14. Un loup bien loin de la meute

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Les plaines et les forêts défilaient sans distinction sous les sabots de sa jument. Rhiannon n’entendait même plus le martèlement du sol sur leur passage, ni même la respiration désormais lourde de l’animal. La jeune Dhakarie n’avait cessé de galoper jusqu’à ce que sa bête finisse par ralentir, exténuée par tant d’efforts continus. Il fallait bien se rendre à l’évidence malgré tout, un cheval mort ne lui serait d’aucune aide. Mais la jeune fille ne voyait plus vraiment la route devant elle. Depuis combien de temps était-elle en selle ? Des heures, très certainement. Et qu’allait-il advenir de Gerwyn ? Et de Faol ? Ils allaient payer le prix fort pour l’avoir aidé. Nauséeuse, prise de vertige, Rhiannon s’évanouit et tomba de cheval dans une inconscience lourde.

Ce sont des bruits de fers à cheval tambourinant, suivis de bruits de sangles et de pas qui la réveillèrent. Le corps engourdi et la vision floue, la jeune femme peina à se redresser des brins d’herbe et de la terre. Quand elle reprit ses esprits, elle distingua trois hommes autour d’elle, dont un à cheval. Rhiannon se réjouit que sa jument n’eût pas pris la fuite mais se renfrogna l’instant d’après. Sa pleine conscience retrouvée, elle s’apprêta à se faire arrêter.

« Bon retour parmi les vivants… Jolie jument, où l’as-tu trouvée ? dit un jeune homme en caressant l’animal. Le cavalier avait fière allure et il aurait pu être très séduisant sans cette longue cicatrice qui lui fendait la lèvre.

- Je l’ai achetée à la foire aux chevaux la dernière fois que je suis allée à Burnstone, mentit Rhiannon.

- On peut t’en débarrasser tout de suite si tu veux, et pour pas cher, dit un deuxième homme au regard perçant, avec un sourire qui comportait bien trop de dents pour une si petite bouche. Sinon, file-nous ce que tu as, et en vitesse, allez, ordonna-t-il à Rhiannon en la menaçant d’un couteau.

Des voleurs, il ne manquait plus que ça !

- Laisse-la, Alfryd, dit le troisième homme monté à cheval avec des entrelacs tatoués autour de l’œil droit. La demoiselle doit voyager depuis des jours et n’a visiblement rien de valeur sur elle. Tu as encore une bonne demi-journée de marche devant toi d’ici pour atteindre Burnstone, dit-il à Rhiannon d’un ton impérieux. Que fais-tu sur cette route ? »

Rhiannon ne se rendit compte qu’à cet instant de la situation délicate d’où il lui sembla désormais difficile de sortir. Elle s’aperçut de la distance qu’elle avait parcouru depuis qu’elle avait décidé de prendre la fuite. Pas étonnant qu’elle se fût écroulée de fatigue au beau milieu de sa route comme un sac de farine chez le meunier. Mais plus embarrassant encore, la jeune femme était allée se perdre dans les plaines de l’Easttona, qui l’avaient beaucoup trop rapprochée du Clan des Chevaux, loyal à son défunt père. Rhiannon prit brièvement le temps de penser sa réponse, visiblement ces trois hommes ne l’avaient pas prise pour la fuyarde qu’elle était. Du moins, pas encore.

« Mon maître m’a envoyé à Burnstone quérir un cheval pour son fils, fabula la jeune femme.

- Quérir un cheval ? Tu ne pouvais pas mieux tomber, aujourd’hui c’est jour de courses… tu auras peut-être de la chance si tu te dépêches, les premiers arrivés sont les premiers servis, dit le balafré dans un sourire narquois.

- Hé, Hemdam, regarde-la bien, dit Alfryd au balafré dans un ton grotesque. Elle, une fille d’écurie ? Maigrichonne comme elle est, je ne l’imagine pas tenir deux jours dans un haras. Pas avec des chevaux bien montés en tout cas, ricana-t-il.

Mécontente, Rhiannon manifesta sa réticence par une grimace.

- Tu as bien raison. Et l’odeur laisse à désirer, tu ne trouves pas ?

- En effet, on ne peut pas dire le contraire.

- Tu es en selle depuis combien de temps ? demanda l’homme tatoué, descendu de cheval. Tu es seule avec ta jument et ton arc, et tu n’as pas l’air d’avoir beaucoup de monnaie sur toi. Avec quoi comptes-tu payer ce fameux cheval ?

- Mon maître me paie assez pour lui trouver et lui livrer le cheval qui lui sied.

- Et on peut savoir quel est cet heureux bienfaiteur ?

- Mon seigneur me paie également assez pour conserver son anonymat. Mais à ta place, je ne mettrai pas sa parole en doute pour autant, bien au contraire, le défia Rhiannon.

- Je vais te dire une chose, jeune fille, dit l’homme à l’œil tatoué d’une tête de cheval nouée d’entrelacs en lui tenant les joues. Tu ressembles drôlement à cette fille du Fort de Striga tombée en disgrâce pour avoir tué son père. »

Rhiannon s’enfuit vers sa jument, mais Alfryd et Hemdam la rattrapèrent d’une main ferme.

« Tu sais que la chef Tegwen et tes sœurs offrent pour ta capture une récompense qui ferait perdre la tête à n’importe quel honnête Dhakari ? Allez la livrer aux Loups, ordonna-t-il à ses sbires. Puisse leur chef m’accorder les faveurs que j’exigerai en échange de ta vie », dit-il à Rhiannon d’un air mauvais.

***

Le départ de la course allait être donné sans plus tarder. Les hommes alpaguaient les inscripteurs en leur agitant leurs pièces, leurs bijoux ou encore une poule sous le nez dans une cohue générale. Puis ils prenaient place le long de la piste pour être le mieux placé possible. Les spectateurs parlaient fort, tapaient des mains, criaient tout en buvant leur lait caillé.

Les poulains et chevaux sur la ligne de départ étaient tous issus des plus beaux élevages de Burnstone. Ils étaient montés par des enfants de six à douze ans, garçons et filles, tous les gens de la cité se devaient d’être des cavaliers accomplis et ce dès leur plus jeune âge.

Le départ de la course sonna, les enfants s’élancèrent sur leurs montures dans un tonnerre de sabots. Les cris fusèrent, les chevaux décaissaient de la boue sur leur passage. Arrivés au moment fatidique du demi-tour, certains perdaient en vitesse et en efficacité, quand un jeune garçon et son poulain prirent la tête de la course. Un instant plus tard, une fillette et son cheval tombèrent à terre, elle se couvrit la tête en priant de ne pas se faire piétiner. Le garçon de tête, lui, poursuivit sa lancée, talonnés par ses concurrents, mais il parvint à franchir la ligne d’arrivée sous une pluie d’applaudissements.

Selon la coutume, le dernier arrivé ne pouvait s’en prendre qu’à la malchance, son manque d’expérience ou la réputation de son entraîneur, car à Burnstone, jamais les qualités du cheval n’étaient remises en cause. L’honneur leur revenait toujours.

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