08. Un briefing qui ne fait pas dans la dentelle
Mathias
Je passe ma main sur mon visage et m’asperge à plusieurs reprises pour me réveiller comme il se doit. J’ai beau avoir pris une douche après que la jolie blonde, dont je ne me souviens pas du nom, est partie, j’ai l’impression d’avoir fait nuit blanche. Comment elle s’appelait, déjà ? Becca ? Bianca ? Bella ? Il faut vraiment que j’arrête ces conneries, un prénom à retenir, c’est pas la mer à boire !
Elle était jolie, derrière le comptoir de l’hôtel. Je l’ai repérée dès que je suis arrivé et la barrière de la langue n’a pas été une barrière pour le sexe. Après tout, le cul est un langage universel. Elle a même réussi à comprendre quand je lui ai gentiment suggéré de quitter ma chambre… Une gentille fille qui a bien profité. C’est gagnant-gagnant.
Je souris en découvrant un joli string rouge au pied de mon lit et le glisse dans la poche de mon pantalon pour le rendre à sa propriétaire. Il va falloir que je la joue fine, j’ai bien vu son petit regard déçu quand elle est partie, je ne doute pas qu’elle cherche à transformer ce one shot en plusieurs shots d’orgasmes. La choisir à l’accueil de l’hôtel où je crèche n’était sans doute pas la meilleure idée de ma vie. Si elle pose des soucis, Ju va m’étriper. Elle est pire que ma mère, c’est insupportable et je me demande parfois pourquoi je m’acharne à la fréquenter.
Je souris tout seul comme un con en sortant de ma chambre, même si je sens que la matinée va être longue. Les briefings, c’est la mort. Je ne sais pas si Julia va tout nous révéler ou garder des secrets, et ça m’emmerde d’avance. Si nous n’avions été que tous les deux, encore, j’aurais pu lui tirer les vers du nez, mais avec les trois baraques qui m’attendent dans le hall, pas sûr d’avoir la version complète.
— Le patron en retard, on aura tout vu ! se moque Florent.
— En même temps, il était occupé, ajoute Jérémy avec un sourire entendu.
Je lève mon majeur dans leur direction et traverse le hall sans manquer de jeter un œil au comptoir. Malheureusement, Becca/Bianca/Bella n’est pas à son poste et je vais devoir patienter pour lui rendre son bien. Dommage, j’avoue que l’idée de la savoir sans petite culotte en train de bosser m’excitait un peu.
Je me mets au volant du SUV prêté par le ministère et prends la route pour le Palais. Revenir ici me ramène des années en arrière. Dire que j’ai sauvé le cul d’Arthur et Julia en tenue de soirée à l’époque, et que je reviens en costard, dans une belle bagnole, bien loin de celle qu’on m’avait dégotée pour l’occasion. Les contrôles pour entrer sont davantage renforcés, à croire que le service de sécurité a pris du plomb dans la cervelle depuis que le Président est une femme. C’est pas mal, ça correspond à mon ancienne Cheffe. Enfin, ancienne, pas tant que ça, finalement.
Une jolie petite rouquine nous accueille à l’intérieur du Palais, et les gars sifflent en découvrant le côté clinquant de la bâtisse. Plus concentré que mes trois zigotos, j’observe tout ce qui touche à la sécurité. Je repère une caméra bien planquée, un vigile occupé à jouer sur son téléphone qui va se prendre une soufflante dès que Ju sera au courant, et surtout, plus que tout, ce petit cul moulé dans un pantalon serré qui nous enjoint à la suivre dans le dédale de couloirs. C’est un labyrinthe, là-dedans, et si j’arrive à me remémorer un peu les plans du Palais de l’époque, j’avoue que je me perds quand même.
— Putain, sifflé-je à mon tour en entrant dans le bureau de Julia, tu te fais pas chier, hein !
La pièce est plutôt grande, son bureau trône sur la droite, aussi grand ou presque que notre table de réunion dans la salle des opérations sur le camp de Food Crisis, alors qu’une longue table, à l’opposé, sert pour les briefings. Quant à la déco… On parle d’un Palais qui a été occupé par un connard qui adorait en mettre plein la vue, et j’imagine que les dorures ne sont pas le truc de Madame Vidal-Zrinkak qui grimace et lève les yeux au ciel.
— Vous êtes en retard, alors les remarques sur le marbre du bureau, ça attendra, attaque-t-elle d’entrée en adressant un sourire à Flo et aux deux autres. Et puis, j’ai pris ce bureau car il est central et me permet de contrôler un peu tout. C’est ça qui compte, non ?
— Dit la nana qui était en retard à l’aéroport, la provoqué-je. Tu te bats avec tes gosses, moi j’avais un souci à régler avec l’hôtesse de l’hôtel. Chacun ses problèmes, Lieutenant.
— Un souci, ouais, ricane Flo qui se prend un coup de coude.
— L’accueil pose des soucis ? s’inquiète-t-elle immédiatement. Pourtant, avec votre statut, vous devriez avoir droit à tous les égards !
— Oh non, crois-moi, l’accueil est doux et chaleureux, lancé-je en m’installant à la table de réunion. Bon, on parle de ma nuit ou du boulot ?
— Content de voir que tu es en forme, mon Chou, mais là, j’espère que tu as toute ta tête et que tes camarades aussi car la situation est grave.
— J’espère bien que tu ne nous a pas fait rappliquer parce que la Gitane a un furoncle sur le derrière ! Allez, balance les infos, qu’on se mette vraiment à bosser.
On a beau jouer aux cons, tout le monde s’installe autour de la table avec sérieux et Ju débarque avec une pile de dossiers pas possible. Je sens qu’on va passer la journée ici à bosser comme des brutes pour éplucher tout ça et tenter de ne rien manquer… Finalement, la petite hôtesse pourra peut-être faire l’exception à la règle histoire que je me détende ce soir.
— Ce sont les exposés de Lila pour l’école ? plaisanté-je alors qu’elle dépose son barda sur la table.
— Mais non, c’est le résultat de la mise en place d’une équipe sérieuse et compétente. Là, on a des infos sur tous ceux qui menacent la Présidente. Et comme vous voyez, ça en fait du monde.
— Elle ferait mieux de se trouver une cabane dans un coin paumé, pour y finir sa vie tranquille, intervient Flo, elle n’en a pas marre de s’attirer les foudres de tout le monde ?
— Tu ne crois pas si bien dire ! Dans ce lot, il y a même des rebelles de la première heure qui trouvent qu’elle n’en fait pas assez, soupire Julia en sortant un des plus petits dossiers. Vous vous rendez compte, après tout ce qu’elle a fait pour la liberté du peuple et la démocratie ?
— Oui, mais eux, ils ne sont pas trop dangereux, s’interroge Jérémy, concentré.
— Faut partir du principe que tout le monde est dangereux, soupiré-je. N’écarter aucune piste. Les Silvaniens sont quand même un peu dingues. Donc, il y a eu des menaces claires ? Des pistes particulières ?
— Alors, les menaces viennent surtout de deux groupes et je suis incapable de dire lequel est le plus dangereux et le plus à même de nous poser des soucis. D’abord, il y a bien entendu ceux qui ont tout perdu avec le changement de pouvoir, ceux qui soutenaient l’ancien Président ou le Colonel. Et ça en fait du monde. La Gitane n’a pas été tendre avec eux. Ils ont tout perdu et sont désespérés. Le mix explosif, vous voyez ?
Elle nous fait passer des photos de soldats, principalement, qui ont l’air d’avoir presque tous fait un séjour en prison vu les images qu’elle nous montre.
— Super, des militaires, ça ne va pas nous faciliter la tâche, soupire Jérémy à côté de moi.
— Surtout ceux-là, marmonné-je en pointant du doigt les photos de types habillés en noir. J’en ai fait l’expérience, et encore, ils ont été gentils avec moi. Ils n’ont aucune patrie, ils ont buté leurs propres camarades sur ordre du Colonel, simplement pour brouiller les pistes.
— Ah ouais, j’aime bien, moi, indique Sébastien. Aucun remords à les buter s’il faut le faire.
— L’avantage, c’est qu’on a des repentis parmi eux et on est bien informés. Ils préparent un truc pour le concert où on va avoir besoin de vous, mais ils ne devraient pas être en mesure de nous surprendre. Pas comme eux, poursuit Julia, les sourcils froncés d’inquiétude.
Elle étale devant nous plusieurs documents et malheureusement aucune photo de types que nous pourrions reconnaître. J’attrape le premier papier sous mon nez et le consulte en diagonale, fais de même avec les suivants tandis que mes collègues sont eux aussi concentrés sur leur lecture. Je commence à me demander si je n’aurais pas dû faire rappliquer toute ma boîte, vu le dossier qui nous est présenté.
— Pourquoi ne pas tout simplement annuler ce concert ? suggère Florent. Ça me semble bien risqué pour un peu de musique.
— La Ministre de la Culture a insisté pour rendre à la Silvanie sa splendeur et ma belle-mère, avec son caractère de cochon, veut absolument y assister. Elle a l’air de se moquer des militaires, de la mafia, des mécontents de son camp… Elle pense que j’ai la solution à toutes les difficultés.
Je sens Julia un peu amère dans ses propos et aussi extrêmement fatiguée. On dirait ma Lieutenant en fin de mission quand les barrières sont sur le point de céder et qu’elle les remonte tant bien que mal pour ne pas lâcher. Bon, peut-être que ce soir, string rouge ne sera pas de la partie. Picole entre amis, c’est bien aussi.
— Heureusement qu’on a débarqué alors, souris-je. Avec les gars, on va éplucher ça aujourd’hui, et on en parle en fin de journée tous les deux ?
— Oui, enfin, il faut qu’on se prenne un temps en fin d’après-midi. Ce soir, tu es de sortie. Enfin, vous êtes de sortie, mais pas ensemble. Il y a l’inauguration d’une exposition d’un artiste silvanien en plein essor. Cela vous permettra de voir Marina en action et c’est pas du gâteau pour la sécurité, je vous le garantis.
— Dès ce soir ? grincé-je. Sérieux ? Tu n’as pas confiance en tes hommes ou quoi ?
— Oui dès ce soir. Et justement, j’ai confiance. Ce soir, vous êtes là en observateurs. C’est toujours bien d’avoir un regard extérieur. Et quatre, c’est encore mieux.
— Ok. On fait ça alors. Tu pourras nous filer les plans du Palais ? J’aimerais bien que tout le monde soit capable de se rendre d’un point A à un point B sans passer par le reste de l’alphabet assez rapidement. Et puis, tu nous diras où on doit aller chercher nos armes avant de partir.
— Ah non, vous ne pouvez pas être armés ! Seules les forces officielles le sont ! Et là, vous êtes juste sur un contrat, je n’ai pas l’autorisation de vous laisser déambuler en ville avec des armes. La Constitution est claire, pas de milice armée dans la capitale !
— Attends, tu déconnes, là ? Donc quoi, s’il se passe un truc ce soir, on y va aux poings ou on présente notre cul pour se faire tirer dessus ?
— Je t’ai dit que ce soir, il n’y a aucun risque. Et on doit montrer l’exemple, Mat. La Constitution, on s’est battus pour la mettre en place, on ne peut pas être les premiers à y déroger.
— Conneries, grogné-je. Je veux bien filer un coup de main, mais faut pas pousser non plus. Autant nous coller une cible dans le dos, ce sera plus simple. Qu’est-ce qui te fait dire qu’il n’y a aucun risque, au juste ?
— On a des agents de renseignement, tu crois quoi ? Et puis, leur cible, on le sait, c’est le grand concert avec des stars internationales. Le reste, ils vont juste nous titiller assez pour nous rappeler qu’ils existent, rien d’autre. Vous serez là en tant qu’invités, ce soir, en aucune façon, vous ne serez des cibles !
Je soupire et me passe la main dans les cheveux en récupérant l’un des dossiers. Autant, en France, ne pas avoir d’arme ne me dérange pas, mais on parle de la Silvanie, d’une menace pour la démocratie, d’une attaque sur la Présidente, c’est pas rien, et j’ai l’impression de me sentir à poil sans arme.
— Bien, marmonné-je en levant les yeux vers Julia. On bosse ici ou on a une salle à disposition ?
— Je vous laisse mon bureau. Il est sécurisé et rien ne peut être écouté. Cela te permettra de te concentrer plutôt que sur la demoiselle d’hier soir. Je compte sur vous, les gars, pour le ramener dans le droit chemin s’il dérape !
— J’ai toujours fait mon boulot avec sérieux, cinglé-je, piqué au vif. Pas besoin de demander à mes employés de me surveiller. Va donc te reposer et tirer un coup, ça ne te fera pas de mal. On se met au boulot, les gars.
Je lui tourne le dos, vexé, et l’entends soupirer alors qu’elle s’éloigne. Non mais, sérieusement, sa petite réplique est carrément déplacée. Pour qui elle me prend, au juste ? Elle me connaît, quand même !
Je grimace en voyant le regard de Flo alterner entre Julia et moi, ses sourcils froncés et une moue dépitée plaquée sur sa tronche. On va dire qu’elle est sur les nerfs avec toute cette histoire, mais il ne va pas trop falloir qu’elle me chauffe non plus, la petite Maman, parce que je n’ai plus la patience que j’avais quand on bossait ensemble. En attendant, vu le nombre de dossiers à éplucher, je vais faire mon job et tâcher de faire redescendre sa pression artérielle en lui filant un coup de main. Y a du boulot, mais c’est pas plus mal comme ça.
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