J'me présente, je m'appelle Alix (2/4)

4 minutes de lecture

 J'entre dans l'entrepôt et me laisse guider par les sons d'une guitare et d'une batterie. Ils sont là. Ils sont trois. Julien est assis à la batterie. C'est un garçon plutôt grand, aux cheveux châtains longs et à la carrure assez imposante. À ses côtés, le guitariste. Lui aussi est grand, plus mince. Il a une touffe de cheveux noirs, bouclés, ensauvagés au-dessus de son crâne, qui me rappelle ma propre crinière. Il porte une barbe courte, faussement négligée, et un anneau à l'oreille gauche. Enfin, le troisième garçon semble un poil plus jeune : il est plus petit, son visage est fin, il est rasé de près et ses cheveux sont bien coiffés. Il vient de commencer sa partie au violon. J'aime beaucoup. Il lève les yeux et me voit : aussitôt, il s'arrête.

  • Max ? T'as un problème ?
  • Vous cherchez quelque chose ?, me demande le Max d'un ton un peu sec.

 Je ne sais pas quoi répondre. Le guitariste se tourne vers moi et affiche le même visage stupéfait ; à leurs côtés, en revanche, Julien rayonne.

  • Aaaaah. T'es en retard.

 Je hausse les épaules.

  • Ju ? Tu as prévu des spectateurs ce soir ?
  • Spectatrice... Participante... Je ne sais pas encore.
  • Oh ! (le guitariste s'illumine) T'es la Jument de Michao ?

 Ah bah, bien. « Alix – la Jument de Michao – Lagadec ».

  • Euh... Ouai. Alix, je m’appelle Alix. Je suis venue... vous écouter. Juste pour voir. Enfin, pour écouter. Voir et écouter.

 Julien rigole silencieusement en secouant la tête. Max fronce les sourcils.

  • Ah... D'accord. Tu laisses planer le suspense sur cette mystérieuse incroyable voix ? Tu te fais désirer ?
  • Max ! Doucement sur l'amabilité, tu vas te faire un claquage de la langue.

 Max ne porte pas attention à la remarque du guitariste et va chercher... un micro, qu'il m'apporte.

  • Allez, vas-y. Moi aussi je veux voir et écouter.
  • Max !

 J'interroge Julien du regard.

  • Tu as oublié de me préciser que tes acolytes étaient tyranniques.
  • Tu ne m'en as pas vraiment laissé le temps.
  • Pas faux.

 Si ça se trouve, c'est maintenant que je vais me faire découper en rondelles. Merde, j'ai pas donné l'adresse à María. Les recherches vont être interminables pour me retrouver. Le guitariste s'approche de moi :

  • Non, mais, ne l'écoute pas ! Tu fais bien ce que tu veux, Max est... un peu chiant.
  • Max sera le plus difficile à convaincre, me dit Julien en faisant caresser l'une de ses baguettes sur sa grosse caisse d'une manière nonchalante. Avec Jonathan, ça sera facile. Je ne lui donne pas une minute pour sautiller sur place.
  • Eh ! (Jonathan le guitariste ne fait même pas semblant d'être vexé) Vous attisez ma curiosité, là !
  • Tu veux dire que pour moi, c'est pas gagné ?
  • (Julien sourit) Non. Non, c'est gagné d'avance. Vous allez l'adorer. Je dis juste que toi, Max, tu vas bougonner un peu avant de t'avouer vaincu. Parce que... Max, quoi.

 Pendant que Max regarde Julien d'un air réprobateur, je m'amuse de l'alchimie étrange entre ces trois-là. On dirait clairement de vieux potes – le sont-ils ? - qui fonctionnent avec des rouages bien huilés depuis des années. Les uns chambrent les autres, et ils se connaissent par cœur. J'ai comme un doute sur la possibilité d'ajouter une quatrième personne à ce trio. Qui était la chanteuse précédente ? Une pote aussi ? Quelle genre de place accepteront-ils de laisser à une personne différente d'elle ?


 Max semble vexé de la prédiction de Julien, et donc bien décidé à lui prouver qu'il a tort. Il me regarde avec défi, et, sans m'y attendre, la Alix peureuse et fuyante laisse place à la Alix d'il y a dix ans : celle qui aimait les frictions, celle qui provoquait, celle qui osait des trucs improbables, celle qui avait suffisamment de fierté pour relever des défis, aussi idiots soient-ils. L'Alix qui s'était déjà réveillée sous l'effet de l'alcool et de la déprime, à la soirée karaoké du mois dernier. Depuis combien de temps cette Alix-là était-elle muselée ? Que s'est-il passé pour qu'elle en arrive-là ?


 Je me racle la gorge exagérément, et me positionne devant le micro. Je ne sais même pas comment fonctionne ce truc, il y a un On/Off ? On doit faire « un deux une deux » dedans, comme au cinéma ?

  • Bien. Je ne sais pas utiliser ton machin, là. Je ne sais pas faire des vocalises, ni chauffer ma voix, la positionner ou chai-pas-quoi. J'y connais strictement rien. Je sais juste essayer de chanter quand le cœur m'en dit.
  • Fais ce que le cœur t'en dis, et je te suis !, m'assure Julien.

 Face à moi, j'ai un Max sur la défensive, prêt à en découdre, et un Jonathan attentif, qui joue avec ses doigts d'une drôle de manière, comme pour contenir son excitation. Je réfléchis à toute vitesse. Je n'ai aucune idée de ce que je compte chanter, en plus à quasi-capela – ça fait quel effet, de n'être accompagnée que d'une batterie ? Et soudain, c'est comme si une partie de mon esprit qui avait rouillé dans un coin, reprenait du service : un truc me vient, et je ne réfléchis pas à savoir si c'est une bonne idée ou non.

  • Owè ap … Owè ap... Owè ap … Owè ap...

 Julien ne met pas trois secondes à faire résonner sa batterie. Il me suit, en effet. Je vois Max faire un drôle de grimace et murmurer « Le lion est mort ce soir ? » , pendant que Jonathan bat la cadence avec enthousiasme.


dans la jungle
terrible jungle
le lion est mort ce soir

et les hommes
tranquilles s'endorment
le lion est mort ce soir

Owimbowé, Owimbowè
Owimbowè, Owimbowè
Owimbowè, Owimbowè
Owimbowè
...

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