66. Lucky Luke

9 minutes de lecture

Mathias

Inspirer. Expirer. Encore… et encore.

Mon palpitant a du mal à se calmer et je fusille du regard les gars qui se moquent silencieusement de moi avant de m’éloigner du campement. Elle va me tuer. Ou se faire tuer. Les deux, sans doute, en vérité.

“Je n’ai pas réfléchi…”

Clairement, non, en effet. Bon sang, il faut que je me calme, que j’applique moi-même mes propres conseils. Cadenasser mon petit cœur. Parce que ma réaction en découvrant qu’elle n’était pas sur le camp a été disproportionnée. J’aurais pu étouffer cet imbécile de Ladko de mes propres mains pour l’avoir laissée partir seule. J’aurais pu retourner tout le campement tellement ça m’a énervé de savoir qu’elle avait encore fait n’importe quoi. Je n’aurais jamais dû promettre à Julia de la ramener saine et sauve, parce qu’Ysée est un électron libre qui n’obéit qu’à ses émotions. Tout le temps. Et je déteste ça. Ici, sur le terrain, c’est ce qui pousse à faire des bêtises, met en danger les autres, cause des morts.

Et le pire, dans tout ça, c’est qu’elle n’a semblé prendre conscience de sa folie que lorsque je lui ai remonté les bretelles. Comme si elle ne mesurait pas les risques. Je ne sais même pas pourquoi ma colère est retombée comme un soufflet… Elle m’a paru tellement honnête dans ses réactions que je me suis rendu compte que c’est moi qui avais commis une bourde. Evidemment que je n’aurais pas dû la laisser dans l’inactivité. Rien de tel, dans ces circonstances, pour qu’elle se sente inutile alors qu’elle veut retrouver son frère.

Je bouillonne et parviens difficilement à calmer mes pensées. Dans un monde idéal, je partirais pour une bonne grosse heure de footing, ou j’irais m’enfermer dans la salle de sport au bureau pour malmener le punching ball et déverser mes doutes, m’épuiser pour arrêter de réfléchir et de me culpabiliser. Sauf qu’on est au beau milieu d’une forêt et que je ne peux pas montrer mes faiblesses au reste de l’équipe. Je crois qu’il en ont déjà trop vu.

Je vais tuer Julia d’avoir flanché et aidé Ysée à s’incruster.

Après quelques minutes supplémentaires en solitaire, je regagne le campement et m’installe un peu à l’écart, carte en main, pour l’annoter après nos sorties respectives. Toujours aucune trace de Daryl et ses compagnons, mais ça ne m’étonne pas plus que ça. Nous sommes tombés, avec Seb, sur trois petits groupes de rebelles censés surveiller les alentours. La marge de manœuvre est réduite pour progresser en territoire conquis par l’ennemi. S’ils sont désorganisés au sein des équipes, la stratégie globale est bonne.

Personne ne vient me déranger, hormis Seb qui m’apporte mon repas, sans poser de question ou même me parler. Ma tête doit être suffisamment expressive pour que tout le monde ait compris que je ne suis pas d’humeur. Ils interprètent cependant mal les raisons de ma colère, je crois, parce que c’est contre moi qu’elle est dirigée, pas contre Ysée ou l’autre imbécile qui l’a laissée se barrer comme ça. Bon, ok, il m’énerve un peu, mais mon manque de discernement est la raison principale de mon agacement.

— Ysée, viens voir, lancé-je plus froidement que je ne le voulais. S’il te plaît…

Je ne lève pas la tête de mes documents mais l’entends soupirer, se lever et approcher, incertaine. Ouais, j’ai grave merdé, je crois.

— Tu peux me dire où tu étais ? lui demandé-je quand elle se plante devant moi. Enfin, me le montrer sur la carte, si tu repères le village. Qu’on n’y retourne pas pour rien.

— C'était juste là, répond-elle rapidement en pointant son doigt sur la carte. Et il y en un autre ici où il faudrait envoyer une équipe, ajoute-t-elle en indiquant un autre point, mais sans oser me regarder.

Je marque d’une croix le village visité et entoure l’autre en soupirant.

— Il va falloir qu’on lève le camp pour se rapprocher, je pense. On est trop loin, même si ça nous assure plus de sécurité. Ecoute, Ysée… Je suis désolé pour tout à l’heure. Enfin, non, je ne suis pas désolé de t’avoir exprimé le fond de ma pensée, mais tu avais raison, je n’aurais pas dû te laisser inactive.

— Et moi, j'aurais dû réfléchir un peu plus… Et puis, tu sais que tu ne pourras pas me protéger de tout ? Il faut que tu apprennes à lâcher prise aussi…

Reste calme, Mathias…

— Tu fais partie de l’équipe, mon objectif, c’est qu’on rentre tous à la maison. Si tu avais disparu, toute l’équipe serait partie à ta recherche, alors désolé mais lâcher prise n’est pas une option pour moi. Pas quand il s’agit de la vie de personnes sous ma responsabilité.

— Oui, Chef. Je comprends. Autre chose ? Il te faut un autre bisou pour continuer à me faire pardonner ? me répond-elle, avec un petit air mutin adorable.

— Tu mériterais surtout une bonne fessée ou deux, si tu veux mon avis.

— Je suis déjà en route pour ma prochaine aventure, alors. J'adore les fessées, Chef.

— Vraiment ? souris-je. J’ai souvenir de toi me disant que le type qui te collerait la fessée n’était pas né, pourtant.

— C'était avant, quand je ne faisais pas de bêtises sous ton commandement, ça. J'ai peut-être changé d'avis, conclut-elle en posant ses yeux sur mes mains.

Je dois faire preuve d’un self control hors du commun pour ne pas la basculer sur mes genoux dans la seconde et lui rappeler l’effet de mes mains sur son corps. Mais je n’ai pas le temps de rétorquer que la voix de Jérémy se fait entendre au loin.

— On n’est pas seuls !

Fin de self control. J’attrape Ysée et l’attire au sol en me positionnant à demi sur elle, mon visage tout près du sien.

— Pitié, Ysée, j’ai besoin que tu fasses ce que je te dis sans broncher maintenant, l’imploré-je alors que nous sursautons tous les deux en entendant des coups de feu.

— Et je dois faire quoi ? me demande-t-elle en regardant autour de nous pour trouver l’origine de l’agitation. Tu comptes m’écraser encore longtemps ou tu sors ton flingue pour nous défendre et faire en sorte qu’ils arrêtent de nous canarder comme des lapins ?

— Bon dieu, même dans ces circonstances, t’es chiante, grimacé-je. Reste au sol, les gars sont éparpillés un peu partout et tant que je ne t’aurai pas appris à viser, je n’ai pas envie de risquer de me prendre une balle. Fais-le, s’il te plaît, je ne veux pas m’inquiéter pour toi en plus des gars.

— D’accord, Chef. Tu peux compter sur moi, répond-elle en sortant tout de même son arme.

J’acquiesce, plante un baiser sur ses lèvres sans réfléchir et me redresse pour observer les alentours. Les méchants sont loin, heureusement, mais les gars essuient pas mal de tirs. Est-ce qu’ils nous ont suivis ? Nous avons pourtant fait attention et je n’ai pas eu l’impression qu’ils nous aient repérés lorsque nous rentrions au camp. Dans tous les cas, il va vite falloir qu’on décampe, parce qu’on va ameuter tous les rebelles du coin.

J’effectue une rapide analyse de la situation et me rends compte que notre position risque de rapidement devenir critique si on ne bouge pas. Nous ne sommes pas encore encerclés, mais ça pourrait rapidement être le cas.

— Les gars ! On lève le camp, on se replie par le Sud !

Je rejoins mes hommes en ripostant, à la fois agacé de devoir en arriver là, mais je ressens aussi la pointe d’adrénaline qui m’a tant manqué. J’ai l’impression de retrouver une partie de moi et ça pourrait sembler moche de dire ça étant donné que je suis en train de tirer sur des gens, j’en conviens.

— Seb, allez-y, on vous couvre avec Jérémy. Ysée est derrière notre tente, récupère-la au passage.

Ce que j’aime avec les militaires, c’est que personne ne discute. Celui qui donne les ordres le fait, les autres exécutent. Je sais que Seb ronchonne intérieurement qu’on ne reste qu’à deux devant, mais il ne dit rien, annonce qu’il se replie et s’exécute. Point.

En face de nous, les gars tirent sans vraiment nous viser, comme s’ils se disaient que canarder au hasard allait permettre de frapper plus fort. Ce qui pourrait l’être, si nous étions cent personnes en face d’eux. Ce serait un vrai carnage, le cas échéant. Jérémy et moi faisons de même le temps de voir que les autres sont éloignés, puis nous décampons à couvert avant de nous installer pour pouvoir faire de vrais dégâts. En commençant à viser l’ennemi, je suis satisfait de voir que nos hommes ont embarqué les caisses de nourriture et d’armes, prévoyants.

— Mat, il faut qu’on y aille, ils avancent trop rapidement !

— Attends, on a un bon angle pour les avoir !

— Ils sont encore beaucoup trop nombreux pour qu’on puisse faire le vide, bouge !

Ok, lui discute les ordres. En soi, il n’a pas tort, on va rapidement être à court de munitions et se retrouver coincés, mais j’ai un peu l’impression de venger Lila et Sophia en m’en prenant à eux. Qui a dit que j’étais pro, déjà ? Ouais… Pas toujours.

Je suis donc docilement Jérémy et nous nous faufilons entre les arbres, non sans les gratifier de quelques balles pour qu’ils n’aient pas le temps de viser.

Je souris lorsque nous arrivons au point de repli. Le reste de l’équipe est en position pour accueillir nos assaillants. Je vois que Seb est toujours aussi organisé et prévenant. Ce fou a déposé, l’air de rien, des chargeurs sur une vieille souche d’arbre et quelques grenades juste derrière. Un coup d’œil dans sa direction me ramène quinze ans en arrière. Jérémy et lui n’ont jamais été de grands expansifs, ce sont des bourrus, des forces tranquilles au regard parfois un peu fou. Là, il a clairement l’air du gars ravi de faire griller des vilains, c’est flippant. Mais toujours moins que le geignement, suivi d’un bruit sourd, qui me ramène direct à la réalité. Jérémy vient de lourdement tomber au sol et j’entends un cri bien avant de comprendre que c’est de ma bouche qu’il sort.

Je ne réfléchis plus, dégoupille les grenades et les envoie une à une. Je jure de faire un don à une asso de protection de la forêt en rentrant, mais là, tout ce qui m’importe, c’est de récupérer et de mettre en sécurité mon homme. Je m’élance juste après avoir lancé la dernière grenade, attrape Jérémy par son gilet pare-balle et l’entends grincer des dents lorsque je le tire pour l’embarquer avec moi.

— Désolé mon pote, je t’offrirai une bière pour me faire pardonner, promis.

Je continue de le tirer et m’abaisse brusquement lorsque j’entends siffler une balle tout près de moi. Putain, y a encore des survivants ? Je pensais avoir suffisamment balayé le périmètre pour que nous soyons tranquilles.

Je me ratatine sur moi-même quand l’enfoiré qui ose me viser réitère avec une nouvelle salve, et m’apprête à tirer à mon tour lorsque j’entends un coup de feu venant de derrière moi. Le type s’effondre au sol et je reste comme un con en voyant que la personne derrière le fusil qui vient de me sauver le cul n’est autre qu’Ysée. Putain, c’est mon cul qu’elle aurait pu blesser, mais à cet instant, tout ce que je ressens, c’est un élan de fierté qui lui est destiné… et une montée de désir pas possible, que je réfrène en chargeant Jérémy sur mon épaule pour le ramener à l’abri.

— Faites le tour pour vous assurer qu’on est tranquilles. Je veux deux gars postés à cinq cents mètres pour être sûrs qu’on n’ait pas attiré davantage de ces connards. Tout le monde va bien ?

Ils opinent du chef et se dispersent, mais j’attrape la main d’Ysée qui s’apprêtait à partir également, lui montrant d’un signe de tête Jérémy.

— Je vais peut-être avoir besoin d’un coup de main. Et puis, il faut que tu assures nos arrières, au cas où, lui lancé-je en sortant du matériel médical de l’une de mes poches. Hé, Ysée… Merci. Je vais t’appeler Lucky Luke, maintenant.

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