61. Honteuse et désireuse
Ysée
Je n'en reviens pas. Il croit que j'ai fait tout ça et que je vais accepter son ordre de rentrer au Palais, escortée d'un de ses hommes sans broncher ? Il pense qu'il suffit de m'aboyer dessus pour que je cède ? Il vit sur une autre planète s'il est persuadé qu'il va pouvoir se mettre entre moi et l'expédition pour retrouver mon frère ! Mais, alors que je me dirige vers lui pour reprendre cette conversation qu'il a trop vite interrompue avec sa fin de non recevoir, l'autre nana de l'équipe l'interpelle et je me vois mal faire un scandale devant tout le monde.
Je me joins donc au reste de l'équipe sans plus dissimuler mon visage ou chercher à cacher mon identité. L'équipe est vraiment très professionnelle car personne ne questionne ma présence même si je fais l'objet de regards appuyés et intrigués de tous, sauf de leur chef qui m'ignore royalement. Je participe néanmoins à toutes les tâches d'installation du camp et ne rechigne pas à m'occuper de la corvée de bois pour le feu de camp. Je sais que j'essaie de surcompenser mais je n'arrive pas à me limiter. Comme si ma capacité à rendre service allait le faire changer d'avis…
Pendant le repas, l'ambiance est tendue, Mathias est clairement énervé et n'arrête pas de lancer des piques à tout le monde sauf à moi qu'il continue à ignorer avec froideur. Il a annoncé que j'allais être raccompagnée dès demain et j'ai l'impression d'être désormais une pestiférée. Tout le monde s'écarte de moi et je me retrouve à manger seule dans mon coin. Au moins, cela me permet de réfléchir aux options qui s'offrent encore à moi. J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, si je veux pouvoir rester, c'est le beau blond en colère que je dois convaincre. Personne, pas même Julia ou la Gitane, ne pourra le faire changer d'avis. Et j'ai essayé les arguments rationnels, il semble y être imperméable.
Alors que tout le monde s'installe pour la nuit, je constate qu'il s'isole du reste du groupe et qu'il s'énerve au téléphone. Je suis sûre que Julia est en train de se faire sermonner pour ma présence ici. La pauvre… J'attends qu'il raccroche pour me rapprocher de lui.
— Mathias, il faut qu'on parle. Tu dois m'écouter.
— Je suis pas d’humeur, Ysée, marmonne-t-il sans me regarder. On va encore s’engueuler et dire des trucs qu’on regrettera, mieux vaut éviter.
— Dis-moi que tu ne comprends pas pourquoi je veux participer à cette mission pour sauver mon frère et je te promets de te laisser tranquille. Et on n'est pas obligés de s'engueuler, on peut être plus intelligents que ça, murmuré-je doucement.
Je ne sais toujours pas ce que je vais pouvoir lui dire mais s'il refuse la discussion, c'est mort. Autant abandonner tout de suite.
— Je te l’ai déjà dit, je comprends que tu veuilles être ici. Je l’ai déjà vécu. Ce n’était pas mon frère, mais c’était tout comme. Maintenant, toi, essaie de comprendre pourquoi je ne veux pas de toi ici. Mets-toi à ma place, rien qu’une minute.
Bon, c'est déjà un bon point, il ne m'envoie pas balader en m'insultant. Il me fait même signe de le suivre pour ne plus être à portée d'écoute des autres.
— Tu ne veux pas de moi parce que tu crois que je ne vaux rien en mission. C'est complètement faux. Pourquoi tu ne me donnes pas la chance de prouver ce que je sais faire ?
Je réessaie la technique rationnelle, on ne sait jamais, il a peut-être réfléchi depuis tout à l’heure.
— Une chance ? Ysée, on parle d’une zone de guerre, tu sais ? Les chances, tu ne les cumules pas. C’est pas un jeu vidéo, si tu te prends une balle, tu ne réapparais pas en bonne santé. Au mieux, tu souffres le martyre, au pire, tes parents reçoivent une nouvelle visite de militaires guindés aux visages inexpressifs qui leur annoncent sans émotion que leur gosse est mort.
— Je sais ce que c'est, la guerre. Tu n'es pas le seul à l'avoir expérimentée. Et justement, je ne veux pas abandonner mon frère s'il y a une chance de le sauver. Tu imagines continuer à vivre avec les remords de ne pas avoir tout tenté ?
— J’imagine très bien. Maintenant, à toi d’essayer d’imaginer comment tu continueras à vivre quand tu auras sur la conscience la mort d’un ou de plusieurs de ces gars, là, grogne-t-il en indiquant vaguement de la main le feu de camp au loin, parce que tu auras été incapable d’assurer leurs arrières comme eux pourront le faire pour sauver ton cul. Tu y as pensé, à ça ? Au fait que tu nous mettais une balle dans le pied parce que tu n’as pas de formation militaire ? Que tu nous mettais en danger en agissant sans réfléchir ? Que tu pouvais diminuer les chances de retrouver ton frère ? Est-ce que tu as pensé à autre chose qu’à ta petite personne, Ysée, dis-moi ? Est-ce que pour une foutue fois, tu ne t’es pas dit que réfléchir avant de parler ou d’agir serait une bonne idée ?
— Parce que tu crois que je n'ai pas réfléchi ? Tu crois que je fais ça uniquement pour moi ? m’emporté-je avant de baisser la voix. Je t'ai dit que j'avais les capacités de vous venir en aide, je le crois vraiment, sinon jamais je ne serais venue.
— Non, ce sont tes émotions qui te guident, pas ton cerveau. Et c’est normal, vu les circonstances. Sauf que dans ces conditions, tu n’es pas une aide, Ysée. Juste une putain de cible pour ces tarés !
Clairement, on reste sur le même débat que tout à l'heure et cela promet de se terminer de la même façon. Rien ne semble l'émouvoir ou le faire évoluer dans sa décision. Et je ne peux même pas jouer sur ses émotions, ce type a une telle conscience professionnelle qu'il va rester inflexible. Désespérée, je sens quelques larmes commencer à couler le long de mes joues.
— Je peux avoir un petit câlin, au moins ? Je… J'ai besoin d'un peu de réconfort et de chaleur humaine, Mathias.
— Un câlin ? Tu veux un câlin alors que… Bon sang, ricane-t-il en ouvrant les bras, t’es vraiment folle, Ysée. Allez, viens…
Je me colle contre lui et me love dans ses bras qu'il referme sur mon dos. Je sens sa main gauche se poser sur ma fesse et pose ma tête contre son torse. Je l'enserre dans une étreinte qui me fait un bien fou et ronronnerais presque quand son autre main caresse mon dos et mes cheveux que j'ai relâchés depuis que mon identité a été révélée.
— Je suis bien, là, Mathias. Pourquoi est-ce que la vie n'est pas plus simple ?
Je ne résiste pas à l'envie de passer mes mains sous son tee-shirt et parcourir de mes doigts ses abdos.
— Parce qu’il faut croire que ton pays n’est pas fait pour la paix, soupire-t-il en m’embrassant sur le front. Tu devrais aller dormir, Ysée…
— Peut-être que tu pourrais venir avec moi, non ? On pourrait approfondir ce que l'on a découvert près du lac… Toi et moi, l'un contre l'autre… Tu ne crois pas que ça pourrait nous faire beaucoup de bien ?
J'ai intensifié sans même y penser mes caresses sur son torse et mon corps s'est collé contre le sien. Avec les treillis, c'est un peu compliqué à sentir mais je jurerais que ma proposition l'excite et le fait bander. Moi, cette proximité me rend folle de désir et je n'ai qu'une envie, c'est qu'il cède à notre désir commun et jouisse avec moi.
— C’est une mauvaise idée, Ysée… Tu es bouleversée par ce qui est arrivé à ton frère et… On est en mission. Il faut rester focus, me lance-t-il doucement sans pour autant s’éloigner.
— Tu sais que si tu me laissais rester ici, on pourrait se découvrir chaque jour un peu plus. Et ce qui se passe en mission, personne n'a à le savoir. J'en ai très envie, Mat. Tu me rends folle de désir…
Je lève les yeux vers lui et y lis tout le désir qu'il ressent pour moi. J'approche mon visage du sien et dépose mes lèvres contre les siennes. Sa première réaction est de me serrer plus fort contre lui et je sens ses lèvres s'écarter pour accueillir ma langue, mais mon plaisir est de courte durée car il parvient à s'écarter un peu sans toutefois me relâcher, le souffle un peu court. Il me désire, c'est sûr.
— Je peux être vraiment très gentille avec toi et réaliser toutes tes envies, tu sais ? ajouté-je en posant ma main sur son entrejambe pour pousser mon avantage.
— Arrête ça, Ysée, marmonne-t-il en attrapant mon poignet pour rompre le contact. Tu crois que tu vas me convaincre avec du cul ? Je viens de te dire qu’on était en mission, qu’on ne pouvait pas tout mélanger… Ça ne change rien au fait que j’en ai envie, mais pas là, pas comme ça, et surtout pas dans ces conditions. Tu devrais vraiment arrêter d’essayer de jouer de ton corps pour obtenir ce que tu veux. Tu mérites mieux que ça.
— Mais je ne joue pas de mon corps… Tu ne sens pas comme tu m'attires ? lui demandé-je en mettant sa main sur mon sein.
— Ysée, gronde-t-il, presque menaçant, en retirant sa main comme si le contact le brûlait. Arrête ça, merde ! On ne baise pas en mission, c’est la règle !
— Je croyais que je n’étais pas en mission et que j’avais été remerciée. En fait, je perds mon temps avec toi. Non seulement, tu me renvoies à la capitale mais en plus, tu me fais bien comprendre que je ne t’intéresse pas. Foutu soldat, va.
Je suis complètement enragée et je me détourne de lui pour retourner au camp. Ma tentative est un échec total et en plus, j’ai honte de ce à quoi je suis arrivée. Il n’a pas tout à fait tort quand il dit que je mérite mieux que ça, que j’ai autre chose que mon corps à utiliser si je veux convaincre quelqu’un. Là, j’avoue, j’ai fait fort et je me suis complètement laissée aller à mes désirs qui ont pris le dessus sur toute rationalité ou même dignité. Je ne sais pas ce qui me fait le plus mal, entre la déception de devoir retourner dès demain au Palais ou le rejet qu’il a encore manifesté devant mes avances. Je crois qu’aucun homme jusqu’à présent ne m’avait autant résisté et il faut que ça arrive avec celui qui m’attire le plus. Je me retiens mais là, j’ai une folle envie de crier ma haine et ma rage à tout l’Univers.
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