Arrête-moi ça, sinon je chope celui qui te l'a offert et je le torture devant tes yeux, m'a-t-il lâché, tandis que je prenais une photo de lui en train d'avaler son petit déjeuner dans le café en face de la galerie.

Si elle le veut bien, je prendrais des centaines de clichés de Charlie. Elle doit être magnifique en tant que modèle. Nue ou habillée. En train de lire ou s'esclaffer de rire.

Les vacances sans la voir, ni humer son irrésistible odeur d'encens et de peinture sèche me pince le cœur. Je réalise que quelqu'un me manque sur le continent et cette parenthèse londonienne devient trop longue. Même si le travail acharné à préparer l'exposition pour mars a comblé les journées. Vastes congés qui me privent l'envie de sortir et profiter des soirées, comme je l'ai fait ces derniers mois. Interminables parce qu'une personne a dépeuplé mon monde.

Le passage de 2011 à 2012 fut le souhait d'un bonheur imparfait, de petits soucis hilarants, d'amitiés éternelles et d'une exposition marquante dans l'histoire de la vente de Maîtres anciens.

Finalement, le retour à Paris arrive enfin. Ai-je à peine déposé mes valises dans mon appartement de Montmartre que je compose son numéro. Elle a décroché de sa voix cassée d'un « allô » hésitant. Dès qu'elle a entendu mon accent, son ton habituel plein d'aisance a fait écho dans le combiné. Une heure après, j'étais chez elle, sous les draps. Ensemble, nus et en sueurs.

J'ai enfin trouvé les mots et les sensations que j'éprouve à son égard ce jour-là. Ai-je précisé que je vacille sous son charme ? Face à ses yeux vert émeraude qui m'hypnotisent à chaque fois qu'elle porte le regard sur moi ? Face à la douceur de sa peau au moment où mes mains parcourent son corps ? De ses lèvres pulpeuses qu'elle aime tant mordiller quand je lui procure du plaisir ? Mon interdiction. Mon fruit défendu. Ou encore de ses jambes qu'elle brandit sous mon nez pour me faire craquer ? De ses hanches larges, par lesquelles, je peux prendre appui quand je suis en elle ? J'aime sa cambrure naturelle et ses fesses potelées qui ne tiennent même pas dans une seule de mes mains et qui parfois se présentent au jeu charnel que nous avons créé. Ses taches de rousseur ressortent après chaque rapport, transpirante et brûlante de volupté. Elle est si belle que je n'ose toujours pas croire ce qu'il m'arrive. Pourquoi moi ? Qu'ai-je de plus que tous ces jeunes et séduisants étudiants dans leur meilleur âge ?

Paris, en janvier, si froide, est devenue romantique et enjôleuse. Que ce soit l'aube ou la pénombre, la ville donne l'envie irrésistible de faire l'amour. De s'embrasser sous un réverbère. De se cajoler sous un drap en discutant après de longues minutes d'ébats. La passion ! Quel est ce sentiment, parfois maladif, tantôt enivrant. Moi qui me suis tant moqué de lui ! Je jubile à cette exquise ardeur qui s'empare de moi, de nous. Je sens que Charlie exulte à mes visites qui commencent de plus en plus tôt et se terminent de plus en plus tard. Elle-même vient me voir, après les cours ou le dîner. Nous ne mangeons jamais ensemble. Même pas un petit déjeuner. Elle s'y refuse comme elle s'interdit toute attache. Tout baiser. Mais je sens son affection à mon égard. Elle discute avec moi quand nous avons fini de faire l'amour. Elle repousse le temps de repartir. Néanmoins, dès que je lui propose de rester, elle a sans arrêt quelque chose à faire. C'est le moment le plus dur : la voir s'en aller ou devoir partir de chez elle sans rien échanger d'autre.

Le mois de janvier passe rapidement. La jubilation ressentie à chacun de ses appels ou d'un de ses messages, laisse place à ma frustration à la fin de nos rapports charnels. Je n'arrive pas à lui dire stop. Coucher avec elle est plus qu'un plaisir. Je goûte à l'intimité d'une déesse que nul autre n'a le droit de savourer. Elle est mon fantasme. Ma seule et unique passion. Ma plus grande aventure. Elle ne m'apprend rien, je l'adule. Je ne sais plus mettre une cloison entre passion et désir. Peut-être est-ce les deux en un ? Je veux qu'elle soit mienne et qu'elle ressente la même excitation quand je la frôle dans les couloirs de l'université. Mon ange. Mon démon. J'aimerais la regarder dormir. Lui apporter le petit déjeuner en lui caressant les cheveux. L'entendre rire à mes blagues idiotes. L'entendre débattre fermement sous un plaid au chaud sur la représentation monstrueuse et archaïque d'Ève. Je ne trouve plus sommeil car je veux qu'elle soit près de moi sans arrêt. L'odeur d'une femme aimante me manque terriblement depuis la mort de Lauren. Et c'est elle. Ses effluves corporels dont j'ai besoin, ancrés dans mes draps, qui émaneraient de tout l'appartement. Et pourtant, je me résous seulement à la sentir. À l'étreindre. À la goûter sur n'importe quel support d'un de nos appartements.

Je rejette toute ma rageuse consternation. Plus je suis accablé par la privation de tendres attentions, plus je suis violent dans mes actes sexuels. Ce qui amplifie les allées-venues de Charlie qui en redemande encore. Je ne la comprends pas. Elle est un mystère pour moi. J'ai beau fouiller dans les signes, les interprétations de son corps ou de sa personnalité, au moment même où je suis à deux doigts de toucher le point sensible de l'intrigante étudiante, elle se ferme comme une coquille. Et si la passion est liée à l'envie ? À la curiosité de connaître la personne ? À la recherche absolue que celle-ci tombe dans un élixir d'amour pour nous ? Je dois m'y résoudre : elle a les cartes en main. Et je dois être patient pour que cette coquille s'ouvre et se dévoile à moi.

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