62. Discussion à cœurs ouverts
Mathias
Elle va me rendre totalement dingue. Bon dieu, mon self control n’a jamais été mis autant à l’épreuve. Déjà qu’il me suffit de la regarder pour que mon sang s’échauffe, alors un contact me rend fou. Pourquoi j’ai résisté, d’ailleurs ? Merde, j’en crevais d’envie, moi aussi, évidemment ! La dernière fois que je me suis autant soulagé dans la douche comme ces derniers jours, c’était en mission, alors que Justine était de retour en France. Foutue Silvanie, elle aura ma peau. Je vais finir comme Rafael Nadal à une époque, avec un biceps deux fois plus gros que l’autre. La seule différence sera que le sien était le gauche, pour moi il s’agit du droit.
Evidemment que j’étais excité. Elle met mes convictions à mal avec ses avances. Mais pire que l’excitation, c’est sa façon de se servir de sa sensualité, de son corps pour chercher à obtenir ce qu’elle veut, qui m’a poussé à refuser. Elle espérait qu’en baisant, j’accepte qu’elle reste. Comment peut-on en arriver là ? Comment une femme avec un tel caractère, une telle assurance, peut-elle choisir de jouer de ses charmes de la sorte ?
Toujours aussi difficile à cerner, cette fille, c’est épuisant. Et ça m’interroge sur moi au passage. Est-ce qu’elle pense que je suis réceptif à ce genre de propositions ? Que j’utilise les femmes pour obtenir ce que je veux ? Bon… Oui, c’est en partie vrai, mais tout ce que je cherche, c’est le plaisir physique et partager, pas… Mon Dieu, je ne manipule pas les femmes comme ça !
— Ysée, attends ! l’interpellé-je en courant derrière elle pour la rattraper.
J’attrape son poignet en la rejoignant et la fais s’arrêter en soupirant. Elle ne se rebiffe pas alors que je l’entraîne au loin, pourtant ses traits sont marqués par la colère.
— Pour qui tu me prends, sérieusement ? Tu crois qu’en t’offrant à moi, tu auras ce que tu veux ? Est-ce que… Est-ce que c’est l’impression que je te donne ?
— Tu veux quoi, Mathias ? Me rabaisser une nouvelle fois ? T’amuser de me voir honteuse de mon comportement ? Eh bien, c’est réussi. Admire. Si ça peut te faire plaisir, répond-elle avec une amertume que je ne lui ai jamais connue.
Je souffle lourdement en me passant la main dans les cheveux, les ébouriffant plus que de raison, comme souvent lorsqu’il s’agit d’Ysée. Pourquoi est-ce que toutes les relations avec les nanas doivent être compliquées ? Julia m’a habitué à un truc simple : ça ne va pas, on parle, on s’explique et on oublie. On se dit les choses telles qu’elles sont et on passe à autre chose. Avec Ysée, j’ai l’impression de devoir prendre des pincettes à chaque mots, ça m’épuise.
— Ce n’est absolument pas ça, ok ? Je… Je veux que tu comprennes que je ne te repousse pas parce que je n’en ai pas envie. Comme je ne coucherai pas avec toi pour obtenir quelque chose. C’est ça que tu devais faire pour Marina, à l’époque ? J’ai bien vu comment elle voulait que tu te serves de tes atouts pour obtenir des armes, je n’en reviens pas qu’elle t’ait demandé ça.
— Non, ce n’est pas ce que je faisais à l’époque, même si ça m’a permis une fois de me sortir d’une situation compliquée. Je n’ai pas que mon physique ! Ce que je sais faire, c’est la reconnaissance. Je sais me déplacer dans les sous-bois sans faire de bruit, sans me faire remarquer. Ce que je sais faire, c’est récupérer les informations dans les lieux les plus improbables, Mathias. Et si je t’ai fait des propositions, ce n’était vraiment pas pour me servir de toi. Enfin, ce n’était pas pour ça au début même si l’idée m’est passée par la tête ensuite et que j’ai eu la bêtise de te le dire. Tu as raison de me prendre pour une pute parce que c’est vraiment l’impression que je t’ai donnée. J’en suis désolée parce que ça ne me ressemble pas.
Wow… Est-ce que je viens d’apercevoir la vraie Ysée ? Un vrai mix de la furie qui se planque derrière son caractère de cochon et une femme plus… réelle ? Merde, me voilà parti à analyser les comportements féminins pour autre chose que : je l’intéresse ou pas ? Elle sera ok pour une nuit ou pas ?
— Effectivement, tu n’as pas que ton physique, je confirme. Et je ne t’ai jamais prise pour une pute, ne dis pas de bêtise. Tu es juste paumée et… malheureuse, angoissée, inquiète. C’est normal. Écoute… Je sens que je vais le regretter, ris-je nerveusement, mais je suis prêt à envisager de te garder avec nous. Sous conditions.
Je vois à son regard qu’elle n’a pas compris où je voulais en venir et elle fronce les sourcils dans une moue que je ne peux m’empêcher de trouver adorable.
— Je ne comprends pas, Mathias. Tu es d’accord pour que je reste et intègre l’équipe ? C’est bien ça ? C’est quoi, tes conditions ? Je te préviens, si tu me gardes juste pour faire la vaisselle et m’occuper des repas, c’est mort.
— A vrai dire, je pensais plutôt au ménage, souris-je en balayant la forêt qui nous entoure de ma main. Arrête de vouloir mordre, Madame la Ministre. On est du même côté, tu te rappelles ?
— C’est quoi, tes conditions, alors ? m’interroge-t-elle, moins vindicative.
— Pas de guerre d’ego, Ysée. Je donne les ordres et ce n’est pas pour t’emmerder, c’est pour assurer la sécurité de tout le monde ici. Et tu restes en retrait. Je suis sûr que tu peux nous être utile pour retrouver ton frère, mais je ne prendrai pas le risque que tu sois blessée, du moins, autant que possible.
— Parce que tu trouves que je me mets trop en avant ? J’ai trop d’égo ? commence-t-elle immédiatement à s’énerver. Tu… Oh, je suis désolée, je… je vais avoir du mal, Mathias, j’ai horreur de me sentir remise en cause ou pas maîtresse des choses… Mais je peux essayer. Je suis sûre que je peux participer activement à la mission…
Je soupire une nouvelle fois. On n’est pas sortis de l’auberge avec elle. C’est fou qu’elle se sente attaquée systématiquement.
— Tu te souviens qu’une fois tu m’as dit que tu aimerais que je t’estime comme j’estime Julia ? lui demandé-je en posant mes mains sur ses joues pour l’obliger à me regarder dans les yeux.
— Jamais tu n’y arriveras vu comment je réagis tout le temps. Je me comporte comme une conne dès que je suis en ta présence. Comme si j’avais besoin d’être meilleure que je ne le suis.
— J’avoue que je suis sûr que tu ne te montres pas sous ton meilleur jour. Parce que je l’ai perçu, le meilleur jour. A chaque fois que tu t’occupais de Lila et Sophia, quand tu parles de ta famille, quand tu te plonges corps et âme dans l’organisation d’un concert qui te passionne. Quand tu attrapes un fusil d’assaut pour protéger mon cul, que tu avances en pleine nuit au beau milieu d’une forêt pour nous guider loin de ces tordus. Ou quand tu penses que personne ne te regarde et que tu baisses ta garde.
— Ça veut dire que tu me gardes quand même ? me demande-t-elle, pleine d’espoir.
— Seulement si tu me permets encore d’apercevoir le meilleur jour. Ce n’est pas parce que tu t’effaces un peu pour obéir à des ordres que tu es faible, Ysée. Fais-moi confiance et laisse-toi porter, je veux juste qu’on rentre tous, ton frère inclus, sur nos deux jambes et avec le sourire.
— À vos ordres, Chef ! me répond-elle avant de m’adresser un sourire irrésistible.
C’est le moment où mon cerveau choisit de débrancher. Je n’ai pas le temps de mesurer mes gestes que mes lèvres rejoignent les siennes. Bien loin de la vigueur de notre baiser à la rivière, nos bouches se cherchent, se taquinent, jusqu’à ce que nos langues entrent à leur tour dans la danse. C’est étonnamment doux, surtout quand on sait comme elle et moi pouvons nous affronter au quotidien.
— Tu vois, c’est pas compliqué, souris-je contre ses lèvres. Et ne prends pas ça comme un paiement pour avoir accepté, j’en avais juste… envie.
— Tu sais que tu es un grand malade, Mathias ? Pour que tu t’intéresses à moi, il faut soit que j’ai une arme en main, soit que je me comporte en bonne soldate. Tu trouves ça normal ? répond-elle en souriant mais sans s’éloigner de moi.
Je ricane en caressant ses lèvres de mon pouce.
— Ysée, si tu savais à quel point je suis malade… Te voir en treillis me rend complètement dingue, c’est pour dire ! Surtout quand on sait que tu t’es baladée en nuisette sous mes yeux !
— Oui, il va falloir que je revois toutes mes stratégies avec toi, il me semble. Tu crois que ça existe, les nuisettes en treillis ? Par contre, il va falloir que tu te soignes un peu, pas sûre que ça soit une bonne idée de passer notre temps à nous bécoter devant ton équipe.
Une nuisette en treillis ? Jamais vu, et je ne suis pas sûr que ça m’exciterait comme l’uniforme. En fait, le treillis ne m’a jamais vraiment excité, c’est tout sauf sexy, ça cache les formes… Mais là, je sais ce qui se cache sous l’épaisseur des fringues et je me dis que ce serait un joli cadeau à déballer.
Je m’apprête à l’embrasser à nouveau mais me stoppe dans mon élan. Tout ça va trop loin, ce n’est absolument pas le moment. Je grogne en reculant, enfonçant mes poings dans mes poches.
— T’emballe pas, Ysée, je ne suis absolument pas du genre à bécoter. Tu sais, ce n’était qu’un simple baiser, rien de plus. Je n’en suis pas à te sauter dessus à chaque instant ! Je te rappelle qu’on est en mission et qu’on a autre chose à faire que de fricoter comme des ados. Retrouver ton frangin, par exemple. Pas de place pour le reste, lancé-je plus froidement que je ne le devrais.
J’ai l’impression que “Snow” ne m’a jamais aussi bien collé à la peau qu’à cette seconde… Bien loin de la douceur d’il y a quelques minutes…
— Oui, je vois, répond-elle sèchement. Juste un simple baiser, hein ? Bref, merci de me laisser rester, Chef. J’attends les ordres et je promets de ne pas me faire remarquer.
Le mépris qu’elle met dans le mot “Chef” est fort et voulu, et j’avoue que je n’apprécie pas du tout cette façon de s’adresser à moi. Mais en même temps, je le mérite un peu, il me semble.
— Bien, soupiré-je. Alors va dormir, la journée de demain va être longue. Bonne nuit, Ysée…
Je tourne les talons pour m’enfoncer un peu plus dans la forêt sans attendre sa réponse. C’était la meilleure chose à faire, même si c’était un peu cruel de ma part. Focus sur la mission, et si après, elle est encore disposée aux bécotages, je crois bien que je replongerai avec plaisir sur cette jolie bouche, et bien plus encore. Prioriser, c’est ce qu’il faut faire, quand bien même je crève d’envie de faire demi-tour et de m’excuser en la suppliant de me laisser l’embrasser encore.
Annotations