29. L'heure du départ
Ysée
Je ne sais pas dans quelle galère je me suis lancée, mais ça me semblait être une bonne idée, au départ… Jusqu’à ce que j’apprenne que je vais passer ces prochains jours avec cet abruti de Snow. Rien que ça, ça a failli me donner envie de retirer ma proposition. Mais bon, il faut bien que je fasse pénitence. Après un fiasco comme le concert qui s’est terminé en fusillade, j’ai plutôt intérêt à me faire oublier et pardonner. Alors, je vais prendre l’épreuve du Grand Blond comme un passage au purgatoire avant un éventuel retour en grâce.
En parlant de grâce, il ne faut pas que j’oublie, mais je dois rappeler les trois Irlandaises qui doivent être en train de se préparer pour rentrer chez elles. Les pauvres… Elles ne sont pas là de remettre les pieds en Silvanie.
— Bonjour Brenda, c’est Ysée, m’annoncé-je quand j’entends une voix me répondre avec un bel accent anglophone.
— Oh, bonjour Ysée ! Comment allez-vous ? Et la Présidente ?
— La Présidente a l’air stabilisée même si elle est toujours sous sédatifs et qu’on ne sait pas quand elle va se réveiller. La vraie question, c’est comment vous allez toutes les trois. Si vous saviez comme je suis désolée de ce qu’il s’est passé… Vous avez dû être terrorisées…
— Ça va… On ne peut pas dire que ça ne soit pas traumatisant, mais ça aurait pu être pire. Comment va Snow ? Et Stefan ? Tout le monde est en bonne santé ?
— Oui, on a eu de la chance dans notre malheur. Vous êtes vraiment gentilles de vous préoccuper d’eux. Je voulais vous souhaiter un bon retour et vous assurer que vous serez dédommagées pour ce qu’il s’est passé. Nous ne sommes pas un pays riche mais nous avons des principes et le Premier Ministre a validé toutes mes demandes. Votre cachet sera versé avec un petit supplément, c’est la moindre des choses.
— Nous n’avons pas besoin de dédommagement, Ysée. Utilisez cet argent pour les dégâts causés par ces fous, nous n’en voulons pas. Prenez soin de vous.
— Nous verrons cela avec votre agent, je crois qu’il ne dira pas non à la petite prime. Et ne vous inquiétez pas pour nous, vraiment. On va tout reconstruire, nous sommes un pays fier. Bon retour en Irlande. J’espère que les médias vous laisseront un peu au calme, ils vous attendent de pied ferme, j’ai cru comprendre.
— On verra bien, ce n’est pas important, ça. A bientôt, Madame la Ministre.
Je raccroche après leur avoir souhaité à nouveau un bon voyage et me concentre sur les affaires que je dois préparer. Il ne faut pas que je m’encombre trop, mais il faut aussi que je prenne suffisamment pour tenir au cas où nous resterions enfermés pendant plusieurs jours. Je prends plusieurs robes simples mais confortables, et des vêtements qui me permettront à la fois de profiter de la chaleur de cette fin de printemps mais aussi de la fraîcheur qu’on peut encore parfois ressentir sur les hauteurs de l’arrière pays. Sur un coup de tête, je rajoute quelques petites combinaisons. Sait-on jamais, j’aurais peut-être l’occasion de revoir une de mes anciennes conquêtes même si ça fait un moment que je ne suis pas retournée dans la datcha de mes parents.
Une fois prête, je suis contente de voir que tout tient dans une valise unique. De bonne taille, certes, mais vu qu’on ne sait pas pour combien de temps on part, je trouve que c’est plutôt raisonnable. Je retourne dans l’aile de la Présidente où je retrouve la famille Zrinkak au grand complet. Arthur est en train d’embrasser ses filles et de leur donner différentes consignes qui ont toutes l’air de tourner autour du fait d’être gentilles et de respecter ce que Snow, Florent ou moi pourrions leur dire. Il est tellement mignon avec ses filles que je m’en veux un peu de les séparer, même si je ne suis pas responsable de cet état de fait.
Afin de brouiller les pistes, alors que leur père retourne au chevet de Marina, nous allons tous nous rendre à l’hôtel de Snow pour récupérer les deux Français et ensuite seulement aller chez mes parents. Et connaissant Julia, on risque de faire quelques détours en ville pour s’assurer que personne ne nous suit. Dans la voiture, je me tourne vers les deux filles à l’arrière.
— J’espère que vous êtes contentes, les filles, d’aller passer ces prochains jours avec moi à la campagne. Sophia, si tu aimes les animaux, tu vas adorer. Il y a des chèvres, des vaches et plein d’animaux sauvages aussi !
— Trop bien, glousse la petite alors que Lila lève les yeux au ciel à ses côtés.
— Lila, tu sais qu’il y a des soirées animées tous les samedis soirs, là-bas ? J’adorais y aller quand j’avais ton âge, même si je suis sûre que tu trouverais les chansons de l’époque complètement ringardes !
— Parce que tu crois vraiment que Tonton va nous emmener faire la fête ? La bonne blague…
— Tu crois que c’est Tonton qui va commander ? Et au pire, on passera par derrière sans qu’il le sache, dis-je en riant. Tu sais que c’est la maison où j’ai passé tous mes étés quand j’avais ton âge ? Je connais le coin comme personne !
— Heu… Ysée ? Tu peux éviter de donner des idées à la con à ma fille ? m’interpelle Julia. C’est Mathias qui commande, question de sécurité. Et c’est non négociable.
— Oui Cheffe ! lancé-je en me mettant au garde à vous. Je lui obéirai en tout, promis juré !
— Hum… J’hésite à vous confier mes filles, vous êtes aussi insupportables l’un que l’autre.
— Tu viens les récupérer quand tu veux ! Ou tu nous fais signe que la route est sûre et on revient dans la foulée. Et ne t’inquiète pas, là-bas, tout va bien se passer. Personne en plus ne saura que ce ne sont pas mes filles, donc on sera tranquilles.
— J’espère… Sophia est allergique aux fruits à coque, faites attention avec ça. Il y a ce qu’il faut dans son sac en cas de réaction, mais… Enfin, Mat est au courant, je te le dis au cas où, soupire-t-elle en couvant sa fille du regard dans le rétroviseur.
— Oui, on fera attention. Et s’il me vient l’envie d’étriper Mat, au moins, j’aurai les informations importantes.
En arrivant à l’hôtel où séjourne Snow, Julia se gare dans le parking intérieur et nous descendons toutes car nous allons emprunter une grosse berline banalisée du Gouvernement. Mat et son collègue sont déjà prêts et nous rejoignent alors que Julia vient à peine de couper le moteur. Ils ont tous les deux un sac à dos militaire et se rapprochent de nous en souriant.
— Vous êtes déjà prêts ? s’étonne Julia.
— Evidemment ! Pour qui tu nous prends ? On est des pros !
— A deux, tout va plus vite, ajoute Florent, même si Mat a forcément voulu tout vérifier.
— Je sens qu’on va devoir supporter le tyran pendant tout notre petit séjour, soufflé-je discrètement à Lila avant d’ajouter plus fort, les enfants, vous dites au revoir à votre Maman ? Nous allons la laisser là. Cela va encore plus brouiller les pistes.
— Ju, tu lui as rappelé qui commande, rassure-moi ? grogne Snow en me fusillant du regard.
— Oui, Chef ! lui lancé-je en lui tirant la langue, ce qui a au moins le mérite de faire rire les deux filles qui semblaient avoir perdu un peu leur sourire à l’annonce de la séparation avec leur mère.
— Vous ferez moins la maligne quand je vous ferai creuser les latrines, Madame la Ministre, me lance-t-il en me faisant une révérence alors que Julia rit.
— Bien… Pensez à vous entendre, hein ? Je n’ai pas envie que vous traumatisiez mes bébés.
— Je suis plus un bébé, souffle Lila en se lovant contre elle, rejoignant sa sœur.
— Non, ma grande, et je compte sur toi pour bien prendre soin de ta sœur pendant que les deux se disputent et que Florent essaie de les calmer. Je prendrai des nouvelles quand je serai sûre qu’il n’y a personne qui pourrait surprendre nos conversations. Soyez sages, ça ne durera pas. Et je suis sûre que vous vous amuserez bien dans la datcha de la famille d’Ysée.
— C’est nul comme situation, bougonne Lila. Mais… Je prendrai soin de Sophia. Tu fais attention à toi, hein ?
— Oui, ma Chérie. Tout ira bien. Et puis, ton père va veiller sur moi.
— C’est ça, rit-elle. On sait tous que les filles sont les plus fortes, à la maison.
— Cette gamine est trop intelligente, ricane Snow. Girl Power, pauvre Arthur !
— Je te signale que là, c’est toi qui vas devoir faire avec le Girl Power, lui lance Julia en ne lâchant pas ses filles.
— Tu peux compter sur moi, lui lance-t-il avec le plus grand sérieux. Vous êtes prêtes, mesdemoiselles les guerrières ?
— Oui, Tonton ! crie Sophia.
— On est trois contre deux, je vous plains, dis-je en souriant. On va tout ravager sur notre passage !
— Tonton, tu te mets à côté de nous ou tu as trop peur ? lui demande Lila sur un ton provocateur.
— Moi, peur de vous ? Je vous rappelle que j’ai bossé avec votre mère pendant plus d’une décennie, non mais, rit Snow en attrapant Lila pour lui ébouriffer les cheveux. Je te laisse conduire, Flo. En avant !
Nous montons tous dans une ambiance plutôt bon enfant malgré les circonstances. Je m’installe près de Florent et nous partons en faisant tous des signes de la main à Julia qui fait mine de ne rien ressentir alors que je suis sûre qu’elle est morte d'inquiétude. Quelle femme !
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