37. Tirer un coup dans les bois
Ysée
C’est fou comme la présence de Julia et Arthur change l’atmosphère dans la maison. Les filles ne sont pas malheureuses avec nous, je pense, mais avec leurs parents, cela n’a rien à voir. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu Lila aussi radieuse et Sophia avec autant de fougue et d’énergie. La matinée et le déjeuner que nous avons passés tous ensemble ont été marqués par la bonne humeur, la joie et les rires et mon petit cœur est comblé de voir autant de bonheur dans cette datcha qui en a déjà tellement vu.
Après le dessert qui s’est terminé en chansons, nous avons décidé sans nous concerter de laisser la petite famille à ses retrouvailles. Florent est allé se recoucher et profiter d’un sommeil qui sera sûrement plus réparateur que les nuits qu’il passe avec Mathias, entrecoupées de gardes et de réveils intempestifs au moindre bruit, au moindre doute d’un danger potentiel. Mathias, un peu mystérieux, m’a demandé de le suivre et c’est ce que je suis en train de faire, un peu intriguée. Il a un grand sac en bandoulière et progresse sans un mot devant moi, sur un petit chemin que je lui ai fait découvrir plus tôt dans la semaine.
— C’est ça, ton idée de pouvoir se reposer sans les enfants ? finis-je par lui demander, aussi bien pour briser le silence qui s’est installé que pour détourner mon attention de son joli fessier devant moi qui me distrait et mobilise un peu trop mon attention.
— On se repose, là. Pas d’enfants à surveiller, ça fait du bien, non ? Promis, la randonnée ne va pas durer tout l’après-midi, je cherche un coin tranquille et sans risque.
— Tu as une vision du repos très active ! Tu sais que tu as des plus grandes jambes que moi et que je suis presque en train de courir pour te suivre, là ?
— Désolé, soupire-t-il en ralentissant la cadence. Tu veux que je te charge sur mon épaule ?
— Je ne suis pas un sac de patates ! Tu aurais dû me dire qu’on partait pour une randonnée, j’aurais mis des chaussures plus pratiques et là, c’est toi qui aurais dû t’accrocher pour me suivre !
— Tu devais bien te douter que je n’allais pas t’emmener en virée shopping, Ysée, rit-il. Et bon courage pour me larguer sur une randonnée, je te rappelle que j’ai un entraînement militaire.
Je soupire car je sais qu’il a raison, mais je n’ai pas réfléchi quand je me suis habillée ce matin. En voyant le regard qu’il a porté sur moi alors que je ne portais que ma nuisette, j’ai été prise d’une folle envie de jouer avec lui et j’ai mis ma petite robe bleu ciel, assez courte et bien échancrée. Je sais qu’il l’apprécie car il m’a déjà vue la porter, mais l’inconvénient de cette tenue, c’est que je la porte avec des petites sandales qui ne sont pas pratiques pour la marche.
— Tu m’emmènes où, comme ça ?
— Le plus loin possible pour te bâillonner et te torturer, voyons, me lance-t-il avec un regard mystérieux avant de rire. Juste là, viens. On va être tranquilles et aucun risque de blesser quelqu’un.
Il veut que nous soyons tranquilles et on risque de blesser quelqu’un ? Mais dans quoi je me suis embarquée, là ? Il est devenu fou ?
— Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais je te préviens, si c’est dangereux, ça ne fait sûrement pas partie de mes fantasmes !
— Tu as déjà tenu une arme ?
— Je te rappelle que j’étais avec la Gitane pendant plusieurs années, donc oui, j’ai déjà tenu une arme, même si… Enfin, c’est quoi, cette question ?
Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas envie de lui avouer que je ne m’en suis jamais réellement servie. J’étais jeune et en tant que femme, j’étais plus sur des missions de renseignement et de collecte d’informations que sur les combats. Mais il ne peut pas être au courant de ça, si ? Ou alors, Julia l’a briefé sur moi ? Bref, il m’intrigue avec son comportement et ses questions.
— Je voudrais voir ton niveau avec une arme, Ysée. On ne sait jamais, si des fois… Flo et moi, on n’était plus en capacité d’agir, en cas de pépin, tu vois ? me demande-t-il en sortant du sentier pour s’enfoncer dans la clairière. T’as besoin d’un coup de main ou c’est bon ?
Mon premier réflexe, c’est de l’envoyer balader et de lui dire que ce n’est pas parce que je suis une femme qu’il faut m’assister à la moindre difficulté, mais quand je vois le petit fossé qu’il a franchi d’un petit bond assuré, je me dis que je peux profiter un peu de la situation. C’est ce que je me suis surprise à faire ces derniers jours et j’avoue que ça me plaît bien de titiller sa libido. Il faut dire que la mienne est clairement en folie et que l’abstinence forcée que je subis n’est que peu satisfaite par mes séances nocturnes solitaires.
— Tends-moi la main, lui demandé-je avant de sauter à mon tour et de m’arranger pour atterrir tout contre lui.
Je suis terriblement proche de lui et je fais mine de perdre un peu l’équilibre pour avoir le plaisir de sentir ses grandes mains se poser sur mon dos. La sensation que je ressens est terriblement excitante et j’adore sentir son odeur très masculine et encore plus marquée par l’effort de la marche. Et j’en profite même pour frotter discrètement ma poitrine contre son torse, provoquant un durcissement de mes tétons quasi immédiat. Je fais cependant mine d’être outrée par son comportement et le repousse.
— Non mais ! N’en profite pas, non plus ! lui lancé-je en fronçant les sourcils.
— Ben voyons, s’esclaffe-t-il en levant les mains en signe d’apaisement, c’est toi qui t’es jetée dans mes bras, n’inverse pas les rôles.
— Ah tu ne peux pas t’empêcher de toujours reporter la faute sur les femmes, il va falloir consulter, je crois.
Un voile passe sur son regard et il ne me répond pas, se contentant de hausser les épaules et de reprendre la marche jusqu’à une petite clairière où il dépose son sac, sans un mot. Je me demande ce qui a ainsi assombri son humeur qui avait l’air plus joyeuse avant ma remarque. Il n’a pas apprécié que je joue avec lui ? Ou alors, c’est le fait de lui dire de consulter qui l’a fâché ?
— Comment tu savais qu’il y avait cette clairière ici ? demandé-je, surprise, tout en vérifiant sur mes jambes qu’aucun parasite ne s’y est installé quand nous sommes passés à travers les hautes herbes sur le chemin.
— J’ai fait du repérage quand vous êtes allés faire des courses au village avec Flo. Trucs de militaire, tu ne comprendrais pas, et ça n’a aucun rapport avec le fait que tu sois une femme. Je précise, au cas où.
— Et donc, maintenant que nous sommes à l’abri des regards indiscrets, on fait quoi ? Je n’ai pas pris mon tricot, je ne sais pas si je vais pouvoir m’occuper.
— On tire, Ysée. Une petite séance pour se défouler. Évite de viser mon derrière par contre, ok ? me demande-t-il en se plantant devant moi, un pistolet à la main qu’il me tend. Le bruit des coups de feu va être étouffé par l’environnement alentour, et je vais placer des boîtes de conserve sur le rocher, là-bas. C’est bon pour toi ?
— Oui, oui.
Je me rends compte que je réponds trop vite et que ma voix n’est pas aussi assurée que je le souhaiterais, mais je ne vais quand même pas lui avouer que j’ai horreur des armes et que je ne suis pas du tout à l’aise maintenant que j’ai ce pistolet dans les mains. Il est lourd, je trouve et, même si je connais les bases, je n’ai vraiment pas l’habitude de me servir d’une telle arme. Alors qu’il me dévisage, je fais mine de m’y connaître et ouvre le barillet, constatant qu’il est effectivement chargé et prêt à l’emploi.
— Ça va aller ? Je sais que… Enfin, non, laisse tomber, soupire-t-il en récupérant son sac pour aller installer les boîtes de conserve plus loin.
J’avoue que je fais moins la maligne maintenant que je me retrouve seule face à ces cinq cibles qui me semblent être trop éloignées pour que je puisse seulement espérer en toucher une. Mathias s’est un peu écarté mais je trouve qu’il est encore trop près.
— Tu es sûr que ça ne va pas faire trop de bruit ? Il ne faudrait pas effrayer les villageois du coin, tenté-je en soulevant mon arme pour la diriger vers la boîte la plus éloignée de mon instructeur du jour.
— Ne t’inquiète pas pour ça, je t’assure. Allez, vas-y, détends-toi, respire, vise et tire, Madame la Ministre, c’est simple comme bonjour, tu te souviens ?
Mince, pourquoi il me regarde comme ça ? C’est quoi cette excitation que je lis sur son visage alors que j’essaie de me concentrer pour tirer ? Il cherche à me distraire ? C’est pas le moment… Je ferme les yeux pour essayer d’oublier que je suis sûrement en train de le faire bander et les rouvre tout à coup en entendant qu’un coup est parti. Merde, j’ai appuyé sur la détente sans même regarder où je tirais.
— Putain, Ysée, t’es dingue ou quoi ? vocifère-t-il au loin. Tu veux me tuer, c’est ça ? On ouvre les yeux et on vise avant de tirer !
Ma première réaction est un grand Ouf de soulagement de voir que je ne l’ai pas blessé et qu’il est sain et sauf. Mais immédiatement, c’est le ton qu’il emploie qui m’agace et me fait réagir.
— Non mais ça va, oui ! Ça ne sert à rien de me crier dessus comme ça et de me traiter comme une gamine ! Si tu as peur, tu n’as qu’à te reculer un peu ! Ça arrive à tout le monde, un accident !
— Un accident ? Sérieusement ? Mais t’es malade ! Pas d’accident avec une arme, merde ! Si tu maîtrises pas, dis-le plutôt que de jouer la fière, ça m’évitera de risquer ma vie pour rien ! Arrête de faire la gamine rebelle et mûris, bon dieu ! T’es une vraie gourde quand tu t’y mets, c’est pas possible !
— Une gourde ? Mais comment tu oses me parler ainsi ! Pauvre type, va ! Tu vaux pas mieux que les autres !
Furieuse, je balance l’arme à terre et me retourne. Prise d’une sombre colère, je me précipite sur le chemin que nous avons emprunté en venant, sans me préoccuper des fourrés qui viennent me griffer les jambes ni des branches qui égratignent mes bras. Je m’en veux d’avoir failli le tuer et j’en ai les larmes aux yeux. Et surtout, je suis en rage contre lui. Personne ne m’a traitée de “gourde” depuis que l’autre abruti avec qui j’étais en couple ne l’a fait. En un instant, j’ai eu l’impression de me retrouver dans la même détresse psychologique que quand mon ex me rabaissait et se moquait de moi. Bordel, pourquoi je n’ai pas avoué tout de suite à Mathias que tirer, ce n’était pas fait pour moi ? Et comment a-t-il pu oser me traiter ainsi ? Jamais, je ne lui pardonnerai.
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