Leudel se tût, parler de sexe semblait conduire Elwant au plus grand embarras. L’ambassadeur se mordait la lèvre inférieure, les yeux résolument fixé à l’horizon, alors qu’il essayait sans grand succès de calmer le feu qui rougissait impitoyablement ses joues. Cela faisait si longtemps que Leudel n’avait pas vu une telle pudeur sur un sujet. Et cela l’attendrit, aussi, comme une conséquence elle se surprit à trouver Elwant mignon, si agréable avec ses pommettes saillantes et son front haut.

 Elle reprit alors, changeant de sujet.

— Nous allons devoir parler aux douanes en arrivant, tu sais mentir ?

 Elle vit ses iris s’arrondir d’une peur intense, comme si l’idée même de devoir annoncer une autre vérité à quelqu’un le tétaniser et le condamner aux pires souffrances.

— C’est bien ce qu’il me semblait. Bon, laisse-moi t’apaiser.

 Elle l’embrassa, tout d’abords pour tester sa résistance, puis par passion, le goût salé de ces lèvres était savoureux. Elle appréciait connaitre des nouveaux amants. La découverte lui rappelait toujours le frisson des premières fois. Une étreinte qui démarrait, c’était une tendresse hésitante, les gestes étaient marqués par l’assurance de l’expérience mais érodées par la peur de l’autre. Chaque mouvement était réalisé à tâtons, effrayé de réveiller ici un monstre enfoui, là-bas une tristesse à juguler. Il fallait parcourir un monde entier de ces mains, apprivoiser une immensité de peau, dompter un tertre entier de sentiments.

 Elle délaça ses habits sans panique pour découvrir, dessous, les stigmates du voyage, l’épiderme était ravagé par le sel, des stries blanches saillaient là où le soleil avait enfoui l’iode, le cuir était rougi par l’étoile du jour, asséché de partout. Comme un baume, elle embrassa chaque lésion, tentant par la douce superstition de l’étreinte de pouvoir alléger par la douceur la douleur qu’il devait ressentir.

 Il sourit et à son tour, lui ôta les haillons qu’elle avait revêtit. Il agissait sans maladresse ni précipitation, ses mains pourtant si frêles la parcouraient avec assurance et force. Leudel sursauta lorsque le bruissement de son dernier linge touchait le pont, nue devant Elwant, elle se sentait soudain désemparé, incapable d’à nouveau dominer de l’esprit quiconque. Il l’embrassa à nouveau puis l’accompagna sur le sol, découvrant de ses lèvres son corps. Chacun de ses baisers semblait retentir jusqu’aux cieux comme un coup de tonnerre. Il s’attarda sur son cou, initia un jeu entre langue et seins. La respiration de Leudel s’accéléra alors que le désir se faisait plus prégnant, il l’habitait tout entier, comme un besoin irrépressible, elle était grisée de lui, enivré par son odeur où elle décelait encore des fragrances d’encre et de papier.

 Ils se découvraient encore, chacun cherchant dans ce corps nouveau qui lui faisait face les traces d’un passé pudique qui clamait par cet escarre un accident d’escalade, par ce silence un lourd souvenir. Aussi, lorsqu’Elwant parcourait du regard les mutations subies par son amante il découvrait ici des yeux semblables aux félins et là un équilibre impressionnant. Alors qu’il passait ses mains sur les siennes, il trouva ainsi une entaille à l’extrémité de chaque doigt.

— Jamais désarmé je suppose, ria-t-il.

— Bonne déduction, répondit-elle en laissant sortir une griffe.

 Cette dernière était acérée, long d’une phalange, elle n’apparaissait pas pouvoir rivaliser avec une lame de par sa robustesse où son allonge, mais avait l’avantage de savoir surprendre et donc de précipiter le trépas de ceux qui auraient eu l’extrême désobligeance de se penser en sécurité en sa présence.

 Elle rengaina son arme naturelle pour se consacrer à nouveau à l’étreinte. Mains et langues s’affairaient maintenant à éveiller les prémisses du plaisir. Les chairs se tendaient, les corps se cambraient. L’horizon se teintait de luxure et présageait l’étreinte comme une fin inéluctable et si souhaité.

 Elle le surplomba alors, laissant danser ses hanches au-dessus de lui, affront taquin qui cherchait désormais à retarder le plaisir. Elwant la laissa un moment jouer avec ses sens avant de se pincer les joues et de la saisir pour l’embrasser. Il la pénétra doucement sur ce baiser. Elle réprima un cri, sursaut surpris d’un soupçon de plaisir.

 Il ne quittait pas sa bouche, l’étreignant tel un écrin. Ses lèvres étaient deux paysages irréels, fait de cratères et de canyons, entachés de rigoles où le sang séché s’entassait. Le cœur lancinant, il espéra pendant un instant ses baisers baume, non plus seulement pour l’âme, mais aussi le corps. Partout où il posait les yeux, il n’avait vu que stigmates d’une existence emplie de douleur et danger. Et sur ces deux traits rouges, simplement gercé par le climat, il aurait voulu ici lui offrir une protection. Comme une promesse de faire tout son possible, non contre les hommes et leur folie, qu’elle savait, quoi qu’il en soit, dominer. Mais contre le monde et ses méandres, il aurait aimé ainsi être à cet instant un rempart. Parce que même s’il ne savait pas s’il devait la haïr ou l’aimer pour ses actes passés. Elwant avait cette conscience sourde et sans âge : il n’était pas dépositaire de la colère du monde et n’avait ainsi ni droit ni responsabilité de châtiment à son encontre. Ils étaient humains, affairés à offrir l’un à l’autre une tendresse qui retentissait comme un luxe au milieu du chaos.