Chapitre 15. Color Esperanza (Couleur Espérance)

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Mercredi 4 Janvier 2023, 6 h 01 sur l’île

Le groupe des six naufragés venait de passer leur première nuit ensemble sur l’île mystérieuse. L’expérience d’un sommeil les pieds sur l’eau, bercés par la brise marine, sous une chaleur tropicale encore accueillante, supportable et loin des bruits de la civilisation, aurait été dans d’autres circonstances une anecdote à raconter sur les murs de leurs comptes QuickLook. Malheureusement, ils étaient cette fois déconnectés d’Internet.

Maombi et Stacey furent les premières à se réveiller. Maombi, encore une fois, à cause de cette lumière du jour, son éternelle ennemie. Stacey par le chant d’un groupe très important d’oiseaux qui surveillait les inconnus à prudente distance, lançant des petits cris de désapprobation envers ces nouveaux colonisateurs de leur terrain favori pour la période des amours qui commençait. Les deux femmes se levèrent, curieuses, essayant de les attirer avec de petits sifflements et des gestes improvisés.

  • Voilà enfin le petit déjeuner qui frappe à notre porte ! dit Wen qui venait aussi d’ouvrir les yeux.
  • Vu le peu de chair qu’ils ont, vous risquez de passer toute la semaine à chasser ces pinsons pour nous remplir la panse ! ironisa Mark, réveillé davantage par le bruit des échanges des filles que par le chant des oiseaux.
  • J'oubliais que vous étiez un fin connaisseur de la flore et la faune mondiale, répondit Stacey admirative, c’est donc des pinsons ces petites bêtes? Elles viennent de quel coin de la planète ? Cela nous aiderait à deviner notre emplacement, n’est-ce pas ?
  • Malheureusement non, je crains que ces espèces ne soient présentes un peu partout dans le monde.

Mark resta silencieux afin d’éviter de nouvelles questions embarrassantes. Maintenant que le groupe avait retrouvé suffisamment de ravitaillement pour s’assurer quelques semaines de survie, leur énergie se focalisait sur la reconnaissance de l’île, et sur les moyens de communication avec l’extérieur. Et bien sûr de deviner qui avait le plus d’informations sur les circonstances de leur enlèvement. Tous leurs échanges pouvaient rapidement dériver vers un interrogatoire, notamment lorsque Kevin et Wen intervenaient.

Bae finit par se réveiller, suivi par Kevin dont le premier réflexe fut de procéder à un rapide comptage du groupe pour vérifier qu’ils étaient au complet. Depuis la veille, il avait passé en revue les faits dans sa tête, commençant à connecter les pistes le mieux qu’il le pouvait.

Tout le ramenait à la conversation qu’il avait le soir de Noël à son domicile avec la Capitaine Bichon présente dans son salon et Feñch Caradec au bout du fil. C’est à ce moment qu’il avait appris que Stacey Brookhart et Maombi Niombella jouaient un rôle primordial dans l’Opération Pandore, et leur présence dans cette île prenait de plus en plus de sens. Les nano-puces cérébrales étaient le dénominateur commun entre Stacey et Maombi. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir retrouvé Flavia sur cette île, ou même sa fille Miranda qui était le point de départ et d’arrivée de tout ? Quel rôle jouaient Mark, Wen et Bae ? Étaient-ils eux aussi “nano-pucés” ? Dans le cas contraire, étaient-ils des personnes de confiance ? Pourrait-il lui-même aborder ouvertement ses inquiétudes avec qui que ce soit dans le groupe ?

Il se dit qu’il devait continuer à jouer à ce poker menteur jusqu’au bout, afin de voir qui craquerait en premier. Après tout, personne d’autre ne pouvait avoir davantage d’informations que lui sur leur situation, lui qui était aussi proche de là où tout avait commencé avec Ian et Feñch. À l'opposé, cette bande de jeunes QuickLookeurs étaient, à première vue, si superficiels et insouciants, qu’il était difficile pour lui de les imaginer au courant de quoi que ce soit.

Le groupe se pencha ensuite sur le contenu des conserves ramenées la veille. Devant l’absence de variété, ils se contentèrent de partager les quelques légumes trouvés dans le lot. Les denrées disponibles ne correspondaient pas aux habituels petit déjeuner des célébrités. Même après en avoir réchauffées certaines pour les rendre un peu plus digestes, cela restait des légumes en boîte. Mais la faim l’emporta et cela était mieux que de rester l’estomac vide.

  • Maombi, j’ai oublié hier soir ! Dans le poste de réserves du sommet du volcan, j’ai trouvé une paire de lunettes de protection de travail teintées, dit Kevin en les ressortant de la trousse de secours trouvée la veille dans le refuge. J’ai pensé à vous et je suis certain qu’elles vous apporteront un peu de confort contre le soleil tropical.
  • Elles sont parfaites ! se réjouit Maombi en se les greffant sur le nez. Je crois que je ferai toute une collection de mode avec des équipements de sécurité, dès qu’on sera partis de ce foutu endroit.
  • Chérie, c’est sûr qu’avec ton milliard de followers et notre histoire de fous, tu risques de faire un malheur. Tes tenues se vendront comme de petits pains, ajouta Bae.

Ensuite, Mark proposa de jouer les explorateurs de l’île pour cette journée, afin d’atteindre l’antenne que les autres avaient repérée la veille, en demandant s’il y avait d’autres volontaires. Bae proposa tout de suite de repartir avec lui.

  • Puisqu’il y a une nouvelle expédition et que même Bae en redemande, ce serait bien que je reparte avec vous, déclara Wen aussitôt. J’ai les compétences pour ça. Bien plus que lui !
  • La journée d’hier était déjà trop pleine d'émotions pour vous Wen, laissez-les partir et aidez-nous à fabriquer des tentes de fortune avec des feuilles de cocotier, proposa Kevin. Nous pourrions peut-être essayer de pêcher ensemble pour avoir quelque chose de frais à manger à notre repas de la journée. Vous avez dû apprendre cela pour participer à l’émission Survivor ?

Kevin voulait essayer de rester avec les filles sur la plage, pas seulement pour pêcher des poissons mais avant tout des informations. Quand tout d’un coup, Maombi se proposa de partir avec Bae et Mark.

  • Écoutez Kevin, avec ces lunettes je suis complètement opérationnelle, et à défaut d’être encore glamour, elles sont très confortables. Mes longues jambes et ma condition physique seront un vrai atout pour le groupe d’aventuriers !
  • Si vous le dites, mais faites très attention, nous n’avons pas rencontré ni entendu d'animaux dans la forêt hier, mais vous pourriez très bien en croiser aujourd’hui, avertit Kevin. Vous n’avez pas la phobie des serpents ou des insectes ?
  • Aucun souci ! Dans mon Congo natal, j’ai souvent accompagné mon Papa à la chasse au gibier dans la brousse. Les bêtes sauvages ne me font pas du tout peur. Et quelque chose me dit que nous ne retrouverons pas de gros primates, ni des félins ou d’autres carnivores du genre sur cette île paumée.

Devant la ferme volonté de Maombi, Kevin n'essaya pas de la persuader du contraire. Se concentrer sur Wen et Stacey promettait déjà de belles enquêtes pour la journée à venir. Le rythme effréné de la veille ne lui avaient pas permis d’obtenir grand chose de Wen et Bae.

La petite équipe d’expédition fut prête en un rien de temps. Bae ramenait la boîte contenant le télégraphe depuis la vieille cabane pendant que Mark s’approcha de Kevin pour lui glisser quelques mots à voix basse, à l’écart de tous, dans un français plus que parfait.

  • Ne perdez pas de vue Wen. Je vous charge de protéger Stacey. Le fait qu’elle ait reçu ce traitement par nano-puces, et maintenant que nous connaissons l'identité de son père, me laisse penser que cette enfant est une partie de la solution de tout ça. Dans le cadre de l’Opération Pandore, Wen ne travaille pas seulement avec Feñch et QuickLook, mais avec des puissances étrangères ennemies qui menacent aussi votre fille.
  • Mais, que savez-vous de l’Opération Pandore ? C’est Feñch qui vous a mis au courant !?
  • C’est grâce à lui que je suis là. Je connais suffisamment l’opération pour savoir comment protéger Stacey et Maombi. Malheureusement, depuis notre isolement, je ne peux plus rien pour Flavia et Miranda. Mais l’Amérique s’en occupera. Vous pouvez leur faire confiance dans ce genre de situations. Le plan diabolique d’Ian Muirhead arrive à son terme, car il va bien au-delà de l’Opération Pandore qu’il a vendu aux gouvernements pour gagner leur adhésion. C’en est trop ! Même Feñch a dévié du plan original de Muirhead à cause de ça. Si je vous raconte tout ça maintenant, c’est parce que votre beau frère m’a dit de me dévoiler à vous si les choses devenaient difficiles.
  • Craignez-vous que Wen fasse du mal à Stacey ?
  • Je n’en sais rien, je ne peux pas deviner les vrais intentions et la fidélité d’un double espion. Elle est peut être du côté asiatique, mais si ça se trouve elle est fidèle aux américains. Dans le doute, gardez un œil sur elle à tous les moments ! Je m’occuperai de la sécurité de Maombi, je ne pense pas que Bae lui veuille du mal, mais on ne sait jamais !

Kevin digérait la conversation aussi vite qu’il le pouvait. Les informations partagées par le Capitaine Bichon avec Feñch le soir de Noël, furent tronquées en raison de l’irruption de Miranda. Aujourd’hui, pour une raison qu’il avait encore du mal à cerner, Mark Lopez en savait bien plus que lui sur toute la mission. Et plus étrange encore, l’américain venait de l’intégrer dans son cercle restreint de confiance, au point de se dévoiler afin d’assurer ensemble la protection de Stacey et Maombi. Une partie des questions qu’il se posait encore à son réveil, venaient de trouver réponse de façon soudaine et surprenante, il essaya donc d’en savoir davantage.

  • Je n’ai rien vu d’étrange lors de notre expédition d’hier, dit Kevin attendant de voir la réaction de Mark.
  • Rien !? Vous n’avez pas cru un seul mot de ce que Wen a raconté à propos de son problème de genoux ou du fait qu’elle s’était perdue dans la forêt. Vous avez bien une idée sur ce qu’elle était partie faire lorsqu’elle s’est perdue dans la forêt !

L’angoisse et le doute qui se dessinaient sur le visage de Kevin le temps d’une seconde, démontrant qu’il ne savait pas de quoi Mark lui parlait, ajoutée aux quelques secondes qu’il mit pour donner une réponse, firent que l’américain arrête tout court le déballage d’informations. Il comprit que Kevin essayait de lui tirer les vers du nez et qu’il en avait peut-être déjà trop dit.

  • Bon, Maombi, Bae. il faut que nous partions ! lança Mark en anglais à voix haute cette fois, pour marquer l’arrêt de l’échange avec Kevin.
  • Nous n’attendions que vous, nous sommes prêts, dit Bae presque euphorique. Je m’occupe de lancer les messages d’alerte dès aujourd’hui. Si j’y arrive, d’ici quelques heures nous nous rapprocherons plus de la sortie de cette foutue île.
  • Faites ! dit Stacey soulagée, je ne tiens pas à manger des boîtes de conserve affreuses plus longtemps ! Mon téléphone me manque et mes followers aussi. Et si ça se trouve, j’ai une campagne de Gouverneure de Californie à lancer !
  • Et moi une nouvelle collection à créer, dit Maombi, un mix de thématiques Survivor, vieux moyens de communications télégraphiques, agrémentée d’accessoires d’équipements de sécurité comme mes nouvelles lunettes. Le must du must, dès la prochaine saison sur les passerelles de la haute couture !

L’équipe d’éclaireurs se mit en route, pendant que les plagistes les regardaient en silence. Les derniers mots de Stacey et Maombi confortaient Kevin sur le fait qu’elles ne devaient être au courant de rien. Leur insouciance et le niveau de sottise de leurs commentaires ne pouvaient qu’en être la preuve.

Cependant, l’échange discret de Kevin et Mark avait attiré l’attention et bien évidemment, la méfiance de Wen.


***


Presque au même moment dans l’après-midi à Paris.

Diane Letailleur venait à peine de raccrocher avec la Capitaine Bichon, et sachant qu’elle n’avait plus beaucoup de temps avant que les membres de sa famille arrivent au siège de QuickLook, elle composa un nouveau numéro sur le clavier. Elle tapa un code après l’écoute d’un message sur un répondeur automatique puis, après une longue attente, elle entendit la voix féminine lui répondre. C’était la présidente des Etats-Unis qui venait de décrocher le téléphone rouge du bureau ovale, pendant qu’elle faisait signe aux personnes présentes de quitter la pièce.

  • Madame la Présidente, la fuite de mon beau-frère Feñch Caradec est en marche, annonça Diane presque en susurrant.
  • Voilà une chose qui avance !
  • J’imagine que vous êtes déjà au courant de la grossesse de Stacey Brookhart ?
  • Évidemment ma chère ! Mais pour l’instant c’est le cadet de mes soucis. Je crois qu’avec Wen Li, la sécurité de Stacey et Maombi est assurée. Même votre frère devrait prendre soin de Stacey, surtout à cause de la relation difficile qui lie Caradec à Stacey !
  • Je n’en serais pas aussi certaine. D’une part mon frère ne sait rien à propos de Feñch et Stacey, puis au bout du compte, c’est une très douloureuse affaire de famille ! répliqua Diane. Pour Wen Li, vous savez aussi bien que moi que nous n’avons aucune certitude sur sa fidélité. Finira-t-elle par pencher du côté de la Chine ou des États-Unis. Et encore, ceux de l’autre groupe caché sur l’île sont presque tous du côté sino-japonais !
  • Nous avons toujours Mark Lopez comme arme secrète sur les lieux. Il est peu expérimenté certes, mais il a été briefé par nos équipes les plus compétentes sur ce qui l’attendait sur l’île.
  • Si vous le dites, Madame. L’Amérique a toujours le soutien de la Russie ?
  • Oui ! Ils ont bien Bae en cas de besoin. Et ils ont réussi à berner les asiatiques en infiltrant un agent parmi les quatre autres membres. Encore une fois, ce qui m’importe le plus est la sécurité de Brookhart et Niombella. Je me méfie plus de l’état Français et de l'Europe, qui soutiennent toujours Muirhead, malgré tout ce qu’il a fait, et ce qu’il compte faire à Miranda !
  • Tant que je suis à ses côtés et qu’il ne découvre pas que je suis en train de le poignarder dans le dos, ma nièce est en sécurité aussi.
  • Vous êtes une pièce importante dans cet échiquier à l’équilibre instable. Cette Troisième Guerre Mondial autour du numérique et du monde virtuel ne doit en aucun cas avoir lieu ! Les dégâts pour la société seraient énormes si le monde découvrait un jour les effets de l’Opération Pandore version Muirhead ! La nationalisation des réseaux sociaux les plus importants a été faite par les grandes puissances mondiales dans le but de donner toute la marge de manœuvre à QuickLook. Du jour au lendemain, nous avons aidé à créer cette société fantôme qui a avalé les cœurs des plus grandes boîtes du numérique mondial. Ce monstre à plusieurs têtes et aux millions de tentacules, seule la France se croit capable de la stopper. Je vous assure que si vous les français n’y arrivent pas, ce sera à l’Amérique d'intervenir une fois pour toutes, et ce ne sera pas beau à voir !
  • Je vous tiendrai au courant quand Feñch sera libre. Nous ferons tout ce qui est dans notre pouvoir pour éviter cette issue si dantesque.

***


Avril 2017, 5 ans avant les enlèvements

Kevin Letailleur sortait d’une intervention dans le bloc de neurochirurgie de l’hôpital Lariboisière à Paris, lorsqu’il remarqua qu’il avait un message de Ian Muirhead sur la boîte vocale de son smartphone qu’il écouta sans attendre : “Kevin, j’ai trouvé, j’ai enfin trouvé !!! criait l’Ecossais d’une voix visiblement émue. Le traitement pour Miranda, j’ai réussi ! Ce sera une première dans le monde, tant de champs d’application dans les maladies rares, de la médecine tout court, autant d’espoirs ! D’ici l’été Miranda pourra aussi être “nano-pucée” et sa maladie ne sera plus qu’un mauvais souvenir pour nous tous ! Ce sera un succès comme pour Flavia, Stacey et Maombi, j’en suis certain. Appelle-moi avec Bertha pour parler des détails de son intervention dès que vous le pouvez. Au plus tard cet été, votre cauchemar sera fini pour de bon ! ”.

Kevin, d’habitude avare en émotions, ne put contenir ses larmes à l’écoute du message téléphonique et quitta le bloc en courant, pour rejoindre son domicile et raconter la nouvelle qu’ils attendaient tant à Bertha. Il savait ce que cela représentait pour l’avenir de sa fille.

***

“... Se que lo imposible se puede lograr

que la tristeza algún día se irá

y así será, la vida cambia y cambiará …”


[“... Je sais que l'impossible peut être atteint

que la tristesse partira un jour

et cela sera comme ça, la vie change et changera…”]

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