Lilo
Avant même d’avoir eu le temps de repenser à notre dernière expérience ensemble, elle était déjà lancée dans ses plans pour la nuit : « Une virée en ville ! Ça va être génial, tu vas voir. Je suis sûre que vous allez vous entendre à merveille, vous serez les meilleures amies du monde grâce à moi. » Elle devait beaucoup aimer jouer les entremetteuses. Bien qu’épuisée par les récentes vingt-quatre heures en sa compagnie, il me semblait plus judicieux d’accepter son invitation que d’essayer de lui résister. Clara m’apparaissait comme le genre de fille à être encore plus insupportable si on la laissait seule à son improvisation.
Encore une fois, le Belfast diffusait sa bonne ambiance et son atmosphère sereine. Le groupe de demoiselles nous attendait. Je ne me suis pas investie plus que ça dans cette soirée. Du moins, je ne le voulais pas au départ. Mais mes yeux se rivaient irrésistiblement sur la jeune femme avec un blouson en cuir. Son charme polynésien m’attirait. Elle avait même cette couleur de cheveux rougie qui caressait subtilement le noir de ses habits. Mais c’est bien son air sévère qui avait achevé de me retenir à cette petite fête.
Malheureusement pour moi, c’en était assez pour perdre mes moyens. Au moment où je me rendis compte que je commençais à me laisser aller, je devais déjà faire des efforts pour garder le contrôle de mes pensées. Juste avant de comprendre qu’il me fallait rentrer pour me reposer de ces délicieuses festivités, je me surpris à envier ce petit groupe à cause de leurs vêtements élégants qui ridiculisaient mon simple pull blanc et jean que je portais. Moi qui ne m’intéressais pas plus que ça à la mode, l'alcool faisait bien son œuvre.
Clara avait encore toute sa tête, bizarrement. « Tu sais où j’habite, ramène-moi chez moi, c’est ton tour aujourd’hui », lui dis-je presque suppliante. « Non, chez moi. À moi de t’héberger », répondit-elle. J’avais la tête lourde et certainement pas la force de lui faire comprendre quoi que ce soit. Alors, je ne pouvais pas faire autrement que de m’en remettre à son hospitalité.
Ce que je n’aurais pas dû faire aussi rapidement. Elle dormait encore lorsque je réalisai l’heure tardive de mon réveil. Je voulais partir au plus vite et l’abandonner à son sommeil, récupérer mes habits et ceux que je lui avais prêtés. Mais alertée par le bruit de mes pas agités, je ne pus me libérer si facilement de son emprise : « Tu es réveillée ? » dit-elle dans le souffle de son bâillement.
Voyant que je me dépêchais de quitter son appartement, mon hôtesse tenta de freiner mon départ :
« Je peux te prêter des vêtements pour la journée si tu as besoin.
— Merci, ça va aller.
— Tu sais, ça ne me dérange pas.
— Je risque d’oublier, prétextai-je.
— Ne t’inquiète pas, tu peux me les rendre quand tu veux.
— D’accord, mais fais vite, concédai-je enfin. Il est déjà tard. »
Fin prête, je pris une poignée des biscuits exposés sur la table du salon. Clara ne pouvait pas me les refuser. Elle m’accompagna ensuite au journal suivant un trajet que je vérifiai afin de ne pas me faire balader. Avenue des Vosges puis suivre le cours de l’Ill. Simple et suffisamment proche pour nous y rendre à pied. Je pourrais enfin me débarrasser d’elle.
Encore une fois, personne au Dernier ne remarqua mon absence, mon retard, ni même ma présence. Même Aurore n’avait pas souligné ma conduite de ces deux jours passés. Je me sentais comme une misérable puce face au silence de mon exceptionnelle collègue. Pourvu qu’un sujet m’apparaisse devant les yeux pour me rattraper. Ce qui évidemment ne se produisit pas. Pire, c’était Clara qui était apparue :
« Enfin la journée terminée. Dis Lea, tu t’es bien amusée hier. Tu veux qu’on remette ça ce soir ? commença-t-elle.
— Ce n’est peut-être pas la peine de sortir tous les soirs, lui fis-je remarquer.
— Pourquoi ? Tu étais super contente avec Lilo.
— De quoi tu parles ?
— Lilo.
— Stitch ? »
Comme si sa présence ne me suffisait pas, Grégoire aussi s’invita dans la discussion :
« Qu’est-ce qui se passe ?
— On prépare une soirée pour fêter la grande amitié qui vient de naître entre Lea et Lilo, leurs sentiments si purs, leur amour si intense.
— Vraiment ? Dans ce cas, je pense…
—Qu’est-ce que tu racontes ? interrompis-je brusquement.
— Vous étiez tellement parfaites toutes les deux hier, vous n’aviez d’yeux l’une que pour l’autre.
— N’importe quoi ! Il ne s’est rien passé du tout !
— Alors, ça ne te dérangera pas de vérifier à l’occasion ? »
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