31. La vengeance pour le pardon

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Le vent de la nuit souffla avec âpreté, faisant danser les flocons dans l’air. La lueur des bougies du druide créait une ambiance chaleureuse qui contrastait avec le froid sévère qui régnait l’extérieur. Au petit matin, la neige immaculée recouvrait le paysage, la nature était figée dans le silence, comme si elle retenait son souffle.

Dans les derniers instants avant son départ, sans s’y attendre, Rhiannon entendit haleter derrière elle. Elle se retourna pour voir Faol hésitant, indécis, qui regardait dans toutes les directions, sans être sûr de savoir qui il avait en face de lui. Alors la jeune femme s’accroupit en appelant son chien, une fois, deux fois, trois fois. Soudain, dans un élan de joie, Faol se rua sur sa maîtresse, la faisant tomber à la renverse dans la neige, la queue frétillante.

« Par Dhak ! Rhiannon ! cria Aalldora.

- Inutile d’appeler la garde, je suis simplement venue livrer le message qui j’espère trouvera grâce à vos yeux… Je ne reste pas, j’ai trop tardé, dit Rhiannon en mettant tristement fin au jeu qu’elle menait avec son chien.

- Un message ? Quel message ?... Tu vas te battre du côté des Lynxs ? lui demanda sa sœur en la voyant remonter à cheval.

- J’ai d’autres projets… Je vois qu’il t’aime bien, admit Rhiannon avec mélancolie.

- Faol ? C’est un bon chien, un vaillant gardien.

- Pourras-tu veiller sur lui comme il veille sur toi, Aalldi ? Jure-le-moi, s’il te plaît.

Quelle que fût la voie sur laquelle sa sœur s’apprêtait à s’engager, Aalldora ne put percevoir au-delà de son opacité et de son caractère potentiellement dangereux. D’autant qu’elle reconnaissait finalement bien là Rhiannon qui ne se laisserait aider sous aucun prétexte.

- Je te le promets. » jura Aalldora avec tact.

Alors Rhiannon tira les rênes de sa monture et partit vers l’inconnu, laissant dans son sillage derrière elle son fidèle ami poilu et une sœur déconcertée de s’être faite appeler pour la première fois de la bouche de Rhiannon par son surnom.


***


« Il est vrai que la guerre a fait des ravages sur nos terres et parmi notre peuple. Mais aurais-tu oublié que ce sont les Loups qui ont tué Raido lors de leur raid sur Arnarolt ? Leur culpabilité dans cette tragédie ne peut être ignorée. Alors à quel moment as-tu perdu l’esprit ? s’emporta Jera, la capitaine de la garde, la veille du duel.

- La mort de mon frère reste une blessure dans mon cœur et je ne l’oublierai jamais. Mais que laisserons-nous en héritage à nos descendants si ce n’est qu’une terre dévastée, des familles brisées, des traditions vouées à l’oubli si nous persistons ? pesta Pertho.

- La fille disparaît avec la tête d’Ealdred et tu espères qu’elle va la livrer à Tegwen selon tes termes ? Es-tu devenu fou à ce point ? Tu ne peux tourner le dos à ton devoir envers ton frère et ton peuple. La vengeance est une force puissante et elle brûle encore en nous tous.

- Nous n’étions pas en âge de nous battre à l’époque, Jera… pourtant tu l’aimes encore… même après tout ce temps, je le sens… Mon père a eu tort de reporter ta décision sur moi à la mort de Raido… Il était ton premier choix, pas vrai ?

- Et toi tu fais plus confiance à cette fille qu’à moi ! Et si c’était un piège, Pertho ? Crois-tu que Tegwen va se contenter de ça ? Au moins, je suis celle de nous deux qui n’aie pas été tentée par un animal !

- Les Lynxs savent à quoi s’attendre. Si c’est un piège, alors ils se battront, il se sont entraînés toute leur vie pour ça. Et puisque tu en parles, les restes de mon frère, Futhark l’en préserve, alors très peu pour moi ! » fulmina Pertho.

Plus tard, au soleil couchant, il partit en direction de la hutte de Kurere, pour le préparer à ce lendemain déterminant.

« Tegwen m’attend pour un duel qui décidera de l’avenir du Royaume tout entier. Mais Rhiannon est partie seule de son propre chef avec la tête du meurtrier à Striga. Je me sens comme si je m’étais fait brebis. Si je m’incline demain devant Tegwen, ne sera-ce pas perçu comme une faiblesse ? Mes hommes pourraient me juger et me trahir.

- Pertho, laisse-moi te rappeler que la véritable force réside dans la capacité à aller au-devant des situations, de faire face et de ne jamais détourner le regard. Si tu peux leur montrer cette force, alors tu gagneras et garderas leur respect et leur soutien.

- Raido m’est réapparu en rêve la nuit dernière. Je ne peux ignorer les torts causés à ma famille et à notre clan.

- Tu m’as raconté il y a longtemps que ton frère t’avait caché de l’ennemi et qu’il avait été tué alors qu’il n’était pas armé. Pertho, la règle contraint les seconds fils à vivre aux dépends de leurs aînés, souvent par abnégation ou modestie. Mais à ta naissance, Berkano était si fier qu’il te portait haut au-dessus de l’assemblée, il s’estimait chanceux, prêt à vivre l’avenir. Ton frère a tenu à te protéger avec ses seuls moyens à disposition avant d’être emporté par la mort. Le chemin vers la paix n’est pas le plus aisé, Pertho, mais cette voie n’est pas celle de l’oubli. Elle consiste à reconnaître les erreurs du passé, et à bâtir dessus un avenir meilleur. Tu as demain le pouvoir de changer le cours de notre histoire, sers-t’en. Et ne sous-estime pas la fille-louve, vous pourriez avoir plus en commun que tu ne puisses imaginer. Que les esprits te guident et te protègent. »

Pour mettre à exécution le cérémonial, la chamane avait peint des symboles sur le visage de Pertho et l’avait emmené sur la plage de galets en contrebas de la jetée, là où les trois antiques épées avaient jadis été plantées. Kurere avait amassé devant le jeune homme les pierres sacrées et mis le feu au totem du clan, diffusant ainsi une fumée noire qui éveillait les sens. Puis les voix gutturales et les percussions lourdes et régulières invoquèrent les esprits pour encourager le guerrier dans son combat.

« Ô ancêtres valeureux, je vous honore et vous demande de le guider dans le combat. Que son épée ne serve pas seulement à vaincre ses ennemis, mais aussi à protéger ceux qui sont dans le besoin. Que sa force soit justement employée, et son bras ne se lève que pour défendre l’honneur et la valeur. Puisse-t-il être fidèle à l’essence de nos ancêtres, esclaves ou rois de Dhak, et marcher sur le chemin de la vertu. »

Le lendemain, Pertho avait rassemblé son armée sur le champ de bataille. L'esprit féroce de ses berserkir transpirait, les cris de guerre rugissaient. L'union des glaives et des boucliers à ses côtés démontrait toute la puissance des troupes du clan, et Pertho avait décrété que les dieux étaient de son côté en ce jour de duel.

Tegwen s’avança parmi les membres de son clan et de ses alliés. Des jeunes hommes et femmes qui lui avaient prêté allégeance et pour qui elle était source d'inspiration. Des vieux guerriers affirmés, qui, bien que las de leur existence, préféraient mourir au combat à ses côtés plutôt que dans leur lit.

Le moment si grandiose était enfin arrivé lorsqu’ils se retrouvèrent face à face, prêts à s’affronter dans ce duel qui scellerait le destin de leurs clans en conflit depuis des années. Cependant, alors que la tension était à son comble, Tegwen, dans un acte audacieux, rengaina son épée.

« Soldats, vous vous êtes vaillamment battus. Dans cette bataille, j’ai vu la peur inonder vos regards, j’ai aussi senti la rage de vaincre dans vos cœurs. J’ai vu les haches voler dans les airs, les boucliers se briser, comme le destin de ceux qui les ont portés. Des heures durant, vous avez percé au travers des lignes ennemies. Des heures durant, vous vous êtes brisés le crâne à coups de marteau dans un fracas assourdissant. Des heures durant, le sang des plus valeureux ont engorgé ces terres. Ce matin même, Pertho nous a apporté la tête du traître qui nous a mené sur ce champ de bataille. En échange de quoi, j’accepte la totale indépendance de son clan et de ses terres. »

Les guerriers Lynx hurlèrent victoire comme un seul homme.

« Vous répondrez tous dignement à l'appel de Dhak quand l'heure viendra pour vous de livrer l’ultime combat. Mais pas aujourd’hui. »

La manœuvre avait fini par payer malgré le sacrifice. Tous brandirent leur glaive au-dessus de la mêlée en clamant la fin des hostilités.


***


La proximité avec les quartiers populaires d’Elterbourg donnait à l’établissement une ambiance ni bonne ni mauvaise. A l’entrée se dressait un écriteau à annonces, où l'on lisait autant de missions que d'offres de services, hélas pas toujours des plus honnêtes. Passé le vestibule, le relais du Passeur d’Ambre battait son plein. De part et d’autre de la salle principale, des voyageurs jouaient aux dés, tandis que d’autres y buvaient tout leur soûl ou tentaient leur chance auprès de dames de compagnie, d'autant plus conciliantes si le prix versé était élevé. Le pain au bouillon de chapon du relais, bien que parfois clairsemé, tenait toute la journée aux corps des clients ; Rhiannon s’assit au comptoir et en commanda une écuelle, se réjouissant par avance d’une soupe bien chaude par ce temps glacé.

Après s’être délectée du potage onctueux et persillé, elle renvoya son assiette au tavernier et lui demanda une eau-de-vie de raisin. Le liquide, quelque peu râpeux, lui brûla la gorge, ce qu’elle ignora. Pertho et les Lynxs avaient-il eu gain de cause ? Avaient-ils dû livrer bataille ? Peut-être avait-elle fini par avoir confiance en lui après tout ? Elle qui se confortait maintenant à l’idée qu’elle ne rentrerait jamais sur Dhak… Quoi qu’il en fût, elle s’était rendue à la frontière à Elterbourg dans le but de trouver refuge… et une escorte vers Dunedoran.

« Tu es disponible ce soir, ma jolie ? l’interrompit un homme au visage disgracieux.

- Va-t-en, je ne suis pas à vendre, lui répondit Rhiannon.

- Oh, mais tout peut se vendre, ma belle. Je loue une chambre pas très loin, avec une baignoire… et de l’eau à bonne température.

- J’ai dit va-t-en, lui répéta en le repoussant la jeune fille qui commençait à perdre patience.

- Allez, ne fais pas d’histoire, menaça l’homme en lui plaquant un couteau de chasse contre la gorge.

- Tu vas devoir partir, lui rétorqua Rhiannon, droit dans les yeux.

- C’est ta main sur ma fiancée ? répliqua l’étranger au visage pâle et au long manteau gris qui vint s’interposer.

- Oui, c’est ma main. D’ailleurs, je serai ravi de la poser sur toi en premier, le pisse-froid. »

L’étranger ne se fit pas prier. Il bloqua d’un coup d’un seul le bras de l’homme au physique repoussant, puis lui plaqua la tête sur le comptoir en lui plantant son propre couteau de chasse devant le visage.

- Maintenant, tu vas m’écouter attentivement, lui siffla l’étranger alors que l’autre geignait. Je te laisse une dernière chance de quitter cet endroit de ton plein gré ou je me ferai un plaisir de te voir partir de cette pièce en rampant.

Sans réponse de la part de l’homme bouffi, il lui empoigna le col et le força vers la sortie.

- Tu me le paieras cher, le pisse-froid !

- Pas si je te le fais payer avant ! »

S’assurant que la situation était rentrée dans l’ordre, l’étranger revint ensuite vers Rhiannon.

- Tout va bien ? lui demanda-t-il poliment.

- J’en ai vu d’autres. Autre chose ? répondit-elle sèchement.

- Une bière serait trop demander de ma part ? Juste une bière, une bière brune, et ensuite je vaquerai à mes occupations, comme si nous ne nous étions jamais rencontrés.

Rhiannon accepta en soufflant par le nez.

- Une bière brune pour mon ami, s’il te plaît, demanda-t-elle au tavernier.

- Offerts par la maison, dit ce dernier en leur servant une pinte et un deuxième verre d’eau-de-vie.

- Et en quoi consistent tes occupations ? renchérit Rhiannon, suspicieuse mais curieuse après un moment de silence.

- Je voyage, je rends… service.

- Et quels genres de services ?

- Ne compliquons pas les choses inutilement, veux-tu ? lui dit-il d’un ton franc. Que cherches-tu ?

- Un guide pour Dunedoran. Ma sœur s’est enfuie au couvent alors qu’elle est promise à un riche marchand, j’ai la lourde tâche de la dissuader de rentrer dans les ordres, inventa la jeune femme.

- A Dunedoran ? Il semble s’y passer des choses ces derniers temps, la sécurité y a été renforcée, des quartiers entiers y sont bouclés.

- Alors pourquoi penses-tu que j’aie besoin d’un guide ? Je ne me suis pas présentée, je me nomme Rhéa de Cacete, dit Rhiannon, n’ayant trouvé instinctivement que ce seul nom d’emprunt en lui tendant la main.

- Seraph, pour te servir. », répondit l’étranger en la lui serrant.

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