59. Une idée entre deux saucisses

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Ysée

— Ah Davit, vous voilà. Toujours à l’heure et toujours avec le sourire, ça fait plaisir.

Je parviens à lui sourire malgré tout ce qui se bouscule dans ma tête et monte dans la voiture alors qu’il me tient la porte ouverte et me fait un petit signe de la tête.

— On va chez mes parents. Avec ce qu’il se passe, il faut que j’aille les soutenir un peu. Vous connaissez la route, non ?

— Oui, Madame. Vous devez être inquiète, me dit-il en jetant un œil vers moi dans le rétroviseur après s’être installé à l’avant. Je le serais à votre place. Vous voulez en parler ou vous souhaitez que je vous laisse tranquille durant le voyage ?

— Je ne sais pas, Davit. Vous en pensez quoi, de tout ça ?

— Vous savez, ma grand-mère disait toujours que jusqu’à preuve du contraire, nous ne sommes pas mort. Il faut garder espoir, je pense qu’il n’y a rien d’autre à faire.

Je soupire et me renfrogne dans mon fauteuil en regardant défiler le paysage. Ce chauffeur est un ange car à la fois, il a essayé de me remonter le moral, mais là, il respecte ma volonté de me taire et mon besoin de silence. Il a compris ce qu’il se passait et je croise à plusieurs reprises son regard bienveillant dans le rétroviseur, mais il ne fait pas le premier pas pour relancer la discussion.

— Vous connaissez l’Est, vous, Davit ? Vous auriez une idée de ce qui aurait pu arriver à mon frère ?

— L’Est est assez plat, il y a beaucoup de petits villages, de forêts, c’est assez rural. Pratique pour les rebelles qui passent inaperçus, à mon avis. Quant à votre frère… Je ne saurais dire, mais s’ils ne l’ont pas trouvé avec les autres, c’est déjà une bonne nouvelle, non ?

— Vous pourriez m’emmener là-bas ? demandé-je, soudainement prise d’un fol espoir. Je paierai pour votre temps et pour l’essence, bien sûr !

— Pardon ? Vous voulez que je vous emmène… là-bas ? Vous vous rendez compte où vous comptez mettre les pieds ?

— Il faut que je fasse quelque chose pour mon frère. Lui ferait de même à ma place.

— Lui est militaire, Madame la Ministre, c’est normal. Enfin… Avec tout mon respect, votre place n’est pas vraiment au front… me lance-t-il, hésitant.

— Oui, c’est vrai, oubliez cette demande, c’était stupide.

Je suis déçue mais réaliste. Il y avait très peu de chance qu’il saute sur l’occasion et m’emmène à l’Est. Des fois, je rêve trop. Le reste du trajet se passe en silence et je lui demande de rester le temps que je suis chez mes parents, ce qu’il accepte sans rechigner.

Je suis accueillie par les bras ouverts de ma mère qui m’étreint longuement en silence alors que mon père nous regarde tendrement. Elle finit par me relâcher et m’offre une tisane faite avec la menthe du jardin que je prends avec plaisir avant de m’installer sur la terrasse avec eux.

— Alors, comment vous allez ? Toujours aucune nouvelle, j’imagine ?

— Bien sûr que non, soupire ma mère. Tu sais comment ils sont, à l’armée… Comme si chaque militaire faisait partie des services secrets. Et toi, tu as pu te renseigner ?

— Rien, aucune nouvelle. Tout ce que je sais, c’est qu’un groupe va partir à leur recherche, c’est déjà bien, non ?

— Il est parti où déjà, Daryl ? questionne mon père. On doit se faire un barbecue, il m’a promis de vite passer à la maison.

Je suis surprise de cette intervention et ne sais pas quoi répondre alors que ma mère soupire.

— Il était en mission, Chéri, et il est porté disparu. Il ne sera pas là pour le barbecue.

— Porté disparu ? Mais non, enfin ! C’est impossible. On parle de Daryl, je suis sûr qu’il va très bien. C’est un grand gaillard !

Il semblerait que le choc de la disparition de mon frère ait grandement aggravé la maladie de mon père et cela me fait mal au cœur de le voir comme ça.

— Il ne sera pas là aujourd’hui, en tous cas, Papa. Si tu as un barbecue à préparer, tu peux t’y mettre sans l’attendre.

— Vraiment ? Il m’avait pourtant dit qu’il viendrait, soupire-t-il. C’est dommage, pour une fois que vous étiez là tous les deux en même temps.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? chuchoté-je à ma mère alors qu’il s’éloigne vers le jardin tristement.

— Je crois que le cerveau de ton père s’est mis en off pour supporter l’annonce de sa disparition… Il l’a complètement occultée, Ysée… Mais au moins, ça ne le stresse pas, c’est déjà ça.

— Et toi, ça ne te met pas trop en difficulté ? m’inquiété-je immédiatement.

— Arrête de t’inquiéter pour moi, ma Chérie. Je sais que je n’étais pas en très bon état quand je t’ai appelée, mais… Ça va, je tiens le coup.

— Mathias, le Français qui aide Julia, va lancer un groupe de recherche, c’est tout ce que j’ai réussi à obtenir… La Gitane ne veut pas se mouiller… C’est horrible d’être autant dans l’impuissance…

— Viens-là, Ysée, murmure ma mère en me prenant dans ses bras. Je suis convaincue que ton frère va bien. Ou… Qu’il est encore en vie, tout du moins. Si ce n’était pas le cas, mon cœur se serait déjà brisé, je le sais.

— Moi aussi, j’en suis convaincue. Et je suis aussi persuadée qu’il a besoin de moi. Je ne sais pas comment faire, Maman, mais il faut que j’aille à l’Est, moi aussi, pour l’aider.

— Quoi ? Mais non, Ysée, tu ne peux pas… Non, non, non ! Hors de question que tu ailles là-bas !

— Je ne vais pas abandonner Daryl, Maman ! Je n’en ai pas le droit !

— Et tu n’as pas le droit d’aller te faire tuer non plus ! Tu crois qu’un enfant militaire, ça ne nous suffit pas ? s’agace-t-elle. Tu veux qu’on enterre nos deux bébés, c’est ça ? Ysée, je t’en prie… Ne fais pas n’importe quoi.

— Vous savez à quelle heure il arrive, Daryl ? Parce que le barbecue est lancé, ce serait dommage qu’il rate l’apéritif, nous interrompt mon père.

— Papa, il ne va pas venir, dis-je, exaspérée. Tu entends ? Il n’est pas là, aujourd’hui !

— Ysée, souffle ma mère, doucement, s’il te plaît… Ton père n’y est pour rien.

— Tu ne pourrais pas aller le chercher, ma Puce ? Il adore les saucisses et ce serait dommage qu’il n’en profite pas.

Oui, il faut que j’aille le chercher, c’est sûr. Mais pour l’instant, les seuls qui vont vers l’Est, ce sont Mathias et son groupe. Et ils ne veulent pas de moi… Je ne vois pas comment faire autrement pour moi aussi me rendre à l’Est et partir à sa recherche…

— Je vais y aller, Papa, ne t’inquiète pas. Au pire, on lui met des saucisses de côté et il les mangera quand il sera là.

— En voilà une bonne idée, ma Puce ! sourit-il. Bon, c’est meilleur quand ça sort du barbecue, mais… il fera avec, il n’avait qu’à être là, après tout !

Je souris à mon Père et continue à réfléchir alors que ma mère arbore un air inquiet. Quand tout est prêt, j’invite Davit à venir partager les saucisses avec nous mais il refuse et se contente de se faire un petit hot dog et de le consommer dans sa voiture. Alors que je reviens vers la terrasse, une idée fait jour en moi et je sais qu’il faut que je creuse la piste.

— Papa, Maman, je dois y aller. Davit a eu un message de la Présidente et ils ont besoin de moi au Palais. Je suis désolée, mais je vais vous quitter.

Je mens sans vergogne, mais entre ma mère qui risque de trop s’inquiéter et mon père qui perd déjà assez la tête, je me dis que c’est pour leur bien.

— D’accord, ma Puce. Fais attention à toi, et si tu croises ton frère, embrasse-le de notre part, sourit mon père en m’enlaçant.

— Oui, je n’y manquerai pas. A bientôt ! Je vous tiens au courant si je le croise.

— Ne fais rien de stupide, Ysée, je t’en conjure, murmure ma mère à mon oreille en me prenant à son tour dans ses bras. Je ne supporterais pas de te savoir toi aussi perdue…

— Ne t’inquiète pas, Maman. Je ne ferai rien de stupide, tu me connais.

Je ne la laisse pas répondre et file vers la voiture où je demande à Davit de me ramener au Palais le plus vite possible. Je n’ai pas menti à ma mère, ce que je vais faire n’est pas stupide, même si ça reste dangereux. Et pourtant, je ne vois pas d’autre solution. Je réfléchis à mon idée sur le chemin du retour et me dis qu’il va falloir que je sois maligne. Je m’en veux un peu d’essayer de jouer sur la corde sensible, mais je n’ai pas d’autre solution en tête. Dès que nous serons arrivés, je vais demander à parler à Julia et je vais lui dire qu’elle m’est redevable car j’ai protégé ses enfants. Et qu’en échange, tout ce que je lui demande, c’est de me laisser partir avec Mathias. Et aussi de m’aider à le faire discrètement pour qu’il ne puisse pas s’y opposer. Si je me déguise, ça devrait être faisable, non ? Avec un peu de chance, mon plan pourrait fonctionner.

Quand on arrive devant le Palais, j’ai dans ma tête toutes les étapes que je vais devoir remplir pour mener à bien ma mission. D’abord, convaincre Julia de m’aider. Facile. Ensuite, trouver un uniforme et réussir à cacher mon apparence. Faisable avec l’aide de Julia. Enfin, rejoindre le groupe d’intervention et ne pas me faire repérer. Tranquille, non ? Et si ça ne marche pas… Eh bien, on verra à ce moment-là.

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