Chapitre 11. It’s Time (C'est l'Heure)

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Les blessures aux genoux de Stacey Brookhart résistaient mal aux attaques du sable, du sel et de l’humidité tropicale. Kevin inspecta l’état de celles-ci. Il put remarquer que la plus importante, longue d’environ quinze centimètres, risquait de s’infecter si rien n’était fait rapidement.

  • Il faut nettoyer proprement ces plaies. J’ai de l’alcool et quelques bricoles dans mon sac à dos, mais il nous faudra de l’eau propre pour la suite, donna Kevin comme feuille de route.
  • Pour la suite ? C’est quoi la suite ? réagit Mark à ces paroles.
  • C’est une façon de parler. La suite c’est la marche vers l’intérieur des terres j’imagine. Il nous faut trouver de l’eau, de la nourriture et inspecter les environs.
  • Vous avez un sac à dos avec des fournitures de première nécessité médicales pour des naufragés ! Vous êtes là en tant que médecin de l’expédition ? ironisa Bae.
  • En effet, les ravisseurs qui m’ont déposé sur la plage voisine hier ont eu l'obligeance de me laisser une trousse de secours.
  • Vous avez de la chance, vous. Nos bateaux gonflables étaient vides. Ils avaient à peine assez d’air pour nous tenir à flot à vrai dire, indiqua Maombi avec une note de désespoir.
  • Tu parles ! Le tien était le seul à pouvoir vraiment te sauver. C’était les nôtres qui prenaient l’eau, lâcha Wen sans susciter de réactions.

Jusqu’ici, le soleil du matin tapait durement les célébrités. Par un revirement de la nature, des gouttes éparses commencèrent à tomber, d’abord ignorées par le groupe, qui les confondirent avec les embruns des vagues. Quelques secondes plus tard, des coups tonnerres interrompirent la discussion, ramenant avec eux les trombes d’un orage tropical.

Le premier réflexe du groupe fut de courir vers la cabane pour se protéger de la pluie. La pièce, qui mesurait dix mètres carrés tout au plus, commençait à être un peu juste pour les six occupants. Allongée par terre, la jeune Stacey occupait à elle seule une bonne partie de la pièce.

  • Ne vous inquiétez pas, dans cette zone du golfe Persique les orages ne durent pas longtemps, précisa Bae en quête d’informations. Il ne croyait pas lui-même un mot des informations que Madame Perrin leur avait données la veille en arrivant.
  • D’où sortez-vous ça ? Notre vol n’a pas duré le temps de faire le trajet entre la Californie et le Golfe ! , questionna Wen.
  • Claire Perrin nous a précisé que nous étions dans une station militaire sur le chemin de notre destination finale de Dubaï.
  • Qui est cette Claire Perrin ? Vous l’avez vu quand ? interrompit Kevin.
  • En descendant de l’avion de l’Emir de Dubaï, elle s’est présentée en tant qu’attachée culturelle de la France, répondit Maombi.
  • C’est une étrange coïncidence… ou pas. Elle était dans l’avion présidentiel français, à bord duquel je suis arrivé jusqu’ici, même si je n’ai jamais pu la voir en personne, précisa Kevin.
  • L’avion de l’Emir ? , l’avion présidentiel français ? et nous trois sommes arrivés à bord de l’Air Force One ! compléta Mark surpris. Pourquoi nous emmener si loin pour nous laisser abandonnés au milieu de rien et seulement munis d’un sac à dos de fortune ? Tous ces gouvernements tenaient vraiment à se débarrasser de nous !
  • Il y avait certainement plus simple pour nous faire disparaître de la circulation, j’imagine ! rigola Wen.
  • Pour une ou deux personnes connues oui, mais pour six j’ai mes doutes, continua Kevin. A l’heure qu’il est, les réseaux sociaux doivent être en ébullition !

Le semblant de Stacey empirait davantage en raison du flux d’informations, plus que de l’état de ses blessures ou la fatigue. En réalité, tous les visages avaient perdu leurs couleurs. Pour la première fois, ils réalisaient tous l’ampleur de la situation.

  • Je crains que nous ne soyons pas en Asie. J’ai été endormi au décollage de mon vol, mais ma montre affichait treize heures du 1er janvier lorsque je me suis réveillé sur la plage d’à côté. J’ai eu presque toute une journée complète de soleil par la suite. Si j’étais parti vers l’Est de Paris, après ce temps de vol, j’aurais dû arriver la nuit. Nous sommes quelque part sur le continent américain ! déduisit Kevin.
  • Cela a du sens. Notre vol n’a pas fait plus de sept heures, et l’humidité d’ici ne colle pas avec la région du Golfe, même si je n’y ai jamais mis les pieds, ajouta Mark.
  • Je m’étais dit un peu la même chose après l'atterrissage. L’humidité et la végétation du coin n’ont pas les allures désertiques du Golfe, dit Bae.
  • La leçon de géographie est fort intéressante, mais je suis plus préoccupée par les raisons de notre séjour ici, que par le fait de connaitre notre emplacement précis, coupa Wen, ramenant les trois hommes à l’instant présent. Quelqu’un s’est déjà posé la question du pourquoi nous ?
  • Vous, parce que vous êtes les personnes les plus populaires des réseaux sociaux ? moi, parce que j’étais au mauvais endroit au mauvais moment !? assuma Mark à voix haute.
  • Le hasard n’existe pas dans ce genre de situations, je suis sûr que chacun de nous “méritait” d’être ici pour une raison ou une autre, dit Kevin avec une assurance telle que ses mots résonnèrent dans l’esprit de chacun d’eux.

Quelques minutes sans paroles s'installèrent, comme si les naufragés cherchaient à trouver un motif justifiant leur sort indésirable.

Depuis que les hypothèses pleuvaient dans la pièce, Bae scrutait avec attention le télégraphe que tous les autres ignoraient. Cela lui sembla le moyen le plus pratique d’avancer.

  • Le seul espoir dans notre situation semble être ce télégraphe, mais il a l’air d’avoir été oublié par je ne sais qui depuis des lustres. Il est sans doute cassé, annonça Bae en brisant le silence dans la pièce.
  • C’est donc un télégraphe ? j’ai cru à une sorte de radio amateur en rentrant dans la cabane ! dit Kevin pendant qu’il finissait de soigner les blessures de Stacey. Il faut que je m’occupe des vôtres Mark.
  • Ne dépensez pas le contenu de la trousse. Les miennes sont superficielles. Dès que l’orage passera il nous faudra aller inspecter les lieux comme vous l’avez proposé.
  • Ça tombe bien, l’orage s’arrête ! Mais je ne me sens pas bien, mes yeux me font mal. Je préférerais pour l’instant rester ici, au lieu de jouer l’exploratrice de Koh Lanta que je ne suis pas, demanda Maombi.
  • Je vous comprends, continua Kevin, dans ce cas, mon conseil est que Stacey reste aussi dans la cabane pendant qu’un groupe s’aventure dans les parages. Je peux rester prendre soin d’elles.
  • Si vous dites qu’elle n’est pas en condition de marcher, je préfère rester avec elle, vous connaissez déjà un minimum les lieux, sollicita Mark essayant d’avoir l’air le plus naturel possible. Le groupe d’expédition ira plus vite avec vous.

Depuis l’arrivée de Kevin, une atmosphère de méfiance s’était installée au sein du groupe. Mark ne pouvait pas cacher cependant, un besoin protecteur envers Stacey que les autres ressentirent aisément.

  • Très bien. Kevin, Bae et moi, on part regarder ce que l’on peut trouver ! Go, go, go !, décréta Wen en prenant le rôle de cheftaine d’expédition des terres inconnues.
  • Tu veux que je reste avec toi Maombi ? dit Bae.
  • Ce n’est pas la peine, tu seras plus utile là-dehors qu’ici. Je suis sûre que Mark prendra bien soin de Stacey et moi.

Kevin et Wen étaient déjà sortis de la cabane quand Bae serra Maombi dans ses bras. Elle souffla en français à son oreille : “Ne les quitte pas des yeux ! ”. La méfiance déclarée par la phrase de Maombi sema la méfiance chez Bae, qui partit aussi de la cabane en jetant un regard insistant vers Mark et Stacey.

  • Par où commençons-nous ? demanda Wen à Kevin qui avait un avantage sur eux sur la connaissance de la géographie du lieu.
  • La plage où j’étais est dénuée de la moindre chose utile. On n’y trouve que de la végétation côtière et aucune source d’eau douce, détailla Kevin. La flore de la zone est principalement constituée d’arbustes, à vrai dire. J’ai pu remarquer un dénivelé montant vers l’intérieur des terres, c’est peut-être dans cette direction que nous devrions chercher !
  • Il ne faut pas trop s'éloigner, nous risquons de nous perdre, s’inquiéta Bae.
  • Je suis d’accord avec toi, acquiesça Wen. Si la nuit nous surprend loin de la côte, nous risquons de ne pas pouvoir revenir jusqu’à demain.

Les trois se frayèrent un chemin vers la colline qui se dessinait devant eux, dépassant tout d’abord les arbustes et les cocotiers de la côte, pour atteindre une forêt plus exubérante et variée.

***

Glodi arriva tard dans la nuit dans le logement de Maombi et Bae à Milan. Au Congo, le suivi de la situation s’avérait difficile et les autorités italiennes lui avaient proposé son aide dans les tâches de recherche.

La luxueuse maison de ville de Maombi était à mi-chemin des quartiers huppés de Corso Como et Moscova. Au rez-de-chaussée, son énorme atelier criait sa solitude de savoir la maîtresse des lieux absente. Le vieil homme ne s’y attarda pas et monta dans sa chambre fatigué après le long voyage depuis Libreville.

Lui qui n’était pas habitué à gérer les relations publiques de sa fille, recevait depuis sa disparition un flot de demandes d’interview venant des quatre coins du globe. Cela faisait des heures qu’il avait éteint son téléphone portable pour fuir les actualités des médias.

La cérémonie de Dubaï était tournée au vinaigre et malgré les multiples annonces de recherches de l’avion de l’Emir, la version qui courait sur les réseaux privilégiait un enlèvement en bonne et due forme, et non un avion perdu quelque part entre le Congo et Dubaï.

Jetant lourdement son sac de voyage sur le bureau de sa chambre, il chercha son téléphone afin de l’allumer. Il regarda d’un air effrayé les dizaines de notifications des appels manqués et des messages non répondus sur les réseaux.

Il s'efforça de trouver maladroitement l’un des derniers textos qu’il avait envoyés en partant de Libreville. Son dernier message n'avait donné lieu à aucune réponse. Il poussa un soupir de déception pendant qu’il réfléchissait à la suite.

Il lança un appel vers le numéro en question.

Le téléphone à clapet se mit à vibrer à l’intérieur du sac de Bertha qui dînait avec Cécile et Caleb. Glodi réessaya deux fois mais son appel passa inaperçu à chaque fois.

L’angoisse chez Glodi montait devant l’absence de réponse de Feñch et il chercha dans sa liste des appels composés l’avant dernier numéro qu’il avait effectué. Cette fois, il eut plus de chance.

  • Capitaine Odile Bichon, répondit la voix à l’autre bout du fil.
  • Oui Capitaine, c’est Glodi, je n’arrive pas à joindre Feñch !

La policière se pressa de fermer la porte de son bureau pour continuer la conversation.

  • En effet, il est maintenant trop tard pour lui parler. Il est au le siège de QuickLook avec Ian Muirhead.
  • Avec Muirhead ? Maintenant il veut négocier pour que l’Opération Pandore ne soit pas exposée à la lumière du jour ?
  • Officiellement, Feñch Caradec est en garde à vue ! N’avez-vous pas vu les infos ces dernières heures ?
  • Ça ne devait pas se passer comme ça ! Ils ont attrapé Miranda Letailleur aussi ?
  • Le message de Miranda a tout fait basculer. Les gouvernements veulent abandonner le navire et Muirhead essaye de sauver QuickLook à tout prix.

La moutarde monta au nez de Glodi, qui se sentit étouffer par les désagréables nouvelles.

  • J’ai permis que ma fille soit piégée dans ce plan rocambolesque et maintenant vous me dites que tout part en vrille entre Feñch et Muirhead ? Faut-il que je me cache aussi comme Miranda ?
  • Non ! Feñch portera le chapeau pour nous tous. En ce qui vous concerne, vous devriez aller à Dubaï pour garder les apparences. Maintenez les followers de votre fille intéressés sur l'hypothèse d’un rapt. On ne laissera pas les gouvernements se défiler si facilement. Vous vous occupez de l’Emir de Dubaï, nous de la présidence Française et Bertha Gimmel fera pression chez les américains.
  • Bertha Gimmel est-elle aussi dans la boucle ?
  • Non, du moins pas encore. Mais elle a le New York Times de son côté. Et puis son mari et sa fille sont au cœur névralgique de cette affaire. Il faudra qu’elle se mouille à un moment ou un autre même sans le vouloir !
  • La vue de Maombi va bientôt commencer à se dégrader. Sans son traitement, elle risque de devenir aveugle en quelques jours à nouveau.
  • Nous ne laisserons pas cela dégénérer à ce point-là et Kevin Letailleur est avec elle.
  • Cela ne me rassure pas le moins du monde ! Je pars demain matin pour Dubaï, j’imagine que je suis coincé.
  • Pas que vous, nous tous. On se tient au courant, mais ne m’appelez plus en direct, c’est trop dangereux ! En cas de besoin, il faudra passer par Diane Letailleur, personne ne la suspecte pour l’instant.

***

“... The path to heaven runs through miles of clouded hell right to the top

Don't look back

Turning to rags and giving the commodities a rain check …”

[“... Le chemin du paradis traverse l'enfer sur des kilomètres jusqu'en haut

Ne regarde pas en arrière

Me transformant en lambeaux, je dis au revoir au luxe …]

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