Chapitre 7. I’m Way Too Good at Goodbyes (Je Suis Bien Trop Bon pour les Adieux)

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Les échanges épistolaires au sein de la famille Letailleur étaient leur moyen de communication préféré. Depuis que Jean-Philippe Letailleur, le grand-père de Caleb et Miranda, était parti en terre polynésienne, cette famille de grands voyageurs cultiva l’amour pour l’écriture, et la lecture était devenue une passion profonde.

Après son mariage avec Patricia à Tahiti, Jean-Philippe fit sienne cette terre de Paradis et ne put jamais le quitter. Étant lui-même très “vieille école”, malgré l’explosion de l’Internet et des emails dans les années quatre-vingt-dix, il resta attaché à l’écrit et portait toujours un stylo plume dans sa poche. Kevin, lors de son départ vers la métropole pour ses études de médecine, s’accomoda très bien du mode de fonctionnement de son père. Cela facilita sa prise d’indépendance vis-à-vis de ses parents.

A leur arrivée en 2003 à Paris, les jeunes mariés Kevin et Bertha, découvraient la ville depuis leur chambre de bonne décrépie, sous les combles d’un immeuble haussmannien du boulevard Magenta, à deux pas de la Gare du Nord. La vétusté du nid exiguë de 12 m2 n’entacha pas leur rêve et la vue des toits parisiens n'avait pas de prix pour eux. Finalement, les premières années de médecine de Kevin furent, comme les suivantes, d’un rythme très soutenu, et les gros pavés des cours qu’il devait avaler chaque semestre devinrent la raison de son existence. Bertha, de son côté, voulait devenir journaliste et rêvait de s’accomplir dans la presse écrite française. L’effort qu’elle dut mettre fût de taille, la langue de Molière n’étant pas sa langue natale.

Les jumeaux, lecteurs précoces, adoraient échanger entre eux et leurs familles. Toutes les occasions étaient bonnes pour écrire une lettre à Papi ou échanger des missives entre eux, se racontant les nouvelles de la journée à l’école. L’inexplicable lien entre les jumeaux semblait à peine plus fort que ce besoin de s’écrire en permanence.

Malgré tout, en grandissant, ils firent un tour à cent quatre-vingt degrés, pour privilégier de plus en plus les échanges par courriels et via les réseaux sociaux. Ironie du destin, leurs messages devinrent moins fréquents qu’avant et les textes plus courts.

Caleb regrettait cette enfance insouciante, où il connaissait presque tout sur sa sœur. Lors de ses sept ans, la vie des jumeaux était encore un long fleuve tranquille, cocoonés dans un foyer douillet. Caleb ne se séparait jamais de trois lettres inoubliables de sa sœur. Ces textes étaient comme un écrin protégeant le cœur de Miranda, qui avait toujours battu au même rythme que le sien, et ce, depuis leurs premiers instants de vie dans le ventre de Bertha. Ces trois lettres parlaient du vécu de Miranda, de ses souffrances et de l’amour qu’elle portait à Caleb et à ses parents.

***

Ce mardi 2 janvier 2023, Caleb subit un électrochoc en voyant le geste de son oncle Feñch. Il pensa aux missives de sa sœur qu’il portait dans son sac à dos. Comme un flash qui défila à la vitesse de la lumière devant ses yeux, il perçut en l’espace d’une seconde les mots clés qui commençaient à compléter le puzzle de la disparition de son père. Tant de choses avaient du sens maintenant. Comment n’avait-il pas tilté plus tôt ? , lui qui connaissait ces lettres par cœur !

***

1ere lettre des souvenirs de Caleb :

Paris, le 14 juin 2014

Cher Kalebou,

J’espère que tu vas très très bien et que tes vacances avec maman se passent super. Je me dis tous les jours que j’aurais dû partir avec vous pour ce travail très important de Mommy au Maroc.

Je vais beaucoup mieux que la semaine dernière, Papounet dit que mon mal de tête est vraiment fini et que je pourrai bientôt jouer avec les voisines.

S’il te plaît, n’oublie pas de m’amener un petit cadeau de là-bas, tu sais que j’aime beaucoup les sucreries aussi.

Dis à Mommy que Papounet s’occupe bien de moi tous les jours et que l’hôpital lui laisse un peu de temps libre pour rester à la maison avec moi.

Tu es mon plus beau frère chéri du monde et tu le seras toujours comme ça.

Je t’aime jusqu'en Afrique !

Mimou

P.S.: Papounet a corrigé un peu cette lettre, mais il dit qu’il y a du boulot.

***

2ème lettre des souvenirs de Caleb :

Paris, le 4 juillet 2017

My dearest Kaleb,

Comment se passe votre séjour à Edimbourg ? Papa dit que Maman doit être débordée par le vote du Brexit. Heureusement que tu es bien gardé chez tati Cécile et tonton Fañch. J’imagine que tu dois déjà très bien jouer de la cornemuse .

Tu as déjà visité le palais de Holyrood? J’ai lu que la Reine y passe du temps les étés, et en plus, ce n’est pas très loin de chez vous.

Papa dit que je suis déjà prête pour ma chirurgie de la tête et que cette méchante maladie rare me laissera enfin tranquille. Je n’ai plus du tout de migraines comme depuis votre départ, je te le ferai savoir si les choses empirent.

Hier le collègue de Papa, le Docteur Muirhead est passé et m'a dit que je vais pouvoir sortir de l’hôpital en un rien de temps, qu’il vient d’un centre universitaire avec des technologies très modernes et qu’ils ont même réussi à cloner la brebis Dolly, chez eux il y a quelques années. Il m’a fait bien rigoler, je comprends mieux l’origine de l’accent britannique que tu as maintenant. Il est écossais.

Ne tardez pas trop à revenir, rappelez-vous que la chirurgie est pour le 30 juillet !

Je vous aime plus que tout.

Mimou

PS: C’est l’infirmière qui s’occupe de moi qui m’a aidé à écrire cette lettre, je suis un peu fatiguée cette semaine, c’est normal avec les médicaments.

***

3ème lettre des souvenirs de Caleb :

Paris, le 14 mai 2022

Mon cher Caleb,

On dirait que c’était hier, le jour où tu es parti définitivement de la maison avec Mommy pour vous installer à Téhéran. J’ai vu dans les infos que la situation à Brasilia est très compliquée en ce moment et j’ai appris par Papa que vous devez partir bientôt à Rio.

C’est sans doute dans ces moments de stress que je me dis que si mon cerveau n'avait pas été atteint de cette leucodystrophie infernale, nos parents seraient toujours ensemble, et nous serions toujours les jumeaux aussi proches que nous avions toujours été. Maman a été tellement cassée par cette souffrance, qu’elle n’a jamais pu s’en remettre. Je ne lui en tiens pas rigueur. Papa n’était plus jamais à la maison, à cause de son travail et de ses recherches. Lui non plus, je ne le blâme pas, grâce à ses efforts je suis toujours en vie.

Quand ma maladie a commencé en 2015, et au fur et à mesure que mon système nerveux central se détruisait, j’ai aussi senti qu’une grosse partie de moi disparaissait, et je n’ai jamais pu récupérer ces morceaux de mon être. Aujourd’hui je n’ai plus ces perceptions qui nous liaient, je ne ressens plus quand tu exploses de joie ou quand tu es triste ou en danger. On peut dire que c’est à cause de la distance, mais quand tu étais à l’étranger avec maman, je ressentais ce que tu vivais, presque aussi bien que si tu étais dans la chambre d’à côté. Cela me manque terriblement.

Depuis l’opération qui m’a sauvé en juillet 2017, je n’ai jamais pu redevenir la même. C’est comme si ma mémoire avait entièrement effacé les souffrances passées de ma maladie. Je suis une nouvelle Miranda maintenant. Meilleure et épanouie, je n’en suis pas si sûr.

Pour les choses vraiment positives qui se passent à la maison, Papa est vraiment très comblé ces derniers temp. Sa popularité dans les médias et les réseaux sociaux lui ont donné une nouvelle énergie. Plus que celle que nous lui donnons, j’ai l’impression ! En tout cas, il passe toute la journée collé sur QuickLook, bien plus que moi ! Tu te souviens qu’il sacrifiait ses jours et ses nuits au projet “Pandore” sur lequel il travaillait avant votre départ. C’est maintenant une histoire passée. Il a fait le deuil de son projet malheureux.

Seul bémol de ces derniers temps, tante Cécile désespère du fait qu’oncle Fañch et Papa n’aient jamais réussi à redevenir les bons amis qu’ils étaient avant leur séjour en Ecosse. L’engouement médiatique pour Papa n’aidera en rien à améliorer leur situation. Je crois qu’oncle Feñch ne lui pardonne pas d’avoir envahi ses terres ! :)

Je souhaiterais tellement venir vous rendre visite, mais Papa m’a dit qu’il est à deux doigts d’accepter l’invitation pour participer à la version française de télé-réalité Californian Governor Academy. La production lui a promis qu’il ne fera que deux semaines d’émission et qu’il sera vite éliminé par les votes du public, que tout était pré-arrangé pour ça. Il hésite encore, mais je suis sûre qu’il finira par accepter.

Donne-moi de vos nouvelles. On dirait que tu as oublié comment manier un stylo.

Ta sœur qui t’aime plus que tout. Fait de gros bisous à Mommy de ma part.

Wonder Mimou

PS: Il n’y a pas de PS. Je n’ai plus personne pour m’aider à écrire mes lettres, ni pour les corriger. Ça me manque.

***

Caleb sentit un pincement au cœur en se remémorant le contenu des lettres, triste de voir la position dans laquelle se trouvait sa sœur.

Il profita d’un moment d'inattention de Feñch pour sortir le téléphone à clapet du manteau de sa mère. Il s’excusa pour s’isoler une minute aux toilettes pour se rafraîchir le visage.

Le téléphone n’avait pas de code de verrouillage, et le dernier message n’avait pas été ouvert, il disait : “La fille est la clé de tout, son père disparu, c’est toi qui doit nous aider à la retrouver”.

Son passage aux toilettes avait été bref. A son retour dans le salon, il vit la capitaine Bichon passer les menottes aux poignées de Fañch, tandis que les hommes de la DGSE essayaient de calmer Bertha et Cécile Letailleur qui étaient dans l'incompréhension la plus totale.

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