02. La question du matin

7 minutes de lecture

Mathias

Je dégage doucement mon bras coincé sous sa nuque et m’extirpe du lit aussi silencieusement que possible. Il fait encore nuit et seule la lumière des lampadaires extérieurs m’accompagne pour récupérer mes fringues éparpillées un peu partout dans la piaule. J’enfile mon boxer en jetant un œil à la blonde qui dort en respirant un peu fort et soupire en quittant la chambre. Blonde… Toujours des blondes, c’est obsessionnel. Je me perds entre les cuisses de femmes qui ne me rappellent pas mon ex. Un vrai sentimental, Mat, chapeau.

Je m’habille en gagnant l’entrée de cette colocation silencieuse et ne me fais pas prier pour sortir et mettre un terme à cette petite aventure avec… avec qui ? Putain, je ne me souviens même plus de son prénom.

Je devrais aller me coucher, dormir quelques heures, mais au lieu de ça, j’enfourche ma moto et sillonne les rues parisiennes pour retrouver mon appartement et troquer mon costume contre un jogging. Je file faire mon footing sans me poser de question, je me vide la tête, comme toujours lorsque mes poumons me brûlent et que mes cuisses tirent. La douleur apaise les maux, non ? En tous cas, cela me rappelle l’armée, les entraînements nocturnes où nous devions nous dépasser. Il manque la pluie et la boue, ce matin, mais je repousse mes limites, encore et toujours.

Je file au bureau après une longue douche bien chaude et savoure le silence qui y règne. Quand je m’installe derrière mon ordinateur, je me perds un instant dans mes souvenirs à cause de la photo qui traîne à côté de l’écran. La belle époque, celle où je me sentais vraiment bien et utile, celle où j’étais entouré de mes compagnons d’arme, le bras droit de la nana la plus casse-couilles et attachante possible. Ouais, cette période me manque, même si je ne regrette pas de ne pas avoir renouvelé mon contrat. Il était sans doute temps de passer à autre chose, de tourner la page.

Je soupire en relisant le message que j’ai reçu hier soir. Une partie de moi a envie de repartir là-bas, l’autre assimile un peu trop ce lieu à une autre vie, à une relation qui s’est mal terminée et m’a confirmé que les nanas, c’était cool pour une nuit, impossible pour la vie. J’aurais mieux fait de rester sur mon idée de départ, d’ailleurs, ça aurait évité les disputes, les mots blessants et la séparation qui fait mal.

Je suis sorti de mes pensées par des coups frappés à la porte ouverte de mon bureau, et souris en voyant Florent, un sachet de viennoiseries et deux cafés à la main.

— Entre, tu tombes bien, je n’ai pas pris mon petit déjeuner. Ça va ?

— Salut, Chef. La nuit a été courte ? Un jour, il faudra que tu m’expliques comment tu fais pour choper comme ça. Tiens, prends ton café, ça te redonnera un peu d’énergie.

— La réponse est simple, mon pote : je ne rentre pas retrouver femme et gamins à la maison après une mission, rétorqué-je avant de boire une gorgée. Merci. Assieds-toi, il faut que je te parle d’un truc.

Je ne sais pas si je fais bien de lui en parler alors que je n’ai même pas encore accepté. Tel que je connais Flo, il va courir là-bas, toujours persuadé qu’il doit se faire pardonner, qu’il a une dette et doit répondre à l’appel.

Mais bon, je le fais. Il est ce qui se rapproche le plus du meilleur ami, depuis que la mienne est à perpet’ à vivre d’amour, de cul et d’eau fraîche. Je fais glisser mon téléphone sur le bureau jusqu’à Florent qui l’attrape, curieux.

— Elle t’a écrit ?. Elle veut quoi ? s’interroge-t-il en faisant défiler le message sur l’écran.

— Je crois qu’on lui manque un peu. Je n’en sais pas plus, je n’ai pas eu le temps de répondre.

— Il faut qu’on y aille tout de suite, non ? Si elle a besoin de nous, il faut lui montrer qu’elle peut toujours compter sur nous, tu ne crois pas ? Ou alors, on ne peut pas se le permettre financièrement ?

Honnêtement, la boîte tourne bien. Il faut croire que les anciens militaires ont la cote. Nous avons plus de sollicitations que de disponibilités, globalement, et c’est surtout les effectifs qui me posent question. Il faudrait sans doute embaucher quelques gars pour les missions déjà programmées. La vraie question, c’est de savoir si j’ai envie d’y aller.

— On ne peut pas tout planter comme ça, on a des obligations. Et puis… C’est une grande fille, je suis sûr qu’elle peut se débrouiller toute seule.

— Si tu veux, j’y vais moi, je lui dois bien ça, à la Miss. Et comme ça, toi, tu continues à gérer ici. L’honneur est sauf et la boîte ne va pas couler.

Je ricane en imaginant qu’elle me couperait les couilles d’envoyer Flo sans faire le voyage. Bon sang, ça fait tellement longtemps que je ne les ai pas vus, une partie de moi crève d’envie d’y aller pour voir la petite Sophia en chair et en os. Il paraît qu’elle a déjà le caractère de sa mère… Magnifique !

— T’as conscience qu’elle risque de m’émasculer à distance si on fait comme ça ? Elle sera contente de te voir, mais ne me pardonnera pas de ne pas venir, quand bien même c’est elle qui s’est barrée.

— Ah oui, on ne peut pas permettre une telle catastrophe ! Comment feraient toutes les jolies filles du coin si leur conquête n’avait plus rien pour les satisfaire ? Donc, tu vas y aller ?

— J’en sais rien, soupiré-je en m’adossant à mon fauteuil. Retourner là-bas… J’en ai autant envie que je le redoute. Trop de souvenirs.

— Je ne peux pas décider pour toi, mais peut-être que tu peux simplement lui répondre et lui demander ce qu’il se passe ? Ou organiser une petite visio avec elle pour avoir des précisions ? Moi, quoi que tu décides, je suis là pour toi, Chef.

— Tu vas abandonner ta femme et ta fille, encore ? Je croyais qu’elles en avaient marre ?

— Si tu me le demandes, je le fais. Et peut-être que je les emmènerais avec moi, tiens. Ça pourrait être une solution, surtout si je leur présente ça comme des vacances !

— Heu… Tu te rappelles à qui on a affaire ? Je doute que ce soit des vacances pour toi et moi, ris-je.

— C’est vrai. Mais bon, elle n’est plus notre cheffe, on peut l’envoyer balader si ça ne nous plaît pas. Enfin, on pourrait essayer au moins !

Je me gausse en imaginant Flo mettre ses paroles en application. Aucun doute qu’il n’osera jamais. Moi… Si, évidemment. On a toujours fonctionné comme ça, elle et moi. Franchise, soutien et picole.

— Tu ne voulais pas avoir un autre enfant ? Parce que, finalement, c’est peut-être ton service trois pièces qui va prendre !

— Tu sais ce qu’il te dit, le futur papa, c’est que c’est toi le Chef et que moi, en bon soldat, je ne vais faire qu’obéir ! rit-il. A vos ordres, Chef !

— Oh là, là, qu’est-ce que j’adore quand tu me dis ça. Tu me ferais presque bander !

— Purée, tu n’as vraiment pas assez dormi si tu en arrives à bander pour moi ! fait-il mine de me plaindre. Elle t’a épuisé à ce point-là ? Tu vas la revoir quand ? Parce que vu l’effet que ça te fait, je crois qu’elle vaut bien une deuxième nuit !

— Elle était pas mal, mais il n’y aura pas de deuxième nuit. Honnêtement, je ne sais même plus comment elle s’appelle, grimacé-je. Et je ne suis pas sûr de me rappeler du chemin pour aller chez elle non plus.

— Pauvre petite. Je crois que tu devrais embaucher un assistant célibataire dont la seule mission serait de consoler toutes tes conquêtes que tu envoies au septième ciel pour éviter que leur atterrissage soit trop dur. J’espère que la dernière va pas faire comme la folle qui avait débarqué ici pour te supplier de recommencer tellement c’était bon !

— Elles savent à quoi s’en tenir et prennent leur pied, j’y peux rien si je suis irrésistible ! Quant à elle… Elle m’a clairement fait me demander si je ne devrais pas engager un privé pour me renseigner sur mes cibles avant d’atterrir chez elles, ris-je, à moitié sérieux quand même.

— Bon, Monsieur le Bourreau des Coeurs, on ne va pas parler de tes conquêtes toute la journée, quand même ! Pour notre ancienne Cheffe, réfléchis encore un peu et tu me diras ce que tu décides. Pour les autres, euh… Joker !

— Je vais prendre le temps d’y réfléchir. Franchement, l’idée de retrouver tous ces cinglés me fait flipper. Ils sont pires qu’une armée entière, fusils en main !

Je le vois sourire et lève les yeux au ciel en récupérant le dossier de notre prochain boulot. Lui, il crève d’envie d’y retourner. Je le sais, je le sens. Pourquoi ? Pour continuer de se racheter ? Pour échapper au quotidien ? J’avoue que cette dernière option me fait un peu envie. J’aime mon job, j’adore vivre ici, mais tout est fade, ces derniers temps. J’ai l’impression de me lasser, de ne pas avoir de but. Monter cette entreprise m’a permis de me sortir l’armée de la tête, mais maintenant que tout roule, je me rends compte que l’adrénaline me manque. Je ne sais pas si je pourrais retrouver ça, là-bas, mais j’aurais au moins mes amis. C’est ma mère qui sera moins ravie si je lui dis que je pars. Mais je vais attendre d’avoir davantage d’informations avant de lui annoncer la nouvelle.

Dans tous les cas, elle a fait fort, la cheffe. J’ai du mal à me concentrer sur mes tâches et bizarrement, je songe à rentrer chez moi ce soir plutôt que de partir en chasse. Même à distance, elle me pompe mon énergie, à défaut de m’avoir jamais pompé autre chose. Et le manque du moment n’est pas le même qu’après un sevrage de sexe. Ouais, je crois que ma famille d’adoption me manque, en fait, ce qui me pousse à ne pas me décider maintenant. Si j’y vais, c’est pour la boîte, pour le boulot. Il ne faut pas que ce soit personnel.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0